Silent Night (id.) – de John Woo – 2023
Ô, jeune d’aujourd’hui ! Sans doute ne réalises-tu pas ce que John Woo a représenté pour le jeune d’il y a trente ans (bien tapés, oups). C’était au tout début des années 1990. Un petit film hong-kongais débarquait avec un peu de retard sur nos écrans français. Ça s’appelait The Killer, et ça a fait l’effet d’une bombe.
Je n’ai pas la moindre de l’effet que ce petit film aurait sur toi aujourd’hui, toi qui as peut-être été biberonné par les excès de Michael Bay ou les coups de tatanes de Jason Statham ou, pire, de Dwayne Johnson. Mais sache, quand même, que sans ce petit film, le cinéma d’action serait bien différent.
C’est qu’il a eu un effet dingue, ce petit film : dès Die Hard 2 en fait, tous les blockbusters américains lui doivent quelque chose. Ce n’est pas un hasard si John Woo a décroché son ticket pour Hollywood, signant une petite poignée de réussites (Volte Face, Mission Impossible 2) avant que son aura ne s’estompe, et qu’il reparte à Hong-Kong se refaire une santé.
Cette longue intro pour dire que Silent Night n’est pas un film anodin, parce qu’il marque le retour aux Etats-Unis de Woo, vingt ans après un Paycheck qui n’a pas laissé une grande trace dans l’histoire. Et parce que, depuis, tout a changé dans la manière de faire et de « consommer » le cinéma.
La preuve : ce retour est passé à peu près inaperçu. Ce qui est bien dommage. Pas que Silent Night soit une réussite majeure du réinventeur du gunfight. Mais il rappelle à quel point Woo est un formaliste novateur.
Loin de se reposer sur ses lauriers (pas même une colombe dans un coin), Woo se lance un vrai défi : réaliser un grand film d’action… muet. Les quelques (rares) répliques n’y changent rien : Silent Night est effectivement un pur exercice de style qui reprend de nombreux thèmes chers à Woo (l’enfance sacrifiée, le duo d’action mal assorti, la justice du talion…), mais soumis à cet écueil de poids : à l’image de son héros, père martyr privé de sa voix, personne ne parle dans le film.
L’exercice de style ne s’élève jamais de ce qu’il est (un exercice de style, donc), et souffre d’une distribution de ligue 8 (à part Joel Kinnaman, intense et convaincant, les acteurs sont remarquablement ternes), mais c’est d’une efficacité imparable, l’œuvre d’un grand formaliste, donc, qui réussit quelques plans (longs) assez dingues.
Sur le fond, Woo ne révolutionne rien. Sur la forme, il rappelle à ceux que ça intéresse encore qu’il en a toujours sous le pied…