De grandes espérances – de Sylvain Desclous – 2022
Dans Mon crime, son personnage était constamment dans l’ombre de son amie actrice et pseudo-meurtrière. Pourtant, elle dévorait l’écran par un magnétisme assez rare. Ce magnétisme explose littéralement dans De grandes espérances où, sur un autre registre, elle est de toutes les scènes, et presque de tous les plans. Rebecca Marder est une actrice magnifique, et c’est la première qualité de ce film que de le confirmer.
Et mine de rien, il est d’une extrême richesse ce personnage de jeune femme brillante, issue de la classe la plus populaire, et destinée aux plus hautes fonctions de l’État. Elle est presque trop parfaite : belle, intelligente, engagée à gauche, grande amoureuse, débatteuse enflammée, visionnaire et courageuse. Mais il y a cet écueil sur une route toute tracée : une altercation imbécile sur une petite route de Corse, un homme trop agressif, un petit ami trop lâche, et un fusil trop à portée de main…
Et voilà comment la peinture sociale, déjà passionnante grâce à ce personnage si fort, tourne au thriller politico-romantique. Et comment les failles apparaissent : une fragilité jusque là si bien cachée, un père pas très présentable quand on fréquente d’anciens ministres, et un mensonge qui passe mal. Le mensonge : ce sujet si complexe qui laisse la brillante oratrice muette face au jury de l’ENA, comme si, soudain, la réalité du monde et la pureté des convictions se télescopaient.
Le manichéisme apparent (le gentil social de gauche face au méchant capitaliste de droite) se heurte très vite à une vérité bien plus complexe. Les uns et les autres sont du même monde, du même moule, et les bons sentiments n’y font rien. Le film de Sylvain Desclous n’appuie jamais sur ces contradictions, mais distille des petites touches de cynisme, qui renforcent paradoxalement l’humanité des personnages.
Les scènes entre la fille et le père sont particulièrement fortes, en ce qu’elle mettent en évidence le mur qui sépare les couches sociales, quels que soient les liens. Elles sont belles et pudiques ces scènes, comme des parenthèses d’authenticité refoulée dans un monde où tout n’est que posture et représentation. La dernière image, sans rien en dire, est magnifique de pudeur et d’émotion.