Evangeline (id.) – de Edwin Carewe – 1929
On l’a oublié aujourd’hui, mais Edwin Carewe fut un réalisateur important à Hollywood, vers la fin du muet. On lui doit en particulier de très grosses productions épiques et romanesques, peuplés de personnages très marqués par leur dévotion religieuse : Resurrection en 1927, Ramona (l’adaptation d’un roman à succès déjà porté à l’écran par D.W. Griffith - ici) en 1928, et ce Evangeline, qui surfe évidemment sur le succès des deux précédents films. On y retrouve le même ton, la même actrice (Dolores Del Rio), le même romantisme tragique, et la même importance de la religion : les personnages sont des êtres profondément pieux, ce qui visiblement plaît beaucoup à Carewe (qui a d’ailleurs reçu le soutient des autorités religieuses pour le tournage de son film), et qui colle parfaitement au cadre de son histoire, à savoir l’Acadie du milieu du XVIIIème siècle.
Une époque tragique pour cette province du Nord de l’Amérique, puisque le peuple « historique » est déporté par les Anglais, qui gouvernent le pays, en l’espace de quelques années seulement. Cette tragédie est le sujet même du film de Carewe (dont le scénario s’inspire d’un célèbre poème racontant le terrible destin d’une Acadienne ayant vécu cet exode forcé), mais ce qui concerne tout un peuple est symbolisé par un seul village. C’est un choix narratif qui ne plaira évidemment pas aux puristes de l’Histoire, mais qu’importe : en simplifiant le récit, le film gagne en efficacité, le destin de milliers de personnes étant symbolisé par celui d’une poignée de personnages.
Le résultat est un mélodrame flamboyant, passionnant, et franchement plombant dans sa dernière partie.
Ça commence en fait comme un beau mélo bucolique, avec deux jeunes gens amoureux, un village où il fait bon vivre, un amoureux éconduit, et un mariage qui se prépare dans la liesse générale. Mais l’ombre de la tragédie à venir plane, et se noue bientôt à grands coups de bottes qui claquent. Point de grands combats, ici, même si la violence est souvent à deux doigts d’exploser : mais à chaque fois, le bon homme d’église est là pour rappeler le principe de non violence. Oui, les Acadiens savaient mieux que quiconque tendre l’autre joue… On a l’air de se moquer, là, mais cette première partie est terriblement émouvante, et le magnétisme de Dolores Del Rio, visage atypique, mais d’une grande beauté, n’est pas étranger à cette émotion qui vous prend aux tripes et ne vous lâche plus.
Pendant toute la première heure, l’émotion ne cesse de monter, et c’est le ventre serré qu’on arrive au point culminant du film : cette extraordinaire séquence de l’exode forcée, où des centaines de soldats anglais obligent des milliers de pauvres Acadiens à s’embarquer dans des bateaux, dont les destinations sont inconnues. Et ce n’est pas du cinéma au rabais que Carewe nous offre là : chaque Acadien, chaque soldat, et chaque bateau, est bien présent à l’écran (et sans effets spéciaux, s’il vous plaît). On se rend compte, alors seulement, qu’on est dans une très grosse production. Mais surtout, dans un grand film, car la dimension de cette séquence ne paralyse pas le réalisateur, qui nous offre ici un moment terrifiant de cinéma, illustrant en quelques minutes l’atrocité qu’on impose à tout un peuple : sans ménagement, les soldats poussent les Acadiens vers les bateaux, n’hésitant pas à séparer les mères des enfants, les épouses des maris… et Evangeline de son fiancé.
Après cette montée graduelle et constante en puissance, jusqu’à un sommet d’émotion, c’est comme un autre film qui commence, un peu moins convaincant, hélas : Evangeline va passer des années (mais vraiment des années) à rechercher son bien-aimé, parcourant le Sud de l’Amérique (dans de magnifiques paysages de Louisiane, notamment, où le film a réellement été tourné), mais les élipses plutôt brutales ne permettent pas de prendre la dimension du temps qui passe. Autant le dire, il arrivera les pires catastrophes autour d’Evangeline, au cours de son interminable quête. C’est déchirant, violent, douloureux. Et franchement plombant.