Un simple accident (Yek tasadof-e sadeh) – de Jafar Panahi – 2025

Difficile d’évoquer le dernier film de Jafar Panahi sans parler de la Palme d’Or qu’il a décroché. Sans doute cette Palme est-elle méritée, au moins n’est-elle pas imméritée, tant le film est fort et courageux. Mais il y a quand même cette impression qui flotte, et qui flottait déjà avant l’ouverture du festival : le sentiment que cette Palme rattrape celle que n’a pas eue Moammad Rasoulof en 2024.
Et oui : Les Graines du Figuier sauvage est un chef d’œuvre, en tout point supérieur au très beau film de Panahi. Et un rendez-vous manqué (même s’il a été primé) entre le plus grand film de l’année dernière et le plus grand festival du monde. Cela étant dit, c’est bien du film de Panahi qu’il s’agit ici, cinéaste que je découvre avec ce film, et dont le cinéma est comme celui de Rasoulof un cinéma de combat, tourné en clandestinité (et malgré les condamnations à répétition) dans cet Iran des Molahs.
Entre les deux cinéastes, la parenté semble d’abord évidente, avec cette première scène filmée dans l’habitable d’une voiture, qui rappelle d’autres films iraniens tournés en clandestinité (comme Le Diable n’existe pas). De fait, les habitacles de véhicules sont beaucoup utilisés par Panahi, tout au long de ce film qui donne le sentiment d’être constamment en mouvement, dans une sorte d’entre-deux, à la fois optimiste et plein d’inquiétude.
Que Panahi soit retourné en Iran après sa Palme renforce encore l’impression de courage que donne son film. Parce que sa vision de la société iranienne est sans détour. Son histoire se déroule dans ce qui ressemble bien à un Iran d’après les Molahs, comme si la société de son pays avait tourné la page de ce régime, et tentait de se relever de ses traumatismes. Un pays où l’on croise des femmes sans voile dans les rues, vision qui procure un frisson inattendu au spectateur qui a déjà vu quelques films iraniens.
Le postulat de départ est à peu près le même que celui de La Jeune fille et la mort de Polanski. Le simple accident qui donne le titre, c’est celui qui ouvre le film : une famille apparemment sans histoire roule de nuit, et heurte un chien, qui meurt. Première fêlure dans l’image de cette famille. Le père trouve de l’aide dans une boutique. Là, dans une réserve, un employé se fige en entendant l’homme marcher, sans le voir.
Car le père grince quand il marche : une prothèse mal réglée qui émet un son qui rappelle à l’employé le bruit que faisait le gardien de prison qui l’a martyrisé pendant des mois, jusqu’à briser sa vie. Persuadé d’avoir retrouvé son bourreau, il l’enlève en pleine rue, l’emmène au milieu du désert pour l’enterrer vivant, jusqu’à ce qu’un doute l’arrête : et si ce n’était pas lui ? Pour s’en convaincre, il sillonne la ville pour retrouver d’autres victimes…
La quête se teinte bientôt d’une ironie grinçante, et d’un humour mordant qui flirte par moments avec l’absurde, comme si la noirceur de La Jeune fille et la mort rencontrait la drôlerie des Pieds Nickelés. Et comme si Panahi, tout en abordant des thèmes complexes et sombres (la question de l’après, de la possibilité ou non de pardonner et de vivre ensemble), choisissait de garder une forme de légèreté qui a tout d’un acte de résistance.
Son équipe de bras cassés incarne pourtant l’Iran martyrisé, brisé, et fracturé. Et tout en glissant des touches d’humour et une vraie dérision, Panahi signe un film puissant et assez inconfortable, qui refuse les facilités et les jugements hâtifs, jusqu’à un final dont on ne dira rien, si ce n’est qu’il confirme l’importance donné au son, et qu’il hante le spectateur longtemps après la fin du film.








