LIVRE : Passé la Loire, c’est l’aventure – de Gilles Grangier (entretiens avec François Guérif) – 1989-2021
« Passé la Loire, c’est l’aventure »… Rien que le titre donne envie de se plonger dans les souvenirs de Gilles Grangier, réalisateur qu’on aurait sans doute définitivement entouré sans le regard plein d’acuité de cinéphiles comme Bertrand Tavernier, qui défendait bec et ongle le bougre en reconnaissant la volatilité de son œuvre, mais surtout quelques grandes réussites.
Et c’est vrai qu’il y a quelques perles (souvent noires) dans la longue filmographie très inégale de Grangier. Des perles un peu trop vite éclipsées par une poignée de nanars assez indéfendables, comme les derniers films de sa longue collaboration avec Gabin (Les Vieux de la vieille et Archimède le clochard ne sont pas renversants, L’Âge ingrat et Le Gentleman d’Epsom sont pires). Mais le gars a aussi réalisé Le Rouge est mis ou Le Sang à la tête avec Gabin. Et sans lui, des réussites méconnues comme Reproduction interdite ou 125 rue Montmartre. Alors…
L’importance de Gabin dans son parcours est évidente, pour le meilleur et pour le pire : sa rencontre marque son âge d’or, et la tendance paresseuse de l’acteur son déclin. D’ailleurs, c’est à lui, Gabin, qu’on doit la belle citation qui donne son titre au livre : sur le tournage du Cave se rebiffe, une manière pour « le vieux » de refuser d’aller tourner en Amérique du Sud les scènes du film s’y déroulant vraiment.
C’est en tout cas tout un pan du cinéma français qui déroule dans ce livre : le cinéma populaire assumé d’un artisan qui prenait son art au sérieux, et que la Nouvelle Vague n’a pas épargnée. Ce n’est pas à proprement parler une autobiographie : Grangier livre ses souvenirs liés à chacun de ses films (jusqu’au plus obscur) dans le cadre d’une interview au long cours avec François Guérif. Un peu sur le modèle du fameux Hitchcock/Truffaut.
En feuilletant les pages, les souvenirs de Grangier font mine de rien le lien entre les débuts du parlant et la Nouvelle Vague. Il évoque sa rencontre avec Maurice Tourneur, grand maître du muet qui sera l’un de ses mentors (passionnant). Il se souvient d’actrices comme Jeanne Moreau « avec son côté un peu salope » (discutable). Il égratigne des acteurs qu’il n’appréciait visiblement pas des masses comme Pierre Fresnay, dominé par une Yvonne Printemps pas bien sympathique (très drôle).
200 pages ne permettent pas d’entrer dans le détail, et on a parfois un peu le sentiment de survoler les choses. Mais cette petite virée dans les mémoires de Grangier donne franchement envie de revoir certains de ces films un peu trop vite mis de côté.