Breezy (id.) – de Clint Eastwood – 1973
Une main sortit de la pénombre pour se plaquer sur un torse trop flasque… Et soudain, Clint Eastwood devint un grand cinéaste. Ceux qui ont attendu Impitoyable (ou même Honkytonk Man) pour savoir que Clint était grand sont sots, ou n’ont pas vu Breezy.
Avec ce film, tourné avec une liberté formelle qui évoque son Play Misty for me inaugural, Eastwood prouve définitivement qu’il est bien plus que la star de Dirty Harry : un véritable auteur, avec une sensibilité et une délicatesse que beaucoup ne découvriront que vingt ans plus tard, avec le sublime Sur la route de Madison.
Breezy est déjà une merveille, bien au-delà de cette seule scène d’une beauté renversante : William Holden qui se dévêt dans l’obscurité, et la main de Kay Lenz qui apparaît comme sortie d’un rêve. C’est une merveille, parce que Clint tire un film d’une délicatesse infinie d’un sujet casse-gueule et dérangeant, dont on devine qu’il lui est personnel.
L’histoire d’amour entre une toute jeune femme à peine sortie de l’adolescence, et un homme d’âge mûr… Clint lui-même aurait pu interpréter ce personnage, sans doute trop proche de sa proche personnalité : Kay Lenz, physique juvénile et longiligne, évoque curieusement Sondra Locke, avec qui Clint n’a pas encore tourné, mais qui sera son grand amour de la décennie à venir.
Il a d’ailleurs hésité à jouer lui-même le rôle, se jugeant finalement trop jeune (il avait 43 ans), et préférant le confier à William Holden (55 ans sur le papier, mais en paraissant beaucoup plus). Le choix peut paraître timoré, il est judicieux : la différence d’âge, et le fossé immense entre la pureté de Kay Lenz et le visage (et le corps) marqué de Holden, voilà le sujet du film.
Film diablement courageux, même dans cette époque post-soixante-huitarde, qui aurait facilement pu tourner au graveleux et à l’auto-complaisance de mâles d’âge mûr, Breezy dépasse le simple portrait d’époque. Eastwood signe même une œuvre intemporelle (simplement ramenée dans son époque par la musique de Michel Legrand), complexe et d’une humanité folle. Bien ? Pas bien ? Le film va au-delà de la question, et ose un point de vue humain. C’est à la fois troublant, parfois dérangeant, et sublime.