Pulp Fiction (id.) – de Quentin Tarantino – 1994
Je me souviens d’un critique, à la sortie du film (il y a trente ans, dis donc), qui estimait que Pulp Fiction était une succession de séquences brillantes que Tarantino ne savait pas comment enchaîner, terminant systématiquement ses scènes par un fondu au noir. Marrant comment une sentence peut à ce point rester en mémoire, et influer depuis sur mes re-visions du film.
Le revoir une énième fois, mais pour la première fois depuis bien longtemps (la preuve, il n’était pas encore sur ce blog qui va vers ses 15 ans) permet en tout cas de se rappeler pourquoi le deuxième film de Tarantino avait été une Palme d’Or enthousiasmante. Et un cri d’amour revigorant à la littérature « pulp » dont le jeune Tarantino s’abreuvait visiblement, et à toute la culture « bis » qui tourne autour.
Donc, oui : c’est un fait, Tarantino conclut toutes ses séquences par un fondu au noir. Mais en conclure qu’il ne sait pas faire autrement est évidemment à côté de la plaque, même sans tenir compte des films qu’il allait faire ensuite. Parce que le film est effectivement construit, non pas comme un roman dont on feuilletterait les chapitres les uns après les autres, mais comme un recueil de nouvelles plus ou moins indépendantes, dans lesquelles on retrouverait plus ou moins les mêmes personnages.
Ce qui justifie pleinement ces fameux fondus au noir, qui referme un épisode pour en ouvrir un autre. Ce qui justifie aussi la construction dans le désordre du film, qui participe au plaisir intense et à la surprise constante qu’il procure, même après quatre, cinq ou six visions. Parce que découvrir Samuel L. Jackson et John Travolta (qui redevenait alors une incarnation assez géniale de la coolitude) en sous-vêtements mal assortis, ça fait quand même son petit effet.
Pulp Fiction est, c’est vrai, une succession de grands moments de cinéma, dont l’intrigue générale n’a finalement pas beaucoup d’importance : qui s’intéresse vraiment à cette mallette qui semble tout droit sortir d’En quatrième vitesse d’Aldrich ? Un pur maggufin, qui n’existe que pour faire avancer l’action, pour justifier les séquences qui s’enchaînent, toutes mémorables.
Tarantino n’est pas le premier à assumer à ce point son envie de filmer des grands moments de cinéma, quitte à se détourner du fil conducteur. Hawks, notamment, en avait fait l’un de ses chefs d’œuvre, Le Grand Sommeil, un film dont on est à peu près incapable de se détourner une fois qu’on y a mis un œil, même si on est largué par l’intrigue. C’est à peu près le même sentiment qui règne avec Pulp Fiction.
Alors on se laisse emballer par tous les moments cultes… à peu près toutes les scènes, en fait. La discussion interminable autour de l’innocence d’un massage des pieds. Le dur à cuire Bruce Willis tout câlin avec Maria De Medeiros. Uma Thurman et Travolta se lançant sur la piste de danse. L’anecdote de la montre racontée par Christopher Walken. Ou l’emballante scène d’introduction avec Amanda Plummer et Tim Roth…
Il y a dans Pulp Fiction plus de grand cinéma que dans 90 % de tous les autres films américains sortis cette année-là. Ce qu’on pourrait dire de la plupart des films de Tarantino d’ailleurs, y compris ceux où sa logique semble tourner en rond. Ce qui n’est pas le cas ici : avec ce deuxième film, il atteint les sommets. Du pur plaisir de cinéma.