Jardins de pierre (Gardens of stone) – de Francis Ford Coppola – 1987
Au début du film, le bruit d’un hélicoptère évoque immédiatement les images inoubliables d’Apocalypse Now, le grand-œuvre de Coppola sur le VietNam. Huit ans plus tard, le cinéaste renoue avec le conflit, avec un point de vue radicalement différent tout en multipliant les références au classique de 1979, jusque dans le nom de ses deux personnages principaux (Willow et Hazard, comme deux facettes de Willard). De la guerre elle-même, on ne verra rien directement : quelques images diffusées à la télé seulement. Même cet hélicoptère entendu est l’objet d’un exercice, loin, bien loin du front.
Il n’est pourtant question que de la guerre, dans ce film qui se passe intégralement autour du cimetière militaire d’Arlington, en Virginie, où un peloton de prestige est chargé d’accompagner tous les soldats tués au combat dans des cérémonies d’inhumation tout en protocoles. Des scènes vues cent fois dans le cinéma américain, mais jamais filmées comme ici, Coppola nous plongeant réellement au cœur de ces manœuvres si ritualisées, au plus près des visages et des costumes.
Mais le tour de force de Jardins de pierre est ailleurs : dans ce que le film dit de l’horreur de la guerre, du dégoût et de la colère qu’elle provoque chez ces soldats qui savent mener une mission importante, tout en ayant le sentiment de ne pas être à leur place, d’être inutiles. Un tiraillement que Coppola synthétise dans le beau personnage douloureux de James Caan, que le cinéaste retrouve quinze ans après Le Parrain.
Il est beau ce personnage, parce qu’il est profondément humain, jusque dans ses excès et ses fragilités. Grande gueule, mais incapable de sortir une phrase lors de sa première soirée avec cette jolie voisine qui lui plaît tant (Anjelica Huston), écœuré par cette guerre mais trépignant de ne pouvoir y retourner… Un homme complexe, qui prend sous son aile le fils d’un ancien camarade de combat, jeune sous-officier promis à un grand avenir.
Sauf qu’on sait bien que non. Le film commence par une première cérémonie d’enterrement, qui est le sien. Et cette mort pèse sur tout le film, donnant un visage à tous ces autres morts dont on ne sait rien. Dans cet environnement d’hommes, où les femmes jouent un rôle primordial, il est question de devoir, de responsabilité, d’honneur, d’amitié. C’est peut-être le plus fordien des films de Coppola (la voix truculente de James Earl Jones évoque celles de Victor McLaglen ou de Ward Bond), l’un des plus intimes et l’un des plus émouvants.
Jardins de pierre s’inscrit en tout cas parfaitement dans cette décennie 1980 de Coppola, mésestimée mais passionnante, entièrement tournée vers les échos d’un passé révolu. D’Outsiders à Peggy Sue s’est mariée en passant par ce Jardins de pierre, cette décennie aussi est pleine de perles incomparables.