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Archive pour la catégorie 'CAPRA Frank'

Milliardaire pour un jour (Pocketful of Miracles) – de Frank Capra – 1961

Posté : 16 juin, 2024 @ 8:00 dans 1960-1969, CAPRA Frank | Pas de commentaires »

Milliardaire pour un jour

Comme Fritz Lang l’année précédente, Frank Capra referme sa très riche filmographie en renouant avec un univers qui lui avait bien réussi en 1933 : le Docteur Mabuse pour Lang, Grande Dame d’un jour pour Capra, qui en signe un remake haut en couleurs, dans tous les sens du terme.

D’abord parce ce que les couleurs sont chaudes et éclatantes. Ensuite parce que les rebondissements et le rythme général sont d’une générosité assez folle, qui flirte avec l’univers d’un Lubitsch. Lubitsch et Lang : des références loin d’être évidentes quand on évoque Capra.

Bon : le point commun avec Lang repose à peu près exclusivement sur le hasard du remake ou de la suite tardif(ve). Mais l’ombre de Lubitsch semble bel et bien planer sur cette comédie de la haute société, dont l’effervescence et la rapidité ne ressemblent pas totalement à du Capra classique.

Ce petit décalage tient à un choix narratif, qui est aussi la plus grande limite du film : Capra opte pour le point de vue du personnage de Glenn Ford, sympathique bootleger à la croisée des chemins après la fin de la Prohibition, alors que celui qui importe vraiment est celui de Bette Davis, clodo qui se fait passer pour une dame de la haute société pour sa fille, qu’elle n’a pas vue depuis des années.

Le problème de Milliardaire d’un jour aurait été celui de Certains l’aiment chaud, si Wilder avait fait de George Raft un personnage central en reléguant Marylin à l’arrière plan. Bref, Capra donne souvent le sentiment de se tromper de film en passant à côté de l’essentiel, et c’est fort dommage.

Parce que les scènes avec Bette Davis sont magiques, dignes de ce que Capra a fait de mieux dans sa carrière. Un exemple : une scène, celle où Apple Annie (le personnage de clocharde joué par Davis) désespère de récupérer la lettre de sa fille, et dont la lecture lui procurera un choc immense… Cette scène, faussement légère, est d’une beauté saisissante, et remarquablement filmée par un cinéaste dont l’inspiration semble alors au sommet.

Il y a comme ça une demi-douzaine de très beaux moments dans Milliardaire pour un jour, tous tournant autour d’une Bette Davis habitée, et sobre. En retrait, même, presque reléguée à un rôle de faire valoir pour un Glenn Ford très impliqué, et très bien. Irréprochable, donc. D’ailleurs, j’aime bien Glenn Ford, capable de tout jouer, dans tous les genres et dans tous les registres, avec la même vérité.

Mais il a beau être très bien, son personnage et les enjeux dramatiques qu’il trimballe sont loin d’être aussi passionnants et profonds que ceux de Bette Davis. Et puis Capra échoue à donner une cohérence, un rythme commun, aux drames qui s’entremêlent. Son film, dont chaque scène est superbement mise en scène (dès l’ouverture, brillante), n’a pas l’unité et la fluidité de ses chefs d’œuvre. Le plaisir qu’on y prend est réel, et grand. Mais il est épisodique.

L’Athlète incomplet (The Strong Man) – de Frank Capra – 1926

Posté : 2 juin, 2024 @ 8:00 dans 1920-1929, CAPRA Frank, FILMS MUETS | Pas de commentaires »

The Strong Man

Difficile de trouver dans ce premier long métrage ce qui fera la beauté du cinéma de Frank Capra. Il y a du rythme, de l’inventivité, et même une certaine folie, mais rien de commun avec les chefs d’œuvre qu’il ne tardera pas à enchaîner, dès la fin du muet.

Pour ce film de jeunesse, Capra est encore l’employé de Mack Sennett, et le gagman d’Harry Langdon, tellement content de lui qu’il le propulse au rang de réalisateur. Quelque part entre Keaton et Lloyd, le côté lunaire plus affirmé, Langdon n’est pas le comique le plus enthousiasmant de cette époque si riche pour la comédie américaine. Mais son cinéma est généreux, et particulièrement ce Strong Man, dans lequel on trouve ce pourrait être la matière d’une demi-douzaine de films.

Ça commence comme une comédie guerrière, bifurque vers une vision acide du sort des immigrés, se dirige vers une tendre romance, tout en étant une farce dans le milieu du cirque ambulant, sans oublier la vision forcément décalée d’un petit campagnard qui découvre la grande ville… Bref, The Strong Man a une petite tendance à partir dans tous les sens, et manque d’une ligne directrice forte.

Mais dans cette espèce de grand fourre-tout, assez inégal, les petits moments de plaisirs ne manquent pas. Certains gags sont éculés (Langdon soldat, très très inspiré de Charlot Soldat), d’autres en revanche font mouche : la scène de l’escalier dans le grand hôtel, ou celle très spectaculaire du saloon.

Surtout, cette petite comédie qui aborde tant de genres et d’univers différents peut être vue comme une opportunité assez folle, pour Capra, de faire ses armes, comme une formation en accéléré, qu’il complétera avec son film suivant, le second avec Langdon (Long Pants), avant de passer aux choses sérieuses…

Sa dernière culotte (Long Pants) – de Frank Capra – 1927

Posté : 29 novembre, 2022 @ 8:00 dans 1920-1929, CAPRA Frank, FILMS MUETS | Pas de commentaires »

Sa dernière culotte

Seconde collaboration entre le jeune Frank Capra et le comique Harry Langdon (après The Strong Man). Et difficile de trouver encore ce qui sera le style du cinéaste, ou son univers. On peut tenter de trouver des signes, se dire que l’histoire de ce jeune homme qui rêve d’un grand amour romanesque avant de réaliser tardivement que le vrai bonheur est depuis toujours à portée de main, évoque avec vingt ans d’avance celle de La Vie est belle. Au moins soulignera-t-on que Capra a de la suite dans les idées…

Mais la vérité, c’est que cette comédie est totalement dénuée du sous-texte social qui habitera tous les grands films de Capra, et d’à peu près tout arrière-plan d’ailleurs. Capra y peaufine son talent de conteur et sa maîtrise du langage cinématographique, mais son art est mis au seul service de Langdon, dont le personnage lunaire se situe quelque part à la croisée des chemins entre Chaplin et Keaton. Chaplin pour les mimiques et quelques mouvements de corps. Keaton pour le visage constamment surpris et impassible.

Il est ici un jeune homme à peine sorti de l’enfance, que sa mère rêve de voir continuer à porter des culottes courtes, meilleur remède à ses yeux contre les envies d’aventure. Elle n’a pas tort : à peine le paternel lui a-t-il offert son premier vrai pantalon qui quitte le giron familial et part à l’aventure. Oh ! Pas loin : à quelques mètres de sa maison, où il tombe immédiatement sous le charme d’une jeune femme de passage, qui se révèle être une hors-la-loi en cavale.

Et c’est là qu’apparaît l’un des moments de bravoure du film : une parade amoureuse de Langdon qui tourne littéralement autour de la jeune femme sur son vélo, enchaînant les figures acrobatiques avec un sérieux affiché franchement irrésistible. C’est de cette posture fière et totalement puérile à la fois que viennent les moments les plus drôles : Langdon se débattant avec son chapeau haut de forme… Langdon tentant d’attirer l’attention d’un policier qui s’avère être un mannequin… Les situations sont étirées au maximum, et c’est de ce temps distendu que viennent les rires.

Jusqu’à cette scène où Langdon, filmé de dos, totalement immobile, assiste passif à une bagarre acharnée entre deux femmes très court vêtues. Et on imagine bien les futurs censeurs du code Hayes assis à la place de Langdon, vomissant tous leurs repas avalés depuis quatre mois… Mais on n’y est pas encore : il y a un vrai vent de liberté qui souffle sur cette comédie, sans prétention mais pas si anodine que ça.

Un punch à l’estomac (So this is love ?) – de Frank Capra – 1928

Posté : 8 novembre, 2022 @ 8:00 dans 1920-1929, CAPRA Frank, FILMS MUETS | Pas de commentaires »

Un punch à l'estomac

Une jeune vendeuse raide dingue du champion de boxe local, rustre imbu de sa propre personne. Un jeune artiste trop discret secrètement amoureux de ladite jeune vendeuse… Voilà une petite bluette charmante qui a le mérite de la simplicité. En moins d’une heure, Capra nous emballe cette comédie craquante et marrante avec un rythme imparable et un vrai talent comique qui emportent tout.

Il fera plus personnel et plus original à l’avenir, dès ses derniers films muets. Mais ce Capra un peu anecdotique n’en est pas moins une très chouette comédie, qui utilise à merveille le joli minois malin de Shirley Mason, qui dépasse rapidement son personnage de jeune amoureuse un peu aveugle pour devenir le véritable moteur du film, tout sauf nunuche pour le coup. Il faut la voir gaver (littéralement) le boxeur dont elle a vite compris la vraie nature, pour éviter à celui que finalement elle aime de se faire massacrer.

Moins d’une heure de métrage, donc, et près de la moitié consacrée au seul combat de boxe final, vers lequel tout le film converge. Comment un artiste poltron va se retrouver sur le ring face à un authentique champion ? C’est tout le problème que résout habilement Capra dans la première partie de son film, avant d’entrer dans le vif du sujet. Et dès l’arrivée dans les vestiaires, une parenté frappante apparaît : celle avec les combats de boxe filmés par Chaplin.

Sans doute Charlot boxeur a-t-il inspiré Capra : le fer à cheval qu’est tenté d’utiliser le héros joué par William Collier Jr ressemble à un clin d’œil à peine déguisé, tout comme le pain et les saucisses avec lesquels il sort de l’épicerie où travaille celle qu’il aime. L’espèce de « danse » à laquelle se livrent les deux combattants à peine montés sur le ring, en revanche, annonce la fameuse scène des Lumières de la Ville, que Chaplin tournera trois ans plus tard. De là à imaginer que l’influence a été réciproque…

Arsenic et vieilles dentelles (Arsenic and old lace) – de Frank Capra – 1941-1944

Posté : 3 novembre, 2022 @ 8:00 dans 1940-1949, CAPRA Frank | Pas de commentaires »

Arsenic et vieilles dentelles

Bien sûr, il y a plus qu’un style Capra, il y a un état d’esprit, des thématiques qui habitent une très grande partie de son œuvre dès sa période muette (The Power of the Press), et jusqu’à ses films d’après-guerre (La Vie est belle, bien sûr) : une manière de critiquer les dérives de la société à travers des fables sociales drôles et enlevées.

Arsenic et vieilles dentelles fait partie des très grandes réussites du cinéaste, et le film porte bien sa signature : on le sent constamment dans le rythme de sa mise en scène, dans ce mélange si savamment dosé de burlesque débridé et d’un réalisme pas loin d’être sordide. Dans son décor aussi, qui semble sorti d’un conte de notre enfance, avec ce cimetière d’un autre temps qui sépare les maisons familiales de deux jeunes amoureux. Pourtant, c’est un film sans équivalent dans la filmographie de Capra, qui n’est jamais allé aussi loin dans la comédie pure et dans l’humour noir.

Une farce, plus qu’une fable. Avec cette adaptation d’une pièce de Broadway à succès, Capra lâche la bride et et n’hésite pas à mettre un pied dans l’outrance. Et c’est à Cary Grant, qu’il n’avait encore jamais dirigé (et qu’il ne dirigera plus jamais) qu’il confie le rôle principal. Le choix n’est pas anodin : c’est le Cary Grant des screwball comedies de Hawks qu’a choisi Capra, et qu’il pousse très loin, au bord de l’autocaricature.

Et voilà quelque chose que Grant maîtrise parfaitement, immense acteur comique qui n’est jamais aussi drôle que quand il va loin. Sa manière de surjouer serait du cabotinage éhonté pour à peu près n’importe qui d’autre. Lui en fait un chef d’œuvre d’interprétation comique. Sa prestation est la colonne vertébrale de la folie du film, l’histoire d’un jeune marié qui réalise que ses adorables tantes dézinguent des vieux messieurs trop seuls, par charité.

A vrai dire, toute la distribution est ainsi basée sur une idée proche de la caricature. Priscilla Lane séduit en surjouant les yeux de biches. Jean Adair et Josephine Hull ne sont formidables que parce qu’elles sont l’incarnation des vieilles dames au grand cœur. Jack Carson est irrésistible dans son rôle de flic forcément un peu benêt. Peter Lorre inquiète avec son bagage de psychopathe bien rodé depuis M le maudit. Et Raymond Massey bien sûr, sosie de la créature de Frankenstein agacé d’être constamment comparé à Boris Karloff.

On aurait bien tort de chercher autre chose dans ce film qu’une pure comédie. Capra laisse l’émotion de côté, ce qui n’est pas courant dans son cinéma. Et il signe un très grand classique comique qui déclenche des fous-rires à peu près incessants. Une merveille, et un film qui vous retape à coups sûr après une journée ou une semaine difficiles. Chef d’œuvre, respect, tout ça tout ça.

Vous ne l’emporterez pas avec vous (You can’t take it with you) – de Frank Capra – 1938

Posté : 29 juillet, 2020 @ 8:00 dans 1930-1939, BOND Ward, CAPRA Frank, STEWART James | Pas de commentaires »

Vous ne l'emporterez pas avec vous

Capra est au sommet quand il tourne ce film. Au Sommet de son art, et de sa gloire : New York Miami a été un triomphe, décrochant les cinq Oscars majeurs, sorte de couronnement de sa première partie de carrière. Une gloire qu’il met à profit pour s’attaquer à un cinéma plus engagé, plus social. Après L’Extravagant M. Deeds, Vous ne l’emporterez pas avec vous marque aussi sa première collaboration avec James Stewart. Ensemble, les deux hommes tourneront trois chefs-d’œuvre d’une rare cohérence.

Il y a déjà ici tout ce qui fera la grandeur de M. Smith au Sénat (y compris Edward Arnold, et un juge rigolard) et de La Vie est belle (les gens simples et heureux face aux banquiers sans scrupule). Avec le même sens du rythme, la même capacité à faire passer les spectateurs d’une émotion à l’autre, avec une maîtrise narrative impressionnante.

Il y a aussi cette capacité à jouer avec les grands sentiments sans jamais être ridicules. Le rythme du film est tellement irrésistible que Capra peut tout nous faire avaler. Tout. Y compris le fait que le personnage de Lionel Barrymore, génial, soit une sorte de symbole de la liberté individuelle face au capitalisme tout puissant. Ce qui, en grattant un peu, n’est pas tout à fait juste : il est le seul propriétaire de son quartier, et l’univers qu’il s’est créé vit totalement coupé des réalités et des misères du monde.

Qu’importe. Capra n’est pas un cinéaste politique. C’est un grand sentimental. Et ses films sont des fables sur la bonté des gens simples, des fables dans lesquelles la bonté est furieusement contagieuse. James Stewart et Jean Arthur, sorte de Roméo et Juliette capra-esques, s’en sortent nettement mieux que chez Shakespeare…

Le couple est craquant (leurs têtes-à-têtes sont superbes, drôles et tendres à la fois). Mais c’est autour des deux patriarches que le film s’articule vraiment. Lionel Barrymore, donc, immense dans le rôle de ce grand-père vivant dans une sorte de chimère réjouissante, mais au regard pas si dupe. Et Edward Arnold, homme d’affaires impitoyable et caricatural, absolument bouleversant quand l’armure cède.

Très drôle, très émouvant (parfois dans la même scène), souvent fou, parfois excessif, toujours juste, toujours enthousiasmant… Vous ne l’emporterez pas avec vous est un chef-d’œuvre qui ne prend pas une ride. Classique intemporel.

L’Extravagant Mr. Deeds (Mr. Deeds goes to town) – de Frank Capra – 1936

Posté : 25 septembre, 2018 @ 8:00 dans 1930-1939, CAPRA Frank, COOPER Gary | Pas de commentaires »

L'Extravagant Mr Deeds

Capra est loin d’être un débutant lorsqu’il réalise ce Mr. Deeds goes to town. Il a déjà derrière lui une série impressionnante de films formidables, et le triomphe historique de New York Miami. Mais il y a là une étape importante dans sa filmographie : par son ampleur, ses thèmes et son ton, le film annonce les plus populaires de ses chefs d’oeuvre, de Vous ne l’emporterez pas avec vous à La Vie est belle.

Mais c’est évidemment Monsieur Smith au Sénat qui vient à l’esprit en premier, tant ce film en apparaît comme une sorte de brouillon. Un brouillon déjà excellent et enthousiasmant, mais un brouillon tout de même, qui n’atteint pas la perfection absolue des trois films que Capra tournera avec James Stewart, sommets d’émotion et chefs d’œuvre indépassables du feel-good movie.

Finalement, le principal défaut du film vient de la comparaison inévitable avec les films à venir. Il y a là quelques moments un peu creux, une émotion qui tend à se relâcher, ce qui est assez rare dans le cinéma de Capra. Mais, ces réserves faites, Mr. Deeds est un personnage génial, purement capra-esque : ce « boy-scout » d’une petite ville tranquille qui découvre le cynisme de New York après avoir hérité d’une fortune, et qui découvre en même temps l’amour et la trahison (avec Jean Arthur, elle aussi dans un registre qui lui va comme un gant).

Mr. Smith… reprendra à peu près parfaitement la construction du film, avec une perfection cette fois totale. Mr. Deeds… permet en tout cas à Capra de peaufiner ses obsessions, et d’offrir quelques très beaux moments de cinéma. Lorsque la foule s’anime pour soutenir Deeds, l’émotion est à son comble, et le style Capra bien en place : ce don pour mêler les grands mouvements populaires aux sentiments les plus intimes. Et puis il y a Gary Cooper, tout simplement grand.

La Grande Muraille (The Bitter tea of General Yen) – de Frank Capra – 1933

Posté : 5 juillet, 2018 @ 8:00 dans 1930-1939, CAPRA Frank, STANWYCK Barbara | Pas de commentaires »

La Grande Muraille

Une jeune Amérique qui débarque dans une Chine ravagée par la guerre civile pour épouser un missionnaire, mais est enlevée par un seigneur de guerre aussi inquiétant que séduisant

Entre deux séries de chef d’œuvre dont l’Amérique est immanquablement le cadre, parfois fantasmé, Capra prend l’air avec cette belle virée asiatique, mais l’esprit US tel qu’il l’évoque film après film est bien là : ce regard pas si candide qu’il porte sur la grandeur d’âme de son pays, et le replis sur soi-même qui va souvent avec.

C’est cette dualité qui marque une nouvelle fois le film. D’un côté, l’incapacité de se comprendre au-delà des barrières culturelles. De l’autre, la bonté et la générosité incarnées par Barbara Stanwyck. Et entre deux, le regard de Capra, grand cinéaste encore trop mésestimé, aussi à l’aise et audacieux dans les grands mouvements de foules que dans les moments les plus intimes.

Le début du film est particulièrement impressionnant, avec ces scènes de foules et d’émeutes qui, en quelques plans, donnent vie à un pays en plein troubles. Capra n’édulcore en rien la violence de la situation. Des décennies avant l’irruption du gore dans le cinéma, lui filme l’horreur avec nettement plus de retenue, mais avec une force incroyable, notamment lors des tueries de masse qu’il filme, et qui n’épargnent pas même les enfants.

Inimaginable aussi, pour l’époque : Capra ose mettre en scène un baiser interracial, chose à peu près impensable dans cette Amérique puritaine où le code Hayes allait être mis en place. OK, la pudibonderie américaine est sauve, puisqu’il s’agit d’une vision de l’esprit, un fantasme de Barbara. Mais quand même…

Pour autant, The Bitter Tea est un peu en deçà dans la filmographie de Capra, qui flirte dangereusement avec la caricature. Le personnage de Yen surtout, n’est pas le plus convainquant qu’il ait filmé. Mais il le fait avec sincérité, et surtout avec une bienveillance teintée d’ironie qui fait des merveilles.

On est bien chez Capra : la bonté a des pouvoirs inimaginables. Mais elle est ici contrebalancée par une cruelle réalité. Yen est « sauvé » par l’amour ? Il réalise qu’il s’en retrouve coupé de tout ce qui fait le poids de son existence, se retrouvant seul dans un immense palais désert, dans une scène magnifique et désabusée.

Fulta Fisher’s boarding house (id.) – de Frank Capra – 1922

Posté : 11 novembre, 2017 @ 8:00 dans 1920-1929, CAPRA Frank, COURTS MÉTRAGES, FILMS MUETS | Pas de commentaires »

Fultah Fisher's boarding house

Première œuvre de fiction pour le tout jeune Frank Capra (il a alors 25 ans), qui se fait d’emblée remarqué avec ce film de commande, mise en image d’un poème de Rudyard Kipling : The Ballad of Fisher’s Boarding House. Le poète y évoque une gargote mal famée où des marins viennent tromper leur ennui entre deux voyages, et où deux hommes vont s’affronter et s’entretuer pour une femme.

Les premiers plans de ce court métrage d’une bobine seulement ne permettent pas vraiment de deviner le talent naissant du cinéaste : la caméra reste longtemps statique, filmant l’ensemble du décor comme c’était d’usage dans les premiers temps du cinéma. La mise en place est certes un peu longue, avec la présentation de trop nombreux personnages, pas forcément indispensables, qui prennent beaucoup de temps sur les douze minutes que dure le film.

Et puis le principe même de cette production a ses limites : en mettant en image un long poème, Capra s’oblige à multiplier les cartons pour que le spectateur puisse suivre le verbe de Kipling, qui pour le coup devient un peu trop envahissant.

Mais lorsque le drame se noue, Capra révèle un sens affirmé du cadrage et du montage, et, surprise, une brutalité qui ne sera pas vraiment la caractéristique première de son cinéma. Lorsque la violence apparaît, elle bouscule littéralement le cadre : les personnages sont propulsés en très gros plan contre la caméra, dont les petits mouvements brusques soulignent la brutalité des coups donnés.

Capra fait alors des merveilles, jouant sur le montage et la diversité des plans, lors de cette bagarre assez impressionnante, surtout lorsqu’il la filme en ombre chinoise, là encore fidèle au poème :

« A dance of Shadows on the wall,
A knife-thrust unawares
And Hans came down, as cattle drop,
Across the broken chairs. »

C’est beau, du Kipling. Et c’est beau, un grand cinéaste qui naît…

The Power of the Press (id.) – de Frank Capra – 1928

Posté : 6 novembre, 2017 @ 8:00 dans 1920-1929, CAPRA Frank, FILMS MUETS | Pas de commentaires »

The Power of the Press

Le dernier long métrage muet de Capra est un cas à peu près unique dans sa filmographie : c’est peut-être l’unique fois où le grand cinéaste humaniste s’est confronté au thriller. Il y a en particulier une longue séquence haletante et assez formidable, où le héros, jeune journaliste ambitieux interprété par Douglas Fairbanks Jr, doit mettre la main sur le témoin clé d’une sombre machination, petit chef d’œuvre de suspense qui se termine par une poursuite en voitures que n’aurait pas renié Hitchcock lui-même.

Pourtant, on est bien chez Capra, ce qui ne fait aucun doute dès l’ouverture du film. L’une des richesses de ses grandes réussites, notamment dans les années 30, repose sur un talent unique pour donner vie à des univers bien particulier : le cirque, la politique, le théâtre, ou ici la salle de rédaction d’un grand quotidien. Entre les reporters chevronnés qui manquent d’empathie et les jeunes loups naïfs qui ne décrochent les scoops que grâce à la chance, on ne peut pas dire que Capra offre une vision particulièrement avantageuse de la profession.

En revanche, il rend palpable en quelques plans formidables l’effervescence d’une salle de rédaction, l’odeur du papier et du tabac, l’urgence de l’actualité… C’est tourné avec beaucoup de dérision, et le film est d’ailleurs (aussi) très drôle. Mais l’ironie du film n’enlève rien au sentiment de vérité qui se dégage de ces scènes tournées dans l’enceinte du journal. D’autres scènes, d’ailleurs, n’ont pas cette intensité. Si The Power of the Press ne fait pas partie des réussites majeures de Capra, c’est à cause de ces fluctuations d’intensité : quelques scènes un peu banales (la découverte du crime initial notamment) contrastent avec celles dévoilant les journalistes dans leur environnement habituel.

En revanche, le mélange des genres fonctionne parfaitement. Drame social ? Comédie ? Intrigue policière ? Film politique ? Thriller ? Capra choisit de tirer tous ces fils à la fois avec cette histoire d’un jeune journaliste débutant qui mène l’enquête après le meurtre d’un homme influent. Il n’en privilégie aucun et va au bout de chacun de ces fils. Et c’est passionnant.

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