Milliardaire pour un jour (Pocketful of Miracles) – de Frank Capra – 1961
Comme Fritz Lang l’année précédente, Frank Capra referme sa très riche filmographie en renouant avec un univers qui lui avait bien réussi en 1933 : le Docteur Mabuse pour Lang, Grande Dame d’un jour pour Capra, qui en signe un remake haut en couleurs, dans tous les sens du terme.
D’abord parce ce que les couleurs sont chaudes et éclatantes. Ensuite parce que les rebondissements et le rythme général sont d’une générosité assez folle, qui flirte avec l’univers d’un Lubitsch. Lubitsch et Lang : des références loin d’être évidentes quand on évoque Capra.
Bon : le point commun avec Lang repose à peu près exclusivement sur le hasard du remake ou de la suite tardif(ve). Mais l’ombre de Lubitsch semble bel et bien planer sur cette comédie de la haute société, dont l’effervescence et la rapidité ne ressemblent pas totalement à du Capra classique.
Ce petit décalage tient à un choix narratif, qui est aussi la plus grande limite du film : Capra opte pour le point de vue du personnage de Glenn Ford, sympathique bootleger à la croisée des chemins après la fin de la Prohibition, alors que celui qui importe vraiment est celui de Bette Davis, clodo qui se fait passer pour une dame de la haute société pour sa fille, qu’elle n’a pas vue depuis des années.
Le problème de Milliardaire d’un jour aurait été celui de Certains l’aiment chaud, si Wilder avait fait de George Raft un personnage central en reléguant Marylin à l’arrière plan. Bref, Capra donne souvent le sentiment de se tromper de film en passant à côté de l’essentiel, et c’est fort dommage.
Parce que les scènes avec Bette Davis sont magiques, dignes de ce que Capra a fait de mieux dans sa carrière. Un exemple : une scène, celle où Apple Annie (le personnage de clocharde joué par Davis) désespère de récupérer la lettre de sa fille, et dont la lecture lui procurera un choc immense… Cette scène, faussement légère, est d’une beauté saisissante, et remarquablement filmée par un cinéaste dont l’inspiration semble alors au sommet.
Il y a comme ça une demi-douzaine de très beaux moments dans Milliardaire pour un jour, tous tournant autour d’une Bette Davis habitée, et sobre. En retrait, même, presque reléguée à un rôle de faire valoir pour un Glenn Ford très impliqué, et très bien. Irréprochable, donc. D’ailleurs, j’aime bien Glenn Ford, capable de tout jouer, dans tous les genres et dans tous les registres, avec la même vérité.
Mais il a beau être très bien, son personnage et les enjeux dramatiques qu’il trimballe sont loin d’être aussi passionnants et profonds que ceux de Bette Davis. Et puis Capra échoue à donner une cohérence, un rythme commun, aux drames qui s’entremêlent. Son film, dont chaque scène est superbement mise en scène (dès l’ouverture, brillante), n’a pas l’unité et la fluidité de ses chefs d’œuvre. Le plaisir qu’on y prend est réel, et grand. Mais il est épisodique.