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Archive pour la catégorie 'TARR Bela'

Damnation (Kárhozat) – de Béla Tarr – 1988

Posté : 28 novembre, 2023 @ 8:00 dans 1980-1989, TARR Bela | Pas de commentaires »

Damnation

Béla Tarr filme la laideur, et c’est magnifique. Visuellement en tout cas, tout en plans séquences, en mouvements de grue et en panoramiques extraordinaires. Parce que les personnages, eux, ne le sont pas (magnifiques). Ils sont même d’une tristesse et d’une noirceur assez abyssales, quand on prend le temps de les observer.

Et il le prend (le temps), notre cinéaste hongrois préféré, qui semble redoubler d’intensité lorsqu’il filme les silences, l’ennui, le temps qui paraît même ne pas passer tant les personnages s’enfoncent dans un immobilisme radical, tout en moments sans cesse rejoués, en paroles presque vides de sens, en tout cas d’intérêt.

On pourrait résumer l’histoire assez simplement : un homme coupé du monde peine à conquérir une jeune chanteuse avec laquelle il a une liaison intermittente, et profite d’une occasion qui se présente pour envoyer le mari de cette dernière convoyer un chargement de drogue… Une intrigue de film noir, avec anti-héros, mari cocu, femme fatale… et pluie battante.

Pourtant, Tarr ne fait de cette intrigue qu’une vague trame, qu’il relègue au second plan, loin derrière l’observation de ces êtres qui se désagrègent. Une vision que renforcent les décors glauques, tout en friches et en terrains vagues, mais aussi ce noir et blanc au grain profond qui sera la marque du cinéaste dans ses grands films à venir.

Il y a quand même quelque chose d’assez intimidant à parler d’un film de Béla Tarr. Parce que l’intrigue est secondaire. Parce que son cinéma est un étonnant mélange d’austérité et de générosité, d’un rythme extrêmement lent et d’images superbes. Parce que ces images forment un tout fascinant et parfois abscons.

Une chose est sûre : Damnation est une suite presque ininterrompue d’images d’une puissance incroyables, qu’on aurait envie de toutes citer. Deux exemples, simplement… Le premier plan d’abord, paysage désolé et vaguement industriel que sa durée rend fascinant, annonçant l’ouverture hypnotique du Cheval de Turin. Et puis ce face à face inattendu et hallucinant entre le « héros » et un chien, les deux se lançant dans une espèce de duel, ou de danse, sous très haute tension.

On sort de Damnation avec le sentiment d’avoir vécu une expérience hors normes, et d’avoir été plongé dans les tourments internes de personnages paumés et presque résignés. Et c’est déstabilisant.

Le Cheval de Turin (A Torini lo) – de Béla Tarr – 2011

Posté : 2 juin, 2013 @ 6:31 dans 2010-2019, FANTASTIQUE/SF, TARR Bela | Pas de commentaires »

Le Cheval de Turin (A Torini lo) – de Béla Tarr – 2011 dans 2010-2019 le-cheval-de-turin

Un cheval tire avec peine une charrette dans un paysage désolé, balayé par une violente tempête. Le plan, le premier du film, est long, très long. Le cheval avance difficilement, tandis que la caméra le suit dans un travelling incroyable. Ce premier plan séquence du Cheval de Turin provoque une sensation exceptionnelle, une émotion qui s’explique difficilement, mais qui vous prend aux tripes.

Est-ce la beauté sidérante de ces images en noir et blanc ? Est-ce la musique lancinante et fascinante ? Les quelque deux heures vingt de ce film provoquent des émotions aussi fortes que cette première scène. Pourtant, le film est d’une langueur absolue. On pourrait dire qu’il ne se passe pas grand-chose : un père et sa fille qui répètent, jour après jour, les mêmes gestes du quotidien, dans une ferme isolée de tout par la tempête, et quasiment sans se parler.

Mais ces gestes, immuables mais filmés systématiquement de manière différente, sont fascinants. Ils en disent plus sur ces personnages, sur leur situation et leur état d’esprit, que de longs discours. Jour après jour, on assiste au même repas : une patate chacun, trop chaude, dévorée dans le silence… Pourtant, chacun de ces repas est différent. Les jours qui se suivent se ressemblent, mais sont pourtant radicalement différents, à cause de petits détails qui changent tout.

Les vers qui ne font plus de bruit dans les boiseries de la ferme, le cheval qui refuse d’avancer, puis de se nourrir, la visite impromptue d’un voisin, l’eau du puits qui disparaît, puis le feu… Les signes, d’abord très minces, se succèdent, annonçant un changement radical. Et chacun d’entre eux crée un malaise persistant.

Est-ce la fin du monde à laquelle on assiste ? Qu’importe : c’est un grand film que l’on découvre, l’œuvre d’un cinéaste qui sait faire parler les visages, les pierres et l’obscurité avec une profondeur inouïe, et qui filme le temps (et le cheval) comme personne ne l’a fait avant lui. Des films aussi puissants et beaux que ce Cheval de Turin ne sont pas si courants…

 

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