Le Banni des îles (Outcast of the islands) – de Carol Reed – 1951
Dans l’Asie colonisée de la fin du 19e siècle, un jouisseur britannique cynique et peu scrupuleux perd en quelques heures son job et son foyer. Il réussit à fuir la police qui le recherche en manipulant un capitaine de bateau, le seul homme qui lui ait jamais donné sa chance, et qui l’emmène jusqu’à une île inaccessible, par une voie maritime dont lui seul a le secret.
Après Le Troisième Homme, Carol Reed se sent visiblement en confiance, et plein d’ambition. Il porte son dévolu sur un roman de Joseph Conrad, et réaffirme son goût pour les immersions dans des décors inédits, pour un cinéma à visée ethnologique, qui ne sacrifie pas pour autant le récit et ses drames.
Le destin de ce « héros », sale type antipathique dont on a bien du mal à plaindre la déroute, est surtout l’occasion de confronter son regard d’occidental (celui du personnage comme celui du cinéaste) à une culture dont il ne connaît visiblement pas grand-chose, mais qu’il découvre avec une fascination manifeste, et dont il cherche à capter l’esprit avec des décors naturels pour l’essentiel, et de nombreux figurants hindous.
Ambitieux, le film n’est pourtant qu’à moitié réussi. Il semble même y avoir là deux films qui peinent à se comprendre. D’un côté, ces images fascinantes de la vie dans ce village sur le fleuve, avec de nombreux gros plans sur des gueules qui semblent surprises dans leur quotidien, comme des images volées à une société disparue. De l’autre, des compromis impardonnables pour un tel sujet, avec des acteurs européens lourdement maquillés pour jouer les personnages d’indigènes les plus importants. Gênant.
Une grosse erreur de casting, aussi : Ralph Richardson, qui fait un vieux loup de mer très carton-pâte avec son phrasé tout en outrances et en vibrato et un charisme réel mais théâtral, rompant brusquement et malheureusement avec la recherche de vérité du film. Dommage, parce que Trevor Howard, lui, est très bien dans le rôle principal, comme Robert Morlay, pathétique et inquiétant.
La confrontation de ces deux hommes, représentant deux aspects également détestables de l’arrogance coloniale européenne, colle elle parfaitement au propos du film, qui souligne derrière le drame humain la cohabitation impossible de deux cultures, deux civilisations qui ne se comprennent pas et, surtout, ne s’aiment pas.
Un peu le cul entre deux chaises, Carol Reed s’en tire avec les honneurs. Et faute de réussir un ensemble vraiment cohérent, il rappelle le temps que quelques séquences remarquablement construites qu’il peut être un cinéaste passionnant, comme lors de cette étreinte dans l’obscurité d’une cabane, troublée par l’irruption du vieil aveugle, scène visuellement splendide comme tout droit sortie d’un film noir. Ou la dernière séquence, sous la pluie, où le suspense et le pathétique atteignent des sommets…