L’Affaire Rachel Singer (The Debt) – de John Madden – 2011
Réalisateur du poussif Shakespeare in love, John Madden surprend avec ce film d’espionnage qui renoue agréablement avec la grande tradition du genre. C’est en effet dans le Berlin Est des années 60 que l’essentiel de l’intrigue se déroule : trois agents du Mossad, les services secrets israéliens, sont chargés d’enlever et d’extrader clandestinement un criminel de guerre nazi. Si l’enlèvement lui-même se déroule sans grande difficulté, la suite s’avère bien plus problématique…
A cette base très classique s’ajoute une construction relativement complexe : le film se déroule en fait sur deux époques : les années 60, et les années 90, alors que les trois membres du Mossad sont considérés comme des héros depuis trente ans, pour avoir tué leur cible, qui tentait de s’échapper. Mais le passé semble peser lourdement sur les épaules de ces trois anciens agents de terrain : le chef de groupe devenu un ponte du Mossad, son second qui réapparaît des années après avoir mystérieusement disparu, et la jeune femme du groupe, visiblement rongée par des fantômes qui ne disent pas leur nom.
Les longs flash-backs dans le Berlin de 1966 constituent l’essentiel du film. Pourtant, le véritable enjeu se déroule bel et bien en 1997, et se dévoile petit à petit : car les trois agents n’ont pas dit exactement toute la vérité. Ce criminel nazi, qu’ils affirment depuis trente ans avoir tué, donne subitement des signes de vie. En même temps que ce mensonge (la cible s’est bel et bien échappée, ce soir-là), c’est tout le véritable thème du film qui se dévoile : le poids du mensonge, et de la compromission.
Car ce qui est terrible, dans ce mensonge, c’est que les jeunes agents ont une foi inébranlable en leur mission : enfants de victimes de la Shoah, ils ont conscience de travailler pour l’Histoire, et pour la Justice (avec un grand J, oui). Conscients de ne pas avoir le droit d’échouer, au regard d’un peuple qui a besoin de voir ses bourreaux punis pour enfin renouer avec la paix. On voit que le film de Madden est particulièrement ambitieux, et dépasse largement le simple cadre du film d’espionnage.
Cette ambition est-elle satisfaite ? En partie seulement : le personnage du chef de groupe est un brin caricatural, et celui de la jeune femme (interprétée à l’âge mur par Helen Mirren) manque un peu de profondeur. Mais celui, plus discret, du jeune agent qui fête ses 29 ans durant la mission, est passionnant. Interprété par Sam Worthington puis par Ciaran Hinds (qui, s’ils ne se ressemblent pas, partagent le même regard douloureux), il représente à lui seul tout l’enjeu du film : jeune agent totalement dirigé vers sa « mission », et dont les fantômes lui interdisent de vivre l’histoire d’amour qui lui était promise, il sera toute sa vie hanté par le mensonge dont il s’est rendu complice en dépit de toutes ses convictions, mensonge dont l’issue tragique, pour lui, est inéluctable, même si elle mettra trente ans à arriver.
Le dénouement un peu bâclé du film laisse planer un petit sentiment d’inachevé sur ce thème passionnant. L’Affaire Rachel Singer reste cependant l’un des meilleurs films d’espionnage de ces dernières années.