Dans les rues – de Victor Trivas – 1931
Etrange film, vraiment, que signe Victor Trivas . Un film dont l’ambition est de nous plonger au cœur d’un quartier populaire du Paris de l’entre-deux-guerres, à travers le destin d’un jeune homme à peine entré dans l’âge adulte, et qui doit trouver sa voix alors que son père est mort à la guerre, que l’emploi est rare, et que la tentation de la rue est grande.
Ce jeune homme, c’est Jean-Pierre Aumont, tout jeune comédien, symbole ici de toutes les incertitudes et de toutes les craintes d’une époque. Un symbole qui ne fera que de mauvais choix, et qui ne sera sauvé que par l’amour : celui de sa petite amie, charmante Madeleine Ozeray ; du père de celle-ci, chiffonnier au grand cœur joué par Vladimir Sokoloff ; de son frère (Lucien Paris) qui lui est entrée dans le rang ; et surtout de sa mère taiseuse bouleversante (Marcelle Worms).
Le film de Trivas est curieux, parce qu’il paraît extrêmement brouillon : la narration est pour le moins approximative, et le rythme à peu près inexistant.
A vrai dire, Trivas n’est pas un vrai cinéaste. Mais c’est un peintre absolument passionnant, qui crée des tableaux (des séquences) saisissants de réalisme, qui vous prennent aux triples et ne vous lâchent plus.
Des séquences parfois très anodines : il y a un passage sublime, dans un café miteux où la patronne pousse la chansonnette pendant que la plupart des clients dorment. Aumont et Ozeray, côte à côte, silencieux, se rapprochent maladroitement, prémisses timides d’une belle histoire d’amour.
Mine de rien, Trivas fait de ce jeune homme, Aumont, un gosse symbolique de cette génération de l’entre-deux-guerres, fanfaronnant alors qu’il ne demande qu’à trouver sa propre voie…
Le film est beau parce qu’il n’assène rien, mais qu’il dit beaucoup, sur cette génération marquée par le sacrifice de ses pères et par l’incertitude de l’avenir. Il dit beaucoup sur la société en général, notamment à travers cette scène édifiante où le chiffonnier peu présentable manque de se faire lyncher en pleine rue…
Et puis il dit aussi beaucoup sur la jeunesse perdue. La scène où ces jeunes entonnent une chanson est bouleversante, parce qu’elle nous fait ressentir le mal-être de ces jeunes hommes et de ces jeunes femmes qui semblent ne même plus rêver à une société plus accueillante.
Dans les rues n’est fait que de ces moments forts et inoubliables. Une œuvre unique, et indispensable.