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Archive pour la catégorie '2020-2029'

Vingt Dieux – de Louise Courvoisier – 2024

Posté : 14 janvier, 2025 @ 8:56 dans 2020-2029, COURVOISIER Louise | Pas de commentaires »

Vingt Dieux

Il y a un charme fou, et une délicatesse mine de rien infinie dans ce premier film enthousiasmant, à l’histoire improbable : un très jeune Jurassien qui se retrouve seul avec sa petite sœur après la mort de leur père, et qui décide de fabriquer le meilleur fromage du coin pour gagner l’argent qui leur permettra de s’en sortir.

C’est plein de charme, parce qu’il y a une vraie candeur dans la manière de filmer ce jeune gars pas encore totalement sorti de l’adolescence, brut de décoffrage, un peu bagarreur, grossier, magouilleur, mais en même temps tellement sincère. Un gamin, confronté à des responsabilités de grands.

Louise Courvoisier, trentenaire qui n’avait que deux courts métrages à son actif, trouve la parfaite distance pour filmer l’humanité de cette forte tête qui refuse de montrer ses sentiments. Flirtant avec la comédie et la tragédie, elle flirte constamment avec ces deux extrêmes, tirant de larges sourires et nouant le ventre dans le même mouvement.

Outre l’authentique délicatesse de sa mise en scène, à ne pas sous-estimer (une cinéaste à suivre, assurément), l’un de ses tours de force est d’avoir dénicher l’interprète de « Totone » : Clément Faveau, débutant de 19 ans dont il est difficile de parler sans tomber dans les clichés. Alors allons y : il crève l’écran, il est bluffant de vérité, il est d’une justesse absolue, il a un sourire qui emporte tout, et un regard tellement profond…

Et en plus, c’est drôle. Vingt Dieux domine de trois têtes la vague actuelle du cinéma « régionaliste ». Il a séduit public et critique, et c’est une sacrément bonne nouvelle, et une belle manière de terminer 2024 (oui, j’ai un peu de retard), chouette année de cinéma.

Grand Tour (id.) – de Miguel Gomes – 2024

Posté : 11 janvier, 2025 @ 8:00 dans 2020-2029, GOMES Miguel | Pas de commentaires »

Grand Tour

Dans la Birmanie de 1918, un fonctionnaire de l’Empire britannique prend subitement la fuite, alors que sa fiancée s’apprête à le rejoindre après des années de séparation. Cette dernière part à sa recherche, et suit sa trace étape par étape, à travers toute l’Asie…

C’est presque une histoire de vaudeville : un homme effrayé par l’engagement d’un mariage, une femme pleine de vie qui lui court après. Mais c’est tout à fait autre chose que filme Miguel Gomes : un double voyage dans des contrées inconnues, qui est tout à la fois une découverte qu’une manière de se perdre, dans tous les sens du terme.

Grand Tour ne ressemble à rien d’autre, et c’est un immense compliment fait à Miguel Gomes, qui ose faire ce que peu d’autres cinéastes ont osé depuis des décennies : réinventer une forme de cinéma, s’inscrivant ainsi dans la lignée des grands formalistes des origines, qui avaient tout à créer. Le résultat est une merveille, qui tient tout à la fois de la grande fresque romanesque que du film expérimental.

Intime et grandiose, narratif et introspectif, linéaire et nébuleux. Une véritable expérience de cinéma que nous offre Gomes, absolument fascinante. C’est l’histoire d’un homme et d’une femme, mais ce sont aussi les rencontres, qui comptent, avec des personnages étonnants, grotesques ou touchants, et avec des paysages, qui prennent souvent le pas sur les êtres.

Les personnages, d’ailleurs, disparaissent parfois durant de longues minutes, laissant place aux villes qu’ils découvrent, à leurs habitants si éloignés d’eux. Le voyage et la découverte deviennent alors les personnages principaux de ce film fascinant et magnifique. Où le fait de ne plus voir les personnages à l’écran nous les rend plus intimes encore.

Le film est coupé en deux parties à peu près égales, qui racontent le même voyage, plongée de plus en plus profonde au cœur d’une culture de plus en plus opaque. D’abord l’homme, Edward (joué par Gonçalo Waddington), qui fuit pour se perdre, comme étranger à lui-même, suivant le premier venu comme si sa vie en dépendait. Ensuite la femme, Molly, débordante de vie et de dynamisme, qui avance parce que c’est ce qu’elle a décidé…

Elle est jouée par Crista Alfaiate, actrice rayonnante dont le visage dans Grand Tour pourrait illustrer le mot « solaire » dans le dictionnaire. Magnifique personnage, qui se perd peu à peu à mesure qu’elle se rapproche de celui qu’elle a décidé d’épouser. Son apparition à mi-film donne littéralement un coup de fouet au spectateur, jusque là happé par l’apathie de son fiancé.

Sous le charme de Crista Alfaiate, sous le charme de ce film merveilleux, sous le charme des images hypnotiques de Miguel Gomes, fer de lance du nouveau cinéma portugais, dont je n’avais pas vu les films précédents. Celui-ci donne une furieuse envie de s’y plonger.

Here – les plus belles années de notre vie (Here) – de Robert Zemeckis – 2024

Posté : 10 janvier, 2025 @ 8:00 dans 2020-2029, ZEMECKIS Robert | Pas de commentaires »

Here

On a envie de les aimer passionnément, les films de Zemeckis. On a envie de les aimer, et d’accompagner ce réalisateur qui, quarante ans après ses premiers succès, a gardé le même enthousiasme, la même envie de relever des défis, ces défis qui semblent bien souvent être la raison d’être de ses films.

Mais il faut bien se faire une raison : derrière la gageure technique de ses films, il manque bien souvent ce petit supplément d’âme qui faisait la différence avec Retour vers le Futur, voire avec Qui veut la peau de Roger Rabbit ?, Forrest Gump et quelques autres. Here ne fait pas exception : d’un parti-pris casse-gueule, Zemeckis tire un film assez passionnant, sans temps mort, mais où l’émotion reste largement à la porte. Hélas.

Le parti-pris, donc, est le même que celui de la bande dessinée dont le film est adapté (par Zemeckis et Eric Roth, son co-scénariste de Forrest Gump). Une caméra fixe dans une maison, où nous assistons aux vies de plusieurs générations successives d’habitants : les arrivées, les départs, les naissances, les morts, les rêves, les engueulades, les regrets… Bref, un procédé original pour filmer le temps qui passe, les générations qui se succèdent, et ce depuis… l’extinction des dinosaures. Zemeckis aurait d’ailleurs pu se passer des quelques minutes d’introduction, qui n’apportent pas grand-chose d’autre que la mention « a filmé des dinosaures » sur le CV du cinéaste.

Pour le reste, le parti-pris de mise-en-scène (aucun mouvement de caméra, donc, et uniquement des plans séquences), aussi restrictif soit-il, est parfaitement tenu par Zemeckis, qui utilise très habilement les cadres dans le cadre pour passer d’une période à une autre dans un constant va-et-vient plein de rythme, qui donne un vrai coup de neuf à la notion même de montage.

Zemeckis reste donc un réalisateur habilement novateur. Mais comme souvent, disais-je, l’émotion n’est pas au rendez-vous, ou si peu. Peut-être est-ce dû, justement, au parti-pris trop réducteur. Ou aux effets spéciaux désormais si courant du de-aging, qui permet de retrouver la jeunesse de Robin Wright et Tom Hanks (autre parenté avec Forrest Gump), mais avec un lissage numérique qui nuit à l’intensité de leur jeu.

Disons que Zemeckis est toujours un réalisateur intéressant. Mais qu’il gagnerait peut-être à délaisser les technologies les plus pointues pour revenir à un cinéma plus bricolo et plus humain. Mais n’est-ce pas une phrase qu’on peut appliquer à l’immense majorité des blockbusters hollywoodiens ?

Carry-on (id.) – de Jaume Collet-Serra – 2024

Posté : 26 décembre, 2024 @ 8:00 dans 2020-2029, ACTION US (1980-…), COLLET-SERRA Jaume | Pas de commentaires »

Carry-on

Ne comptez pas sur moi pour être original ! Après tout, est-ce que Carry-on l’est, hmmm ? Tout le monde compare le grand succès Netflix de la fin d’année à la saga Die Hard ? Eh bien je vais m’empresser de faire la même chose. D’ailleurs, il me semble à peu près certain que le scénariste a pensé très fort à 58 minutes pour vivre en écrivant l’histoire d’un homme seul affrontant une menace terroriste dans un aéroport bondé la veille de Noël.

Premier constat : Taron Egerton n’est pas Bruce Willis. Et on pourrait presque s’arrêter là, tant la comparaison est cruelle, et vient renforcer un sentiment déjà tenace depuis un moment : le film d’action made in 2020s n’a pas d’âme. On trouvera toujours des contre-exemples, mais pas ici, pas dans cet aéroport, où la fadeur de l’acteur produit l’effet exactement inverse au charisme de dingue du Bruce d’il y a trente ans.

Deuxième constat : Jaume Collet-Serra n’est pas John McTiernan. Et on pourrait presque s’arrêter là, tant la comparaison est cruelle, et vient renforcer un sentiment déjà tenace depuis un moment : le film d’action made in 2020s n’a pas d’âme… Comment ? Je l’ai déjà dit ?… Eh bien c’est que j’ai de la constance.

Ce n’est pas qu’on s’ennuie franchement : c’est rythmé, et il se passe plein de choses, avec un énorme enjeu dramatique. Et, surtout, un dilemme assez malin auquel est confronté le héros, agent de sécurité qui doit choisir entre deux options inacceptables : laisser passer une valise contenant un agent chimique très très mortel qui va coûter la vie à 200 personnes, ou laisser sa fiancée se faire abattre. Bon… je mettrais bien un billet sur une troisième option.

On ne s’ennuie pas franchement donc, mais entre un acteur transparent (qui n’est d’ailleurs pas le pire, Sophia Carson, dans le rôle de sa fiancée, se révèle une actrice assez désespérante) et un réalisateur efficace mais sans la moindre aspérité, difficile de se sentir impliqué outre-mesure. Seule bonne surprise finalement : le méchant incarné sans grands effets par Jason Bateman, plutôt à contre-courant des méchants habituels. Ça ne suffit pas faire de Carry-on un monument du genre, mais ça suffit pour assurer l’intérêt.

La plus précieuse des marchandises – de Michel Hazanavicus – 2024

Posté : 13 décembre, 2024 @ 8:00 dans 2020-2029, DESSINS ANIMÉS, HAZANAVICUS Michel | Pas de commentaires »

La Plus précieuse des marchandises

Serge Hazanavicus a une propension assez réjouissante à ne jamais être là où on l’attend. Refusant de se laisser enfermer dans des cases trop faciles, il n’a cessé de prendre le contre-pied de lui-même, fuyant les comédies-pastiches après OSS 117 et sa suite, ou une carrière américaine toute tracée après les Oscars de The Artist.

Et il parvient encore à nous surprendre, en se lançant dans le film d’animation. Et dans le conte. Et dans le récit de la Shoah. Autant dire que l’ambition est grande. Et le résultat est beau, sincère, humble, et d’une délicatesse qui n’étonnera pas les admirateurs du cinéaste, confronté comme tant d’autres avant lui à la même problématique : comment représenter la Shoah.

La forme du conte, avec la belle voix off de Jean-Louis Trintignant (dans son tout dernier rôle au cinéma), permet à Hazanavicus de viser l’abstraction, en ne montrant des camps d’extermination que des visages émaciés, des regards hallucinés, et des visions cauchemardesques. Littéralement : comme sorties des rêves horrifiés de ceux à qui on a tout pris.

Jean-Claude Grumberg, dont la famille a été décimée dans les camps de la mort, a écrit le conte. Hazanavicus le porte à l’écran avec un grand respect, et avec la volonté de mettre en valeur la dignité de ses personnages, qu’il a lui-même dessinés dans une sorte d’épure qui colle parfaitement au ton du film.

Le conte, donc, une sorte de contre-pied au Petit Poucet, cette histoire idiote… « Où a-t-on vu des parents abandonner un enfant parce qu’ils n’avaient pas de quoi le nourrir », ironise la voix de Trintignant. Là aussi, un pauvre bûcheron et une pauvre bûcheronne, une forêt, un enfant perdu… Mais cet enfant, c’est un bébé lancé d’un train fonçant vers la mort par un père désespéré.

C’est un « sans-cœur », comme les appellent les gens d’ici, dans ce film où le mot « Juif » n’est jamais prononcé. Un sans-cœur recueilli par pauvre bûcheronne, mais dont pauvre bûcheron ne veut pas, jusqu’à ce qu’il découvre qu’il a un cœur. Le conte est bouleversant, révoltant, et beau, dans ce qu’il dit de l’autre, de la différence, de l’attention.

La Plus précieuse des marchandises est un film dur, cruel, mais aussi plein de vie. Et Hazanavicus réussit le miracle de ne jamais être larmoyant. Pas facile, avec une telle histoire. Cette délicatesse constamment tenue, et l’élégante épure des dessins et de l’animation, en font une belle et grande réussite.

Leurs enfants après eux – de Ludovic et Zoran Boukherma – 2024

Posté : 9 décembre, 2024 @ 8:00 dans 2020-2029, BOUKHERMA Ludovic, BOUKHERMA Zoran | Pas de commentaires »

Leurs enfants après eux

La comparaison de cette adaptation du prix Goncourt Nicolas Mathieu avec L’Amour ouf semble inévitable selon à peu près tous les critiques de cinéma. N’ayant pas vu l’énorme succès de Gilles Lellouche, je me permets d’éviter cette comparaison inévitable. De la même manière, n’ayant pas lu le roman de Nicolas Mathieu (mais que fais-je de mes soirées ?), je ne jugerais pas de la qualité de l’adaptation.

Le film, donc, et rien que le film. Un bien beau geste, à vrai dire, que ce portrait d’une époque à laquelle les frangins réalisateurs en étaient encore au biberon ou aux biscuits humides. Un film générationnel, presque, taillé pour des spectateurs de ma génération : celle qui avait 14 ans au début des années 1990, et qui a fait la fête avec tous les Français ce soir du 12 juillet 1998, sans pourtant aucun signe avant-coureur d’une quelconque passion pour le football…

Bref, il est question d’adolescence et d’une époque comme en suspens, qui plus est dans une région elle aussi en suspens : une vallée boisée de l’Est de la France, sinistrée par la fermeture des hauts fourneaux, qui cherche à se réinventer avec une piste de ski d’été… Le temps suspendu : l’adolescence, donc, à travers le parcours d’Anthony, joué par la grande révélation du Règne animal Paul Kircher, incarnation presque jusqu’au-boutiste de l’ado, jusqu’à l’acné envahissante.

L’histoire se déroule sur quatre étés fondateurs pour l’ado, que l’on voit se transformer subrepticement tout en restant foncièrement le même : 1992, 1994, 1996 et 1998, et autant d’étapes pour les relations fondatrices du jeune Anthony. Le coup de foudre qu’il éprouve pour « Stéph », cette fille « tellement belle » d’un milieu social bien plus élevé que le sien. L’animosité menaçante qui l’oppose à Hacine, le bledard qui se rêve en nouveau Scarface. Et ses liens si compliqués avec son père alcoolique et sa mère fanée avant l’heure.

Dans le rôle des parents, Ludivine Sagnier et Gilles Lellouche sont formidables. Parce que même si le film est entièrement construit autour de la trajectoire d’Anthony (bien plus que le roman, paraît-il), le titre lui-même souligne la place de ces parents, pas vieux mais plus jeunes pour autant, qui réalisent que c’est au tour de leur rejeton de découvrir les choses, de vivre intensément. Résignés, qu’ils sont. Ils sont justes, touchants, et parfois bouleversants, à l’image de ce moment où le père surprend le regard plein de jugement de ce fils à qui il n’a jamais su parler.

Ce fils qui vit son adolescence d’une manière, tout de même, particulièrement extrême, guidé par une sorte d’instinct mortifère qui semble mener le film vers le drame le plus profond, et la violence la plus radicale. Et c’est là qu’intervient un personnage qui semble simplifié à l’extrême par rapport au roman : Hacine, confiné au rôle de Némésis d’Anthony, grenade dégoupillée que l’on sent constamment sur le point d’exploser.

C’est pourtant lui qui, dans la dernière partie, passionne le plus. Là, il incarne à lui seul la complexité de cet âge de transition, à la fois la violence des passions et la naissance de la résignation. Et on se dit qu’il aurait mérité mieux que ce rôle un peu sacrifié, une place plus centrale. Parce que dans cette dernière partie, le couple impossible n’est plus celui que l’on imaginait jusque là. Dans une virée nocturne à moto, ce duo là est aussi troublant que touchant.

En fanfare – d’Emmanuel Courcol – 2024

Posté : 5 décembre, 2024 @ 8:00 dans 2020-2029, COURCOL Emmanuel | Pas de commentaires »

En fanfare

C’est pas tous les jours que les grandes comédies populaires sont chroniquées sur ce blog. Mais celle-ci réussit là où la plupart des autres ne font pas même mine d’essayer : associer la popularité du propos et un vrai regard d’auteur. Bref (et hélas), presque une comédie à l’ancienne.

C’est aussi une comédie qui va à l’essentiel, et qui ne perd pas de temps en introductions interminables. Quelques minutes seulement : c’est le temps qu’il nous faut pour qu’on fasse la connaissance du grand chef d’orchestre joué par Benjamin Lavernhe, pour qu’il découvre qu’il a une leucémie, que sa sœur n’est pas compatible pour une greffe de moelle, que sa sœur n’est pas sa sœur, qu’il a été adapté, qu’il a un frère, et que ce dernier (Pierre Lottin) est musicien dans une fanfare du Nord.

C’est beaucoup d’informations, c’est raconté avec une efficacité et une économie de moyens digne des grands maîtres classiques de la comédie américaine, et c’est, déjà, à la fois touchant et drôle. Et ça aussi, c’est beaucoup. Bon… Emmanuel Courcol n’est pas Lubitsch : il n’en a ni le rythme, ni la drôlerie. Mais l’homme est nettement plus proche d’un Pierre Salvadori que d’un Etienne Chatiliez. Ce qui est bien.

La comparaison avec Chatiliez est un peu facile, c’est vrai : les deux frères, le choc des cultures, la question de savoir ce qu’on serait devenu si on était né dans une famille plus aisée, ou plus populaire… Ces thèmes au cœur d’En fanfare étaient déjà ceux de La Vie est un long fleuve tranquille. Mais il y a, derrière le rire de façade, une émotion et une bienveillance qui touchent au cœur.

Certes, le scénario emprunte parfois des voies un peu faciles. Et la musique qui unit (ou éloigne ?) les deux néo-frères est une idée à la fois belle et assez peu crédible. Sur le papier. Mais ces facilités de scénario disparaissent à l’écran, un peu par la grâce d’une mise en scène élégante et à hauteur d’homme, et beaucoup par celle des acteurs, tous très justes.

Le duo de frères, surtout, est particulièrement touchant. Benjamin Lavernhe « de la Comédie française » est un excellent acteur, ce n’est pas une découverte : il apporte à son personnage une intensité et une douceur parfaites. Pierre Lottin, que je ne connaissais pas (pas vu Les Tuche, pas remarqué dans La Nuit du 12 – « oh ! C’est l’acteur de Lupin ! » m’apprend mon fils de 12 ans), est absolument bouleversant dans le rôle de ce frère un peu frustre.

C’est avant tout grâce à eux que En fanfare est un film si enthousiasmant. Dont on sort, euphorique et la boule dans la gorge, avec la surprise de redécouvrir que Le Boléro de Ravel peut être un morceau bouleversant quand il renoue avec ses origines ouvrières.

Napoléon – d’Abel Gance – 1927 (restauration 2024)

Posté : 3 décembre, 2024 @ 8:00 dans 1920-1929, 2020-2029, FILMS MUETS, GANCE Abel | Pas de commentaires »

Napoléon 1927

Voilà le film le plus long de ce blog : près de 7h30 de projection. Peut-être même le plus ambitieux, le plus énorme, et le plus mythique. Et c’est pourtant un film inachevé, ou plutôt le premier volet d’une immense saga qui devait retracer toute la vie de Napoléon jusqu’à sa mort. Parce que ces 7h30 hallucinantes se concentrent sur la jeunesse et l’ascension de Bonaparte, jusqu’au début de sa triomphale campagne d’Italie, en 1797.

Le Napoléon d’Abel Gance a toujours été un grand classique du cinéma, quelle que soit son montage (le plus récent et le plus complet, datant d’il y a une vingtaine d’années, dépassait déjà les 5h). Mais jamais, depuis près d’un siècle, on n’avait eu l’occasion de voir ce qui ressemble bien à la vision définitive de Gance, qui plus est avec une restauration qui frôle la perfection : 7h18 de film, donc, projeté en deux parties.

Au-delà de l’intérêt historique de la chose, Napoléon surprend et émerveille par l’ampleur de sa mise en scène, et par sa beauté visuelle assez hallucinante. A vrai dire, il semble bien qu’il n’y ait pas le moindre plan anodin dans cette fresque fleuve. C’est comme si Abel Gance (qui se réserve le petit rôle de Saint-Just) avait pensé chaque image comme une œuvre en soit. Pour dire ça autrement : il y a plus de cinéma dans une seule scène de Napoléon que dans la majorité des blockbusters actuels.

Voir Napoléon aujourd’hui impressionne d’ailleurs par cette ambition formelle, et par les moyens qui y sont déployés : des centaines, voire des milliers de figurants à l’écran, une reconstitution historique impressionnante, et surtout une invention formelle de chaque instant. On a beaucoup parlé du triple écran, innovation technique spectaculaire qui se résume à vrai dire au dernier quart d’heure, soulignant l’ampleur et la dimension quasiment mystique de la campagne d’Italie. Mais ce n’est finalement qu’une innovation parmi d’autres.

Un montage savant, des travellings dynamiques qui nous plongent au cœur de l’action et des drames, une caméra portée autrement plus convaincante que les excès du cinéma hollywoodien récent qui rendent l’action illisible… Ce n’est pas la première fois qu’Abel Gance signe une grande fresque qui est aussi du cinéma total : quatre ans plus tôt, La Roue était déjà un immense chef d’œuvre d’une invention et d’une maîtrise hallucinantes.

L’ambition est sans doute plus grande encore pour Napoléon. Et même s’il n’évite pas quelques longueurs (dans la partie finale surtout, qui flirte avec la grandiloquence), le film bénéficie d’un rythme incroyable, tout au long de séquences toutes mémorables. Dès la première : magnifique évocation de l’enfance de Bonaparte à l’école militaire de Brienne, avec une bataille de boules de neige homérique et la présence très symbolique (et émouvante) d’un aigle.

Le plus impressionnant : le siège de Toulon, sommet de mise en scène qui confronte la légende de l’homme aux horreurs des combats. Et voilà sans doute l’une des plus grandes batailles jamais filmées au cinéma. Parce que Gance y filme aussi bien le mouvement général des combats que les visages rageux et les corps détruits, avec un mélange d’efficacité et d’émotion inégalé.

Le film est ainsi une succession de grands moments, d’événements historiques plus ou moins romancés, qui sont aussi une manière de raconter la révolution française du point de vue de Napoléon. La manière dont Gance réussit à garder ce point de vue, alors que l’homme ne participait pas aux événements, est brillante : il filme Bonaparte installé à son bureau, dans un appartement qui domine la scène, manière de l’inclure dans le récit tout en l’en gardant à distance.

Gance accorde aussi beaucoup d’attention aux autres personnages, historiques pour la plupart, à commencer par sa rencontre avec Joséphine, et leur passion naissante. Mais les plus beaux personnages, ceux qui donnent du relief à ces figures historiques, ce sont les gens du peuple, en particulier la jeune femme jouée par Annabella (dans son tout premier rôle), jamais bien loin du futur empereur, qu’elle aime d’un amour secret.

La plus belle scène du film est, d’ailleurs, peut-être celle qui s’éloigne le plus des faits historiques. Ce moment où la jeune femme se laisse emporter par son imagination romantique : ses « noces » avec l’ombre si reconnaissable de Napoléon. La puissance de la mise en scène de Gance, entièrement au service de l’émotion… C’est beau.

On pourrait évoquer à peu près n’importe quel moment du film, tant il est riche. Ou simplement conclure : voir Napoléon dans cette version là est une expérience de cinéma rare.

Au boulot ! – de Gilles Perret et François Ruffin – 2024

Posté : 23 novembre, 2024 @ 8:00 dans 2020-2029, DOCUMENTAIRE, PERRET Gilles, RUFFIN François | Pas de commentaires »

Au boulot

Il est un peu le Michael Moore français, en plus drôle et moins manipulateur, mais avec la même sincérité, et la même croyance dans la force du cinéma pour dénoncer, et pour tenter de réparer les injustices. Il est aussi le député de mon petit coin picard. Et même si je n’ai pas l’habitude de faire de la politique sur ce blog, je dois reconnaître être sorti de la salle avec une vraie fierté, en plus d’un large sourire.

Parce qu’on sort avec le sourire de ce film malin et redoutablement efficace, qui nous plonge dans le quotidien de vrais gens d’ici et là, de ceux dont Ruffin ne cesse de rappeler l’existence et les difficultés : un livreur de colis, un agriculteur, un bénévole du Secours Populaire, les ouvriers d’une usine de poissons, ou encore une aide-soignante… Autant de travailleurs aux revenus modestes (oui, surtout le bénévole) dont le regard de Ruffin et la caméra de son complice Gilles Perret soulignent l’humanité.

Pas de misérabilisme, mais un regard sans concession sur cette France invisibilisée et méprisée au quotidien par des chroniqueurs forts en gueule dans des médias aussi écœurants que CNews, C8 ou d’autres. En l’occurrence, c’est sur le plateau des Grandes Gueules de RMC que Ruffin a eu l’idée de génie qui donne son relief à ce nouveau film. En débattant avec Sarah Saldmann, « juriste » (comme elle se présente) et chroniqueuse habituée des avis très tranchés. Et très tranchants.

Les Smicards devraient déjà être contents de gagner 1300 euros, a-t-elle lancé en substance. Ça et ses propos sur les « feignasses », les « glandus » qui profitent des arrêts maladies au premier coup de froid, il n’en fallait pas plus (mais c’est déjà pas mal, reconnaissons le) au député-réalisateur pour lancer une invitation à cette grande bourgeoise parisienne : et si elle venait vivre la vie de ces Smicards ?

Il faut reconnaître à Sarah Saldmann un certain courage, ou une profonde inconscience. Ou à François Ruffin une capacité de conviction qui repose sans doute sur l’humanité qu’il dégage : pas de colère dans ses rapports avec la jeune femme, qui représente pourtant à peu près tout ce qu’il combat, mais une profonde envie de convaincre, et surtout de lever le voile sur ces glandus trop souvent résumés à leur catégorie sociale.

Bref : elle a accepté. Le film aurait sans doute existé sans elle, mais il n’aurait pas cette force comique et émotionnelle. Parce que le contraste entre la vie de l’avocate-chroniqueuse et celles qu’elle découvre dans son voyage à travers la France est saisissant, et qu’il est souvent source de sourires, et même de rires francs. C’est le regard de Ruffin qui veut ça, cette capacité qu’il a dans ses films de transformer la réalité sociale en comédie (ou le contraire) pour mieux pointer du doigt les réalités qui font mal.

Et c’est bouleversant, parce que les gens que filment Ruffin et Perret sont beaux. Derrière leurs visages parfois marqués, derrière leur élocution parfois hésitante, derrière les sourires pas dupes ou une dentition cachée qu’on n’a pas les moyens de refaire, c’est l’humanité dépouillée que dévoile le film. Il faut reconnaître que Ruffin a le sens du casting : ses « vrais gens » sont bouleversants de sincérité, de fragilité, d’humilité, et même de fierté, à l’image de cette magnifique aide-soignante qui, consciente de la dureté de son métier, le brandit comme un étendard, comme « le plus beau métier du monde ».

Sarah Saldmann elle-même est un personnage passionnant. Tellement décomplexée, tellement coupée des réalités dans son monde fait de brunchs et de défilés de mode, que sa découverte de ce qu’est réellement le quotidien de ceux qu’elle critique à longueur de chroniques sans avoir la moindre idée de ce qu’ils vivent est brutal, et même émouvant. Subrepticement arrachée à cette indécence médiatique dans laquelle est se vautre habituellement.

Elle en devient même étonnamment sympathique. C’est sans doute la magie du cinéma que de nous faire croire que tout est possible, que le vilain crapaud tout blond peut se transformer en altermondialiste enflammé. Bon… La réalité finit par se rappeler à notre bon souvenir, et Sarah Saldmann est virée avant la fin du tournage pour avoir refusé de critiquer les attaques d’Israël sur Gaza.

La fin du film n’est donc pas le « happy end » espéré par Ruffin et Perret, qui nous offrent toutefois une conclusion euphorisante et profondément émouvante sur la plage de Fort-Mahon (c’est sur la côte picarde), avec tapis rouge, champagne, et un sourire à la dentition parfaite qui nous file un shoot de joie et d’émotion comme on n’a rarement l’occasion d’en vivre au cinéma.

Longlegs (id.) – d’Osgood « Oz » Perkins – 2024

Posté : 14 novembre, 2024 @ 8:00 dans * Thrillers US (1980-…), 2020-2029, FANTASTIQUE/SF, PERKINS Osgood "Oz" | Pas de commentaires »

Longlegs

« Le meilleur film de serial killer depuis Le Silence des Agneaux », peut-on lire sur la jaquette de Longlegs. Une phrase tirée d’un obscur média, et c’est ça qui est bien avec Internet : vue la profusion de blogs (comme le mien), il est nettement plus facile de trouver des avis dithyrambiques sur n’importe quels films. Allez savoir, peut-être Playitagain sera-t-il un jour immortalisé sur un boîtier de blu ray…

Tout ça pour dire que, non, Longlegs n’est pas « le film le plus effrayant de la décennie », ni même « inoubliable » (autres citations). Mais c’est un petit film d’horreur assez flippant (vous saisissez la nuance?), et plutôt original, qui a un défaut majeur : le malaise assez dense qu’il distille dans ses premières minutes a une sérieuse tendance à se dissiper au fil du métrage. Le choc des dernières images est alors très supportable, voire très attendu.

La référence au Silence des Agneaux, cela dit, est assez évidente (et la comparaison un peu rude pour le film de Perkins). Là aussi, l’héroïne est une jeune agent du FBI qui fait ses débuts sur le terrain, et qui est confrontée à un mystérieux tueur en série sévissant depuis trente ans. Avec un aspect surnaturel assumé d’emblée : la jeune femme a des intuitions de dingue, aussi troublantes que le mode opératoire du tueur, qui semble « téléguider » les crimes, massacres de familles sans histoire.

Dans le rôle principal, Maika Monroe est très intense. Trop, même : le trauma qu’elle trimballe est total, absolu, ne laissant la place à rien d’autre qu’une boule compacte de douleurs que tout son corps traduit constamment. Peu de places pour la nuance, ni même pour la profondeur, d’ailleurs.

Face à elle, les apparitions du tueur sont presque libératrices. Il faut dire que derrière le latex du maquillage, c’est un Nicolas Cage que l’on ne reconnaît que dans la folie de son jeu, too much et génial comme il sait l’être. Faire passer une telle intensité derrière un maquillage aussi épais relève du tour de force.

Original et prenant, pas révolutionnaire et plutôt attendu. Convainquant et intriguant dans sa première partie, le film finit par s’empêtrer dans un mélange des genres (le thriller virant à l’horreur et au film de possession) plus bancal que maîtrisé.

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