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Archive pour la catégorie '2020-2029'

Les Graines du figuier sauvage (Daneh Anjeer Moghadas) – de Mohammad Rasoulof – 2024

Posté : 23 octobre, 2024 @ 8:00 dans 2020-2029, RASOULOF Mohammad | Pas de commentaires »

Les Graines du figuier sauvage

Il y a des admirations, comme ça, qui dépassent les autres. Après avoir découvert Le Diable n’existe pas, celle que j’avais pour Mohammad Rasoulof était déjà très grande. Les Graines du figuier sauvage ne fait que la renforcer, la décupler. A la fois pour le courage ahurissant du cinéaste, et tout simplement pour la beauté et la puissance tout aussi ahurissantes de son cinéma.

Loin de se plier à la pression que faisait peser sur lui le régime de Téhéran, conscient de ce qu’il risquait, Rasoulof s’est lancé dans un projet irréalisable : tourner en Iran (clandestinement, bien sûr) un film très ouvertement et très durement critique à l’égard du régime théocratique, et totalement ancré dans l’actualité : les manifestations et le vent de liberté qu’a déclenché la mort de Mahsa Amini, tuée pour avoir mal porté son voile.

Le projet même de ce film, et le destin de Mohammad Rasoulof, forcé de quitter son pays à pied pour échapper aux répressions du régime, et qui arrive en Europe à temps pour présenter son film à Cannes… Ce contexte donnait une furieuse envie de l’aimer, ce film. C’est rien de dire que c’est le cas : plus encore que son précédent long métrage, Les Graines du figuier sauvage (titre sublime) est une merveille de cinéma, un film à la fois frontal et allégorique absolument magnifique.

En y repensant quelques heures après être sorti de la salle, deux détails s’imposent et surprennent. D’abord, le film dure 2h46, ce qui semble incroyable tant l’expérience est immersive et semble condensée. Ensuite, la très grande majorité du métrage se résume à une espèce de huis clos (dans plusieurs lieux : un appartement en ville, puis une maison de campagne, enfin une ville en ruines) entre les quatre membres d’une même famille.

Le père, la mère, et leurs deux filles. Et une petite poignée d’autres personnages qui n’apparaissent au fond que brièvement. Pourtant, on sort du film avec la sensation d’avoir vu une grande fresque sur l’histoire en marche de tout un pays. Ce qu’est le film, au fond, mais concentré sur une famille dont on ne voit d’abord que le confort bourgeois, et les liens si forts et sincères qui les unissent.

Ils s’aiment, ces quatre là, c’est flagrant. Et la vie qu’ils mènent derrière les murs de ce bel appartement n’est pas loin de ressembler aux nôtres : on parle, on mange, on passe du temps sur son téléphone ou devant la télé, on rêve d’une maison plus grande… Bref, on vit, sans que rien ne vienne troubler ce bel équilibre.

Bien sûr, il y a ce voile que les femmes doivent enfiler avant de sortir : très serré pour la mère, un peu plus lâche pour les deux grandes filles. Il y a aussi cette manière dont la mère arrondit constamment les angles pour son mari, ouvertement tournée vers ses désirs à lui, et sur l’harmonie de sa famille. Et il y a ces propos flirtant avec le libertarisme que commencent à tenir les filles. La faute à leurs fréquentations étudiantes, sans doute…

« Ça leur passera », assure le père, tout à sa promotion : il vient d’être nommé « enquêteur », la dernière marche avant de devenir juge du tribunal révolutionnaire. En d’autres termes, mais il ne le découvre qu’une fois en poste : son boulot désormais, c’est de signer les arrêtés envoyant les accusés à la mort. Ce qu’il a bien du mal à assumer. Dans un premier temps en tout cas.

En filmant cette famille tiraillée entre deux visions de la société, Rasoulof donne corps aux tourments hallucinants de son pays, qu’il ausculte sans jamais céder à la facilité. Parce que, en dépit des réalités de son job, malgré les aspirations des jeunes, le lien qui unit cette famille demeure, tenu à bout de bras et de dévouement par cette mère qui semble si forte, mais qu’on sent totalement tiraillée.

Un événement vient tout bousculer : la disparition de l’arme de service du père, et le soupçon qui s’installe autour de l’identité du voleur, forcément un membre de la famille. Cette disparition met en place plus qu’un trouble, un véritable malaise, et bientôt une rupture radicale, à la fois dans le ton et dans le décor.

Loin de Téhéran, le contexte historique en marche disparaît. La situation du pays et son destin se résument à cette famille si unie transformée en anti-héros d’une espèce de film noir (et gorgée de soleil), non pas autour d’un mystérieux trésor, mais d’une prise de conscience, de cette volonté enfin revendiquée de ne plus s’asseoir devant l’homme dominant. De résister, et de vivre.

C’est fort, c’est beau, c’est plein de vie et d’un fol espoir. Les Graines du figuier sauvage, dont on espère qu’il n’est pas le dernier film iranien de Rasoulof, est un chef d’œuvre, le genre de (grands) films dont on se dit que, peut-être, ils peuvent changer le monde. A défaut, il restera un grand moment de cinéma.

La Prisonnière de Bordeaux – de Patricia Mazuy – 2024

Posté : 19 octobre, 2024 @ 8:00 dans 2020-2029, MAZUY Patricia | Pas de commentaires »

La Prisonnière de Bordeaux

Un plan, incroyable, délivre le mystère qui règne autour du titre : Hafsia Herzi qui arrive tardivement dans la grande maison bourgeoise d’Isabelle Huppert, où elle rencontre les « amis » de cette dernière, grands bourgeois qui la rabaissent sans même le réaliser à son statut social, provoquant un malaise dont Huppert elle-même ne peut s’extraire.

La jeune femme les observe à distance, tous étant regroupés derrière un canapé, comme coupés de son monde à elle, de ce monde où des gens qui doivent lutter pour vivre existent. Et Isabelle Huppert au premier plan de ce petit microcosme coupé du monde, incapable de ne serait-ce que faire un pas pour s’en extraire.

Contre toute attente, c’est elle la « prisonnière », qu’une rencontre improbable va libérer d’une vie rangée, et étouffante. Etrange hasard, quand même, que La Prisonnière de Bordeaux arrive sur nos écrans quelques mois seulement après Les Gens d’à côté. Dans le beau film de Téchiné, Isabelle Huppert et Hafsia Herzi entretenaient déjà une relation très comparable, et c’est comme si les deux films se répondaient et complétaient, si proches et pourtant si loin, jusque dans la conclusion.

Sans rien dire de cette conclusion, il y a ici une vision plus symbolique, et plus émouvante encore. Une sorte de chant d’amour à la vie, souligné par la magnifique musique d’Amine Bouhafa, qui crée dès les premières images une atmosphère particulièrement envoûtante.

Patricia Mazuy signe un beau film humain et plein d’empathie, qui déjoue tous les clichés, racontant le cheminement de deux femmes aux destins presque inverses, mais partageant pourtant une même réalité dans cette prison où elles vont visiter leurs maris. La riche et la pauvre, la bourgeoise blanche et la travailleuse d’origine nord-africaine… Qui va libérer qui ? Réponse pas si simple, dans un film fort et beau.

L’Histoire de Souleymane – de Boris Lojkine – 2024

Posté : 17 octobre, 2024 @ 8:00 dans 2020-2029, LOJKINE Boris | Pas de commentaires »

L'Histoire de Souleymane

Rien de spectaculaire, ou si peu… Un accrochage à vélo, une altercation dans un escalier… Rien que du quotidien, des petits gestes sans grande importance, mais dont l’impact a des répercussions énormes sur Souleymane, ce jeune Guinéen travaillant comme un esclave à Paris, en préparant l’entretien qui, il l’espère, lui permettra de décrocher son précieux sésame pour rester en France.

Ces petits riens, c’est une jeune femme qui refuse un colis à Souleymane, livreur à vélo (« sous-traité » par un « ami », tous les guillemets sont importants) pour qui la moindre minute perdue compte. C’est aussi une rencontre avec des policiers un peu trop insistants, le café offert par un restaurateur, ou la main offerte par un vieillard…

La précarité, l’insécurité et l’urgence de Souleymane sont telles que tous ces petits riens provoquent des torrents d’émotion, côté révolte ou côté bienveillance. C’est que la caméra de Boris Lojkine ne quitte jamais Souleymane, incarné avec une vérité et une intensité folles par Abou Sangare, acteur débutant dont le parcours évoque furieusement celui de son personnage. Sans doute ce parallèle joue-t-il dans la puissance de sa présence. Sans doute aussi est-il tout simplement un immense acteur, qui a d’ailleurs décroché un très mérité prix d’interprétation à Cannes-Un certain regard.

En suivant de si près et sans répit sa course vers ce fameux entretien à travers Paris, Boris Lojkine signe un film d’une grande humanité, et profondément immersif. Un film dont on ne sort pas indemne, pour reprendre une vieille expression galvaudée. Mais c’est vrai qu’on sort de ce film magnifique d’humanité et d’empathie sans doute un peu meilleur, après avoir partagé les frustrations, les colères, les espoirs et les angoisses de Souleymane.

On en sort aussi après ce fameux entretien, longue scène dont la mise se résume à peu près à des séries de plans sur les visages de Souleymane et de l’agente qui l’interroge, mais où se concentre soudain tout ce qu’a enduré le jeune migrant, tout ce qu’il a quitté, tout ce à quoi il s’accroche. Le générique de fin, sobre et silencieux, nous laisse plein d’amour et de révolte, mais assommé. Totalement assommé.

Megalopolis (id.) – de Francis Ford Coppola – 2024

Posté : 11 octobre, 2024 @ 8:00 dans 2020-2029, COPPOLA Francis Ford, FANTASTIQUE/SF | Pas de commentaires »

Megalopolis

Alors ? Tu as aimé ? – Euh… Repose moi la question dans dix ans, histoire de me laisser le temps de digérer tout ça… Petit dialogue à la sortie de Megalopolis, ce projet fou et démesuré porté par Coppola depuis quarante ans. Ne serait-ce que pour ça, pour cette attente à peu près aussi longue que mon parcours personnel de cinéphile, voir Megalopolis est une expérience qui ne ressemble à aucune autre. Et qui mérite, donc, largement, d’être vécue.

Une autre raison, aussi : ce sentiment que l’on a durant plus de deux heures d’être embarqué dans les méandres du cerveau de Coppola, de toucher du doigt toutes les idées qu’il a accumulées au fil des années, pour ce qui restera quoi qu’il arrive le projet de sa vie. Ce qui, pour un cinéaste aussi important, audacieux et visionnaire que Coppola, n’est pas rien.

Mais alors ? C’est bien ? Franchement, impossible de répondre simplement à cette question, tant la vision de Coppola est radicale, grandiose, foisonnante, et naïve à la fois. Utopie futuriste, relecture de l’empire romain avant la chute, tragédie familiale qui doit plus à Shakespeare qu’au ParrainMegalopolis est tout ça à la fois : une œuvre totale et, oui, radicale, qui ne fait pas grand-chose pour plaire au grand public.

Dès les premières secondes, un carton l’annonce : c’est une fable qui va nous être présentée. Avec des personnages qui sont donc des incarnations de certaines idées, souvent extrêmes d’ailleurs. Au cœur du film, il y a le rêve de ville idéale et globale incarné par Adam Driver, bâtisseur vivant presque reclus dans sa tour, capable de manier le temps, de l’arrêter au fil de ses inspirations créatrices.

Autour de lui : la politique, et l’argent, deux forces qui s’opposent à sa vision pour des raisons radicalement différentes. D’un côté : le maire joué par Giancarlo Esposito, dont la fille (Nathalie Emmanuel, que je découvre avec plaisir vu qu’elle n’a fait à peu près que des Fast and Furious avant ça) tombe amoureuse de l’ennemi juré, le bâtisseur. De l’autre : le banquier fat Jon Voight et son odieux petit-fils Shia LaBeouf, incarnations d’une décadence tout droit héritée de la culture romaine antique.

Les parallèles avec l’empire romain sont un peu lourdement appuyés, avec musique ad hoc, toges et patronymes qui vont avec, et même une course de chars où on jurerait avoir aperçu Charlton Heston. Ce qui, on l’a bien compris, n’est pas possible. C’est là que l’aspect « fable » de l’entreprise touche un peu ses limites, à force de trop vouloir rapprocher deux mondes et deux époques (l’empire romain et les Etats-Unis du XXIe siècle). Qui ont, certes, sans doute des points communs.

Il y a quoi qu’il en soit une vraie vision de (grand) cinéaste derrière cette fable. Et malgré sa richesse extrême, excessive même, qui multiplie les pas de côté et nous submergent littéralement d’idées, il y a là une incontestable maîtrise, un mouvement fascinant et d’une grande cohérence qui nous fait accepter tous les excès, et des moments de pur et de grand cinéma comme on a rarement l’occasion d’en voir.

Megalopolis est sans doute un film très imparfait, voire bancal. Ou peut-être est-il simplement génial, après tout… Franchement, il me paraît bien difficile d’avoir un avis tranché sur la question avant de l’avoir revu, et surtout de l’avoir laissé infuser… Quoi qu’il en soit : c’est l’œuvre d’un cinéaste immense, qui n’a cessé d’inventer de nouvelles formes au fil de sa carrière, quitte à risquer sa propre fortune. C’est ce qu’il fait plus que jamais pour ce projet fou. Et le voir, à 80 ans passés, miser autant d’argent personnel sur un film dont il rêvait depuis si longtemps, a quelque chose de magnifique.

Un héros (Ghahreman) – d’Asghar Farhadi – 2021

Posté : 26 septembre, 2024 @ 8:00 dans 2020-2029, FAHRADI Asghar | Pas de commentaires »

Un héros

Dernier film en date d’Asghar Farhadi, Un héros confirme avec éclat, non seulement le talent du monsieur, mais aussi l’incroyable vitalité d’un cinéma iranien dont les auteurs doivent, c’est selon, tourner dans la clandestinité ou tenter de déjouer la censure et la répression. C’est le cas de Fahradi, qui réussit comme par miracle à tourner dans son pays un film particulièrement implacable sur la société iranienne.

Tout commence par une sortie de prison : celle d’un jeune homme condamné pour dettes, qui bénéficie d’une permission qu’il veut mettre à profit pour trouver l’argent qui convaincra son créancier de retirer sa plainte. Comme un miracle, sa fiancée a trouvé un sac rempli d’or, qu’il est tenté d’utiliser, mais qu’il décide de rendre en retrouvant sa propriétaire.

Un simple acte de bonté, ou de générosité, qui fait de lui une véritable personnalité, presque une vedette. Le retour de bâton sera rude… A travers le parcours de cet homme paumé, dont le sourire innocent laisse bientôt la place à un regard de chien battu, c’est toute la mesquinerie de la société qui cherche par tous les moyens à gagner une façade de légitimité que filme Fahradi.

Le parcours de Rahim évoque bientôt celui du K de Kafka, cynisme ambiant compris. Reste l’amour qui entoure le personnage : l’amour de sa famille, de sa compagne, de son fils, ou d’un chauffeur de taxi qui, tous, se démènent tant qu’ils peuvent, sans faire fléchir ceux qui ont les cartes en main.

Et c’est bien la société en tant que telle que dézingue Fahradi, qui fait du « méchant » désigné, le créancier, un homme lui aussi mis au ban. C’est rude, sans illusion, et révoltant. Il y a pourtant de l’espoir, dans l’humanité qui entoure le héros malgré tout, et dans cette porte de prison qui ne se referme pas…

Un très beau film, conscient, engagé, et qui garde en foi en l’avenir. C’est beau.

Are you lonesome tonight ? (Re dai wang shi) – de Wen Shipei – 2021

Posté : 11 septembre, 2024 @ 8:00 dans * Polars asiatiques, 2020-2029, WEN Shipei | Pas de commentaires »

Are you lonesome tonight

Une nuit, un jeune homme un peu en retard renverse un homme et le laisse pour mort. Pris de remords, il cherche à se rapprocher de sa veuve… L’intrigue de ce film noir made in China n’est pas révolutionnaire, mais elle sert de base à un film étonnant, audacieux, et même hypnotique.

Le réalisateur chinois Wen Shipei (dont c’est le premier long métrage) joue avec les perceptions, les sensations, pour un film envoûtant autour de deux personnages comme emmurés dans leurs solitudes respectives, solitudes renforcées avec beaucoup de beauté par les évocations de la chanson du King, qui donne son titre au film.

L’esprit, ou plutôt l’aura qui baigne ce film a de quoi séduire, évoquant à sa manière l’effet inoubliable produit par les films de Wong Kar-wai à l’époque de In the mood for love. Mais ça, c’est pour la première partie du film.

La relation improbable entre la veuve, entre deux âges, et le jeune chauffard dont elle ignore qu’il a tué son mari, est assez fascinante. Mais elle est bientôt éclipsée par une révélation certes inattendue (attention, je spoile… l’écrasé a deux balles dans la peau), mais qui fait l’effet d’une douche froide.

Quoi ! A ce double portrait de deux êtres malades et désespérément seuls (solitude renforcée par la société, comme l’illustre cette tristement et ridiculement sinistre scène des condoléances des voisines), le réalisateur et scénariste préfère une intrigue policière banale et décevante ? L’histoire d’un sac de fric qui devient la pierre angulaire du récit…

Formellement, Wen Shipei n’abdique pas vraiment dans ses ambitions, jusqu’à une chasse à l’homme tendue et originale dans un hangar tout en box et rideaux. Mais cette stylisation de l’action ne fait plus qu’habiller une intrigue qui perdu de son attrait.

En changeant de cap à mi-film, Wen Shipei a perdu le fil de son récit immersif, transformant un magnifique mélodrame en un habile polar existentiel. C’est bien, mais ça promettait d’être tellement mieux que bien.

Frère et sœur – d’Arnaud Desplechin – 2022

Posté : 10 septembre, 2024 @ 8:00 dans 2020-2029, DESPLECHIN Arnaud | Pas de commentaires »

Frère et Sœur

Mais d’où vient cette vision de la famille que nous offre Arnaud Desplechin ? Et le verbe « offrir » n’est pas utilisé par hasard, tant ce que procure ce film pourtant dur et cruel s’apparente à une sorte de libération, et même de déclaration d’amour à la famille. Oui, vu le sujet, et vu les rancœurs qui se trimballent dans cette famille-là, c’est paradoxal.

De là à dire que Desplechin est un magicien, il n’y a qu’un pas que je franchis allégrement. C’est en tout cas un cinéaste immense, capable de réunir dans un même mouvement tendresse et cruauté, pour faire surgir l’émotion la plus vive des situations les plus anodines, ou les plus inattendues. Un peu à la manière d’un Bergman, dont l’ombre m’a semblé planer sur ce film magnifique.

On y retrouve en tout cas cette manière si intime de filmer les visages, de plonger dans les méandres de l’esprit, de faire ressentir les sentiments les plus exacerbés, rarement univoques. Bien sûr, comparer Desplechin à Bergman peut être un compliment empoisonné. Mais s’il se voit en élève, il faut reconnaître qu’il est un élève extrêmement doué, qui ici en tout cas se montre digne du maître.

C’est donc une merveille, oui, et un film d’une puissance assez rare. Quand leurs parents sont hospitalisés à la suite d’un accident (séquence incroyable, qui réinvente totalement la manière de filmer le drame), leurs enfants se retrouvent à leur chevet. Mais deux des enfants sont fâchés à mort depuis des années, depuis un autre drame bien des années plus tôt, au point de se fuir comme la peste, et de régler leurs comptes par livres interposés.

Marion Cotillard et Melvil Poupaud sont exceptionnels dans ce numéro de duettistes dont on ignore l’origine de leur haine, mais dont on devine le manque de l’autre. L’ignorance dans laquelle nous cantonne Desplechin, et la lueur de ce pardon impossible mais tellement désiré… Cette haine si explosive, si radicale, est pourtant d’une étrange beauté, parce qu’elle recouvre d’immenses sentiments qui ne demandent qu’à sortir.

Tout est paradoxal dans ce film, tout est contradictoire. L’amour et la haine qui sont inextricablement liés, la tendresse qui surgit des moments les plus tendus, la pureté des non-dits les plus pesants. Rien n’est simple, mais tout est limpide. Les petites mesquineries ne font que renforcer la grandeur des rapports humains…

Frère et Sœur est le film d’un cinéaste magicien, qui nous mène exactement où il veut, sans qu’on comprenne vraiment le chemin qu’on a emprunté. Ce qu’on sait en revanche, c’est que ce chemin, quel qu’il soit, est intense et bouleversant.

Silent Night (id.) – de John Woo – 2023

Posté : 8 septembre, 2024 @ 8:00 dans 2020-2029, ACTION US (1980-…), WOO John | Pas de commentaires »

Silent Night

Ô, jeune d’aujourd’hui ! Sans doute ne réalises-tu pas ce que John Woo a représenté pour le jeune d’il y a trente ans (bien tapés, oups). C’était au tout début des années 1990. Un petit film hong-kongais débarquait avec un peu de retard sur nos écrans français. Ça s’appelait The Killer, et ça a fait l’effet d’une bombe.

Je n’ai pas la moindre de l’effet que ce petit film aurait sur toi aujourd’hui, toi qui as peut-être été biberonné par les excès de Michael Bay ou les coups de tatanes de Jason Statham ou, pire, de Dwayne Johnson. Mais sache, quand même, que sans ce petit film, le cinéma d’action serait bien différent.

C’est qu’il a eu un effet dingue, ce petit film : dès Die Hard 2 en fait, tous les blockbusters américains lui doivent quelque chose. Ce n’est pas un hasard si John Woo a décroché son ticket pour Hollywood, signant une petite poignée de réussites (Volte Face, Mission Impossible 2) avant que son aura ne s’estompe, et qu’il reparte à Hong-Kong se refaire une santé.

Cette longue intro pour dire que Silent Night n’est pas un film anodin, parce qu’il marque le retour aux Etats-Unis de Woo, vingt ans après un Paycheck qui n’a pas laissé une grande trace dans l’histoire. Et parce que, depuis, tout a changé dans la manière de faire et de « consommer » le cinéma.

La preuve : ce retour est passé à peu près inaperçu. Ce qui est bien dommage. Pas que Silent Night soit une réussite majeure du réinventeur du gunfight. Mais il rappelle à quel point Woo est un formaliste novateur.

Loin de se reposer sur ses lauriers (pas même une colombe dans un coin), Woo se lance un vrai défi : réaliser un grand film d’action… muet. Les quelques (rares) répliques n’y changent rien : Silent Night est effectivement un pur exercice de style qui reprend de nombreux thèmes chers à Woo (l’enfance sacrifiée, le duo d’action mal assorti, la justice du talion…), mais soumis à cet écueil de poids : à l’image de son héros, père martyr privé de sa voix, personne ne parle dans le film.

L’exercice de style ne s’élève jamais de ce qu’il est (un exercice de style, donc), et souffre d’une distribution de ligue 8 (à part Joel Kinnaman, intense et convaincant, les acteurs sont remarquablement ternes), mais c’est d’une efficacité imparable, l’œuvre d’un grand formaliste, donc, qui réussit quelques plans (longs) assez dingues.

Sur le fond, Woo ne révolutionne rien. Sur la forme, il rappelle à ceux que ça intéresse encore qu’il en a toujours sous le pied…

Emilia Pérez (id.) – de Jacques Audiard – 2024

Posté : 6 septembre, 2024 @ 8:00 dans 2020-2029, AUDIARD Jacques, COMEDIES MUSICALES | Pas de commentaires »

Emilia Pérez

Totalement improbable sur le papier, le nouveau Jacques Audiard qui, après le film noir et le western, s’approprie un autre genre purement américain : la comédie musicale. A sa manière donc, racontant l’amitié naissante d’une avocate sans illusion avec un dangereux chef de gang décidé à devenir une femme, dans le Mexique des Cartels.

Aborder un tel sujet de société (le changement de sexe et ses conséquences psychologiques), dans un tel contexte de violence (le sentiment de danger et de brutalité est omniprésent), avec de vrais passages musicaux (chansons et chorégraphies comprises)… Voilà le genre d’ambition qui relève, selon le résultat, la maîtrise ou l’arrogance d’un cinéaste. Bonne nouvelle : Audiard a un talent fou, et une maîtrise extraordinaire.

Emilia Pérez n’est pas un film parfait : il y a bien une poignée de mouvements de caméra qui manquent un peu de nature, et quelques transitions un peu brutales entre les différentes séquences. Mais ça, c’est juste histoire d’expliquer pourquoi on hésite à parler de chef d’œuvre. Parce que, honnêtement, on n’en est pas bien loin. Et il y a dans ce film une envie de cinéma qui n’est vraiment pas courante.

Bien sûr, la notion même de film musical est un formidable catalyseur de cette envie de grand cinéma, qui explose dans une poignée de séquences extraordinaires, d’autant plus mémorables qu’elles s’inscrivent parfaitement dans le récit, soulignant les tourments des différents personnages. La meilleure, peut-être : la chanson rageuse de Zoe Saldana durant le gala de charité, d’une puissance émotionnelle et narrative imparable.

Elle est absolument sublime, Zoe Saldana, actrice que je découvre tardivement (oui, c’est vrai, elle était très bien dans Avatar, mais c’est quand même pas tout à fait pareil), mais dont je me risquerais bien à affirmer qu’elle trouve là le rôle de sa vie, le genre de rôle dont toute actrice doit secrètement rêver.

Elle mérite en tout cas totalement son prix d’interprétation à Cannes, qu’elle a idéalement partagé avec Karla Sofia Gascon, très intense dans le (formidable) rôle titre, et accessoirement première actrice trans récompensée à Cannes. Que Selena Gomez et Adriana Paz aient partagé ce prix peut quand même paraître discutable : elles ont beau être parfaites, leurs personnages (et leurs prestations) restent annexes.

Emilia Pérez est en tout cas un grand film, aussi généreux qu’ambitieux, un projet assez dingue qui accouche d’un film franchement dingue. Bref, le genre de films qui redonne foi au cinéma. Et malgré sa noirceur, on en sort comme régénéré, enthousiaste, emporté par l’humanité qui s’en dégage.

Ticket to Paradise (id.) – d’Ol Parker – 2022

Posté : 13 août, 2024 @ 8:00 dans 2020-2029, PARKER Ol | Pas de commentaires »

Ticket to Paradise

Julia Roberts et George Clooney dans une comédie romantique ? Plutôt tentant, parce que les histoires d’amour entre quinqua et sexa ne sont pas si courantes, et parce que la complicité entre les deux stars a toujours été réjouissante, depuis leur premier film en commun (c’était Ocean’s 11). Et c’est bien pour eux, et uniquement pour eux (et un peu aussi pour ma femme, qui aime bien les rom com), que je me suis laissé tenter…

Bonne nouvelle : l’alchimie entre Julia et George fonctionne toujours. Mauvaise nouvelle : rien d’autre ne fonctionne. Ticket to Paradise n’est pas le premier film à enfiler les clichés comme des perles, mais une étude plus approfondie pourrait être intéressante pour déterminer si, oui ou non, il mérite le titre que j’ai bien envie de lui attribuer : celui de la pire carte postale du cinéma américain récent.

Passons sur le fait que, une fois encore, les personnages aient tous le train de vie d’un dictateur sud-américain (ou de toute autre partie du monde, veux pas faire de discrimination). Cette tendance lourde du cinéma américain touche même le plus rude des agents secrets britanniques (le refuge du bout du monde de Bond dans Skyfall). Mais elle s’impose ici comme une idéalisation navrante de l’argent tout puissant, en opposition totale avec le sujet même du film.

Cette île paradisiaque sur laquelle des parents divorcés tentent d’empêcher leur fille de se marier avec un autochtone est tellement caricaturale que cette comédie vaguement alléchante en devient profondément désagréable. Reste notre couple de stars, qui surnage au sein d’un casting aussi aseptisé et lisse que la mise en scène d’Ol Parker.

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