L’Etranger – de François Ozon – 2025

C’est plutôt courageux, de s’attaquer à l’un des romans français les plus universellement connus. Un roman qu’à peu près tout le monde a lu (en ce qui me concerne, avec un intérêt poli à l’adolescence, et comme une révélation il y a à peu près un an), mais dont l’adaptation semblait compliquée : Visconti lui-même s’y est cassé les dents, après tout.
C’est d’ailleurs la toute première adaptation française me semble-t-il. Et Ozon a suffisamment de bouteille, et suffisamment de confiance aussi, pour relever avec intelligence les principaux écueils. En premier lieu : comment donner une forme au récit interne d’un homme comme Meursault, à ce point dénué d’émotion, traversant les drames et la vie avec la même indifférence apparente.
La meilleure réponse : c’est le choix de l’acteur. Visconti lui-même l’a reconnu : avoir choisi Mastroianni avait été une erreur, Delon et sa froideur auraient été nettement plus dans son élément. Delon étant mort, et trop vieux depuis quelques décennies pour le rôle, c’est une sorte de double fascinant que choisi Ozon : Benjamin Voisin, qu’il a révélé dans Eté 85, et qui traverse L’Etranger comme une apparition sur laquelle tout le monde extérieur semble glisser.
Pour reconstituer l’Algérie française, Ozon a tourné au Maroc (la géopolitique a ses contraintes), mais l’illusion est assez parfaite, notamment dans la séquence introductive, qui tourne le dos à une autre problématique (que faire de « Aujourd’hui, maman est morte… »?) pour un tout autre choix, qui renvoie à un autre Français « perdu » dans les colonies : Pépé le Moko, impression renforcée par le choix du noir et blanc.
Fort joli noir et blanc d’ailleurs, presque complètement dénué d’ombre, habile procédé pour souligne le poids du soleil et de la chaleur, qui est finalement le plus grand défi de cette adaptation. Le résultat est, au fond, plus froid et clinique que le livre d’Albert Camus, dont Ozon ne retrouve pas totalement le trouble et l’émotion.
Mais cette adaptation impossible se révèle assez passionnante, portée par des seconds rôles réjouissants (Rebecca Marder, Pierre Lottin ou Denis Lavant). Politique aussi : comme Kamel Daoud dans son Meursault, contre-enquête, Ozon réhabilite la place de « l’Arabe » dans les scènes de procès, à travers le joli personnage de la sœur, et dans un dernier plan qui fait définitivement le pont entre les romans de Camus et de Daoud.








