L’Amour et la bête (The Wagons roll at night) – de Ray Enright – 1941
Mais qui donc trouvait les titres français à cette époque ? Traduire le très évocateur The Wagons roll at night par le ridicule L’Amour et la bête devrait relever du crime de haute trahison, ou de quelque chose dans cet esprit. Cette bête transcription passe en tout cas complètement à côté de l’essentiel – l’évocation du monde constamment mouvant du cirque – pour ne retenir que les péripéties : une histoire d’amour, et des bêtes.
Des lions, en l’occurrence, toujours là pour faire avancer l’histoire, installer les enjeux, et amener les drames. Le premier moment fort ne manque ni d’originalité, ni d’efficacité, ni même (et c’est plus rare dans une telle séquence) d’humanité. Un lion s’est échappé de sa cage et rode dans la petite ville où le cirque s’est arrêté. Il entre dans une petite épicerie où le serveur fait preuve d’un courage inattendu.
L’épicier qui va voir sa vie bouleversée par cet acte de courage non prémédité, c’est Eddie Albert, acteur sympathique qui incarne un personnage sympathique, et qui est le véritable héros de ce film porté par deux grandes stars, dont les noms s’affichent en grand devant le sien au générique : un Humphrey Bogart en pleine mythification (le film est tourné entre High Sierra et Le Faucon maltais), et une Sylvia Sidney qui brûle les derniers feux de sa très grande période.
La principale limite du film repose sans doute dans cette dernière phrase : le film de Ray Enright ne s’intéresse au fond qu’à l’histoire d’amour entre le jeune épicier devenu dompteur de cirque et la sœur de son patron (Bogart – le patron, pas la sœur), reléguant les personnages de Bogie et Sidney aux rôles de faire-valoir. Or : le gars est brave et sympathique, d’une pureté à toute épreuve. Sans la moindre aspérité, tout comme la sœur évoquée.
En ne s’intéressant qu’à ce couple assez mièvre, le film passe un peu à côté de l’essentiel : soit le patron du cirque, aveuglé par son dégoût de sa propre condition de circassien, et le couple qu’il forme avec la diseuse de bonne aventure incapable de lire son propre avenir. Deux personnages un peu cassés, qui dissimulent (mal) leur mal-être derrière une façade très maîtrisée, incapables au fond de s’aimer correctement.
Certes, l’histoire d’amour des deux jeunots est mignonette, jusque dans leur habitude de se déclarer leur flamme sans finir leurs phrases. Mais bien palôte à côté des tourments de leurs deux aînés. Il y a donc une vraie frustration. Pour Sylvia Sidney surtout. Si la présence de Bogart s’impose dans la plupart de ses scènes, elle ne s’impose vraiment que dans de rares et brefs moments (celui, surtout, où elle comprend qu’elle s’est méprise sur les sentiments du jeune homme, déchirant).
Le film est sympathique et plaisant, là où il aurait pu être puissant et passionnant. Et dans L’Amour et la bête, finalement c’est la bête qui convainc le plus. Les scènes avec les fauves sont de loin les plus enthousiasmantes, les plus originales, les plus percutantes, et celles qui sonnent le plus « vrai ». Ce qui semble confirmer que Ray Enright est un réalisateur pour le moins compétent. Qui est ici passé à côté d’un film vraiment réussi.









