Domingo et la brume (Domingo y la niebla) – d’Ariel Escalante Meza – 2022
Dans un petit village de montagne du Costa Rica, les habitants déménagent les uns après les autres, leurs terres étant achetées par une grosse entreprise qui prévoit d’y faire passer une autoroute. Les travaux ont commencé, troublant la quiétude habituelle de ce coin reculé, mais un vieil homme refuse obstinément de vendre : Domingo, veuf qui craint s’il part d’être coupé du lien qui le relie encore à sa femme défunte…
Le thème de ce film costa-ricain (une première « ever » pour moi, me semble-t-il), l’obstination d’un homme qui ne veut pas céder aux sirènes de l’argent facile, préférant défendre jusqu’au bout un mode de vie simple et proche de la nature, évoque d’emblée le formidable As Bestas, l’un des meilleurs films de l’année dernière. Mais la comparaison ne va pas beaucoup plus loin que ce thème et la peinture d’un microcosme d’un autre temps rattrapé malgré lui par une modernité et un capitalisme présentés sans détour comme une menace.
En cela, le film d’Ariel Escalante Meza est un manifeste politique contre la déforestation, pour la sauvegarde des espaces naturels, et pour le respect d’un mode de vie séculaire. Mais le cinéaste, dont c’est le deuxième long métrage, signe un film nettement plus vaporeux que celui de Sorogoyen, flirtant avec le surnaturel, avec cette brume qui revient comme un mantra, et qui évoque autant le Fog de John Carpenter que le fantastique onirique de l’Oncle Boonme (c’est discutable bien sûr, mais c’est le film de Weerasetakhul qui m’est revenu à l’esprit devant certaines scènes nocturnes).
Cette brume, le héros du film (Domingo, donc) la voit comme une personnification de feu son épouse, qui vient lui rendre visite nuit après nuit. Et curieusement, cet aspect peut-être fantastique (et peut-être n’est-ce que la vision d’un homme trompé par l’alcool qu’il consomme en grandes quantités et de la culpabilité qui le ronge de ne pas avoir été un bon mari) donne un cadre plus concret au drame qui se noue, à ce refus obstiné de vendre comme le font tous ses amis, tous ses voisins.
Malgré une lenteur parfois un rien excessive (un travers habituel chez les « réalisateurs à festivals »), Ariel Escalante Meza signe un film envoûtant, d’une beauté formelle spectaculaire. Le gars a un sens du cadre et de l’image exceptionnels, et il ne me semble pas qu’il y ait dans ces quatre-vingt-dix minutes le moindre plan anodin. Chaque image est splendide, jouant avec des lumières quasi-surréelles et des ombres très profondes.
Le réalisateur sait aussi capter la profondeur du regard, beau, de Carlos Ureña, dont le visage fascine lorsqu’il n’est pas escamoté par un autre travers du cinéaste, qui a une tendance un peu trop appuyée à filmer ses personnages (longuement) de dos. L’émotion et la complexité des sentiments sont telles lorsqu’il cadre les visages que ce goût pour les dos lasse un peu. Mais il y a une vraie atmosphère dans ce film, une vraie intensité aussi. Le Costa Rica est donc aussi une belle terre de cinéma…