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Archive pour la catégorie '* Films noirs (1935-1959)'

Le Secret du Grand Canyon (Edge of Eternity) – de Don Siegel – 1959

Posté : 2 septembre, 2023 @ 8:00 dans * Films noirs (1935-1959), 1950-1959, SIEGEL Don | Pas de commentaires »

Le Secret du Grand Canyon

Je ne crois pas m’avancer beaucoup en affirmant que Le Secret du Grand Canyon est le seul film de l’histoire qui remercie dans son générique l’implication de la United States Guano Corporation, entreprise spécialisée dans le ramassage des fientes de chauves-souris. Ne serait-ce que pour cette particularité, qui a son importance dans l’intrigue, ce film méconnu de Don Siegel mérite d’être vu.

Ce n’est clairement pas le plus réputé des films de Siegel. Ni le plus célèbre, ni le plus réussi : une curiosité dont la principale raison d’être semble être ce Grand Canyon qui lui donne son titre français. Pas comme un film-carte postale, non : la région est présentée comme un désert aride et sans avenir, pleine de poussière et des souvenirs d’une mine d’or depuis longtemps désaffectée.

Ce décor spectaculaire et austère est au cœur du film, d’une intrigue qui donne le sentiment de n’être qu’un prétexte, guère original et pas toujours très crédible. Les premières minutes sont pleines de promesses pourtant : en haut du canyon, un homme tente d’en tuer un autre. L’un des deux tombe. L’autre est retrouvé mort à son tour peu après.

Le film tient en haleine tant qu’il conserve tout son mystère. La résolution n’est pas à la hauteur, et Siegel lui-même, cinéaste pourtant percutant, donne par moments l’impression de ne pas savoir quoi faire de ses personnages, qui paraissent par moments empruntés, à l’image du père Kendon, l’ancien patron de la mine dont les simples déplacements paraissent artificiels.

Le film est tout juste sympathique, porté par un Cornel Wilde plutôt pas mal, mais au charisme discret, et par une Victoria Shaw très (trop) souriante. Les seconds rôles sont particulièrement en retrait, y compris les habituellement nettement plus truculents Michel Shaughnessy (dans le rôle du shérif) et Tom Fadden (dans celui du gardien de la mine).

Même Jack Elam semble effacé. Il faut dire que son personnage est sympathique… ce qui, en soit, justifie de voir ce film un peu décevant, mais bien sympathique tout de même. Ça et une dernière séquence vertigineuse et très efficace, où vertige et guano font bon ménage.

L’Enquête est close (Circle of Danger) – de Jacques Tourneur – 1951

Posté : 28 août, 2023 @ 8:00 dans * Films noirs (1935-1959), 1950-1959, TOURNEUR Jacques | Pas de commentaires »

L'Enquête est close

Un suspense autour des souvenirs encore frais de la seconde guerre mondiale… Non, Jacques Tourneur ne refait pas Berlin Express, trois ans plus tard. Si les deux films ont quelques points communs, ne serait-ce que sur la thématique, ils différent assez radicalement dans leur approche. Et ce Circle of Danger, nettement moins célébré, se révèle également passionnant, et très surprenant.

De la guerre, cette fois, on ne verra rien de concret, si ce n’est des regards perdus dans les pensées. Pas de ruines, pas de champs de bataille, et pour cause : toute l’action du film se passe sur les terres britanniques, à la brève exception des toutes premières minutes, au large de la Floride. Etrange et fascinant début d’ailleurs, à bord d’un bateau où des marins pompent pour alimenter un scaphandrier en air.

Magnifiquement filmée, avec ces reflets mouvants de la lumière dans les vague, cette introduction est totalement coupée de l’intrigue, sans autre lien qu’un possible symbole : celui de la vérité profondément enfouie qui émerge avec lenteur et difficulté… Qu’importe d’ailleurs : elle annonce surtout le talent formel intact du réalisateur de La Féline, qui sait créer une atmosphère avec si peu de moyens.

Sur ce bateau, on découvre aussi le personnage principal, joué par Ray Milland : un Américain qui décide de tout plaquer pour aller en Grande-Bretagne mener l’enquête sur la mort suspecte de son jeune frère durant la guerre. Un membre de son commando aurait laissé entendre que le frangin a été abattu par l’un des siens, et pas par un Allemand… Ce qui mérite d’en savoir plus.

Les quartiers populaires de Londres, les mines du Pays de Galles, les Highlands d’Ecosse : cette enquête qui emmène le héros d’un témoin à un autre ressemble alors à une véritable collection de cartes postales britanniques, mais avec ce supplément d’âme qu’on attend d’un cinéaste de la trempe de Tourneur. Alors c’est aussi charmant que passionnant. Et mine de rien, ça évite consciemment les clichés.

Visuellement, certes, Tourneur assume ce côté cliché, et il fait de son héros un Américain un rien arrogant, un peu mufle, un peu homophobe, assez caricatural au fond. Mais il met en scène un scénario malin et brillant, qui surprend constamment, déjouant toutes les attentes jusqu’à un final superbe et déchirant dans les landes écossaises. Avec ce final, toutes les réserves qu’on pouvait avoir volent en éclat, et toutes les certitudes en même temps. Passionnant.

La Nuit du chasseur (The Night of the Hunter) – de Charles Laughton – 1955

Posté : 21 août, 2023 @ 8:00 dans * Films noirs (1935-1959), 1950-1959, LAUGHTON Charles, MITCHUM Robert | Pas de commentaires »

La Nuit du chasseur

Rien de bien neuf à dire sur ce monument du cinéma, indémodable et inoubliable, unique incursion derrière la caméra de Charles Laughton, cinéaste éphémère aussi ogresque que l’acteur qu’il était.

C’est aussi le rôle le plus iconique de Robert Mitchum, le plus étonnant aussi sans doute : en pasteur givré, sorte de version Grande Dépression de Barbe-Bleue, il en fait des tonnes, incarnation parfaite de la vision de Laughton, qui filme cette histoire désespérément sombre (c’est quand même l’histoire de deux enfants qui voient leurs parents mourir de mort violente, et sont menacés de mort par un croque-mitaine) comme une fable.

Ce cauchemar enfantin est entièrement construit sur des sensations de peurs primales, qui prennent forme notamment lorsque le grand méchant voit ses gestes ralentis jusqu’au malaise, contraints par les obstacles d’une cave ou par la boue profonde d’une berge. Rarement le sentiment de se retrouver dans un mauvais rêve a trouvé une forme si aboutie au cinéma…

Le film trouve ainsi sa place parmi les grands classiques de la fiction fantasmagorique enfantine, au côté de Tom Sawyer (dont on retrouve l’atmosphère) ou Les Contrebandiers de Moonfleet, deux autres sommets racontés à hauteur d’enfant. Regard d’enfant, que les pires horreurs ne détruisent jamais tout à fait, et qui se raccroche aux îlots de douceur et de bonté rencontrés en chemin, ultime grand rôle pour la mythique Lilan Gish.

Laughton joue avec les jeux d’ombres profonds et cauchemardesques pour filmer les peurs enfantines (la première fois que la silhouette gigantesque du pasteur apparaît aux enfants dans leur chambre). « Ce n’est qu’un adulte », lance John, phrase qui annonce la brutalité avec laquelle sa sœur et lui vont être arrachés à leur enfance.

On résume : La Nuit du Chasseur est un chef d’œuvre, l’un des plus grands films sur l’enfance et la brutalité de la perte de l’innocence.

Le Visage derrière le masque (The Face behind the mask) – de Robert Florey – 1941

Posté : 5 juillet, 2023 @ 8:00 dans * Films noirs (1935-1959), 1940-1949, FLOREY Robert | Pas de commentaires »

Le Visage derrière le masque

Il y a quand même du bon dans le cinéma hollywoodien de ces années-là : un savoir-faire incomparable, une beauté formelle, une authenticité jusque dans les plus grands excès, et une manière d’oser la concision. Oui, on peut rétorquer que cette concision peut être liée à l’existence de double-programmes. Mais qu’importe. Le fait est que, en 1h09 d’une extrême densité, Robert Florey nous offre un récit qui, aujourd’hui, donnerait lieu à un film fleuve de trois heures, à une franchise, à une mini-série… ou à rien du tout.

Bref : 1h09 d’un destin sombre, tragique, humain et très émouvant, sans une minute de flottement, sans rien à jeter. 1H09 d’un cinéma puissant et simple à la fois, direct et intense, et d’une grande force visuelle. Robert Florey est un cinéaste intéressant, à défaut d’avoir une signature immédiatement reconnaissable. Un cinéaste qui sait glisser son talent au service de son histoire.

Les audaces visuelles de ce film-ci n’ont jamais rien de gratuit : elles épousent le regard de son personnage principal, immigrant polonais dont le sourire de gamin est effacé brutalement par un incendie qui le laisse défiguré. La mise en scène de Florey évolue en même temps que l’état d’esprit du personnage : légère et pleine d’allant lors des premiers en Amérique, profondément sombre après l’accident, intense et inquiétante lorsque le bon immigré devient gangster…

L’immigré, c’est Peter Lorre, dans l’un de ses rôles les plus riches. Complexes, aussi, constamment tiraillé entre l’anti-héros tragique, le romantique plein d’espoir, et le cynique résigné et déterminé. Il apparaît le visage ouvert et bienveillant. Il se découvre défiguré et inregardable, dans un état que la caméra de Florey ne dévoile jamais frontalement, jouant avec l’obscurité et ses cadrages pour susciter l’imagination la plus macabre.

Ce qui commençait comme une chronique pleine d’optimisme sur le rêve américain tourne alors au film d’horreur. Mais d’autres genres sont abordés : le film policier, le suspense, et même la romance qui ouvre les portes d’un possible happy end, lorsque l’homme inregardable, malgré son masque de normalité, rencontre une femme qui ne peut voir… 1h09 d’un cinéma puissant et généreux, porté par un acteur qui a rarement eu l’occasion de dévoiler autant de facettes de son talent.

Toute la ville en parle (The whole town’s talking) – de John Ford – 1935

Posté : 10 avril, 2023 @ 8:00 dans * Films noirs (1935-1959), 1930-1939, FORD John | Pas de commentaires »

Toute la ville en parle

Clairement pas le plus fordien des films de Ford, mais cette première décennie du parlant est sans doute la plus étonnante de tout son cinéma. Non seulement il n’y tourne aucun western (il ne s’y recollera qu’avec Stagecoach, en 1939), mais il s’y montre aussi capable de passer d’un genre à l’autre, avec une grande aisance, beaucoup d’efficacité, et quelques motifs redondants.

Dans Toute la ville en parle, Ford dirige Edward G. Robinson. C’est une première, et c’est presque une dernière : les deux hommes ne se retrouveront que trente ans plus tard pour Les Cheyennes, l’ultime western du cinéaste. Mais pour bien faire, il confie à l’acteur un double-rôle assez mémorable : celui d’un brave employé du bureau, timide et effacé, et celui de son sosie, un tueur sans pitié recherché par toutes les polices.

On imagine bien le quiproquos qui se profile. On n’est pas déçu… Et c’est lors d’une scène assez énorme en termes de moyens déployés que l’on assiste à l’interpellation du brave employé. Là, dans la longue séquence qui suit, Ford dénonce mine de rien la société de l’image, le jugement par la presse, la justice expéditive, dans une sorte de cauchemar kafkaïen assez fascinant.

Mais le ton est clairement à la légèreté. Le suspense n’est présent qu’en surface, malgré quelques passages étonnamment sombres (l’exécution qui se prépare dans la cour de la prison, le meurtre final). Ford a la caméra badine et rieuse, ce qui n’est pas si courant. D’ailleurs, il passe nettement plus de temps à filmer l’employé singeant la lippe mauvaise du tueur en se regardant dans un miroir, que la violence. De la même manière, le cauchemar éveillé de l’employé est contrebalancé par les réparties joyeusement bravaches de sa jolie collègue, jouée par une Jean Arthur évidemment enthousiasmante (ne l’est-elle pas toujours?).

Robinson face à Robinson… Ford n’invente rien en matières de trucages, mais reconnaissons qu’il les utilise très habilement. En dépit de quelques transparences bien visibles, les scènes mettant en contact les deux personnages joués par le même acteur sont d’une fluidité rare pour l’époque. La double prestation de Robinson n’y est pas étrangère. En terrain connu dans le rôle du tueur, il compose un réjouissant personnage de vieux garçon emporté par les événements.

Borderline (id.) – de William A. Seiter – 1950

Posté : 5 février, 2023 @ 8:00 dans * Films noirs (1935-1959), 1950-1959, SEITER William A. | Pas de commentaires »

Borderline

William A. Seiter a une solide expérience dans la comédie (La Femme la plus riche du monde, par exemple), et cela se sent dans ce thriller sur le thème assez convenu du flic infiltré. Borderline commence comme un film noir sombre et tendu, à la manière d’un Anthony Mann. Mais très vite, lorsque l’intrigue se ressert sur les deux personnages principaux, l’attirance manifeste et la vérité que le spectateur pressent et comprend bien avant les protagonistes prennent le dessus, et la légèreté avec.

Difficile d’être plus précis sur cette vérité sans gâcher le plaisir de la découverte. Disons simplement que Claire Trevor interprète une policière amenée à accompagner un homme de main joué par Fred McMurray d’un côté à l’autre de la frontière mexicaine, pour mettre la main sur un puissant trafiquant. Disons aussi qu’ils ont à leurs trousses un trio de gangsters menés par l’incontournable Raymond Burr, aussi inquiétant qu’incapable de réussir la moindre action.

Hélas, on sent bien vite que Seiter s’intéresse moins à l’aspect policier de son film qu’à son côté marivaudage, et qu’il passe donc en partie à côté d’un thriller tortueux et original. Il n’y a pas dans Borderline la sécheresse et la tension que l’on retrouvait à la même époque dans les films de Mann ou de Fleischer. Il y a tout de même de beaux moments : la tentative foireuse de séduction d’une Claire Trevor se faisant passer pour une danseuse de cabaret ; l’appel téléphonique rendu difficile par un câble transformé en corde à lingeQuelques détails comme ça qui confirment le goût de Seiter pour la comédie.

La Forêt pétrifiée (The Petrified Forest) – d’Archie Mayo – 1936

Posté : 13 janvier, 2023 @ 8:00 dans * Films noirs (1935-1959), 1930-1939, BOGART Humphrey, MAYO Archie L. | Pas de commentaires »

La Forêt pétrifiée

Née une quinzaine d’années après ce film, la fille d’Humphrey Bogart et Lauren Bacall s’appelle Leslie Howard Bogart. C’est dire l’importance qu’a, dans la vie de Bogart, l’acteur Leslie Howard, dont on se dit pourtant qu’ils n’ont strictement rien en commun : d’un côté, un charme désuet et british ; de l’autre, un charisme brut et dangereux. Il y a une raison à cela : en 1936, lorsque la Warner a décidé d’adapter la pièce de théâtre dans laquelle jouaient les deux acteurs, c’est Howard qui a imposé la présence de Bogart à l’écran, les producteurs préférant à cet obscur second rôle une valeur nettement plus sûre comme Edward G. Robinson.

Cette fidélité de Howard, qui a conditionné sa participation au film à celle de son camarade de scène, a radicalement changé la vie de Bogart : c’est sa prestation du gangster Duke Mantee, tueur que l’on sent tiraillé par des sentiments plus profonds, qui a révélé la star, lui ouvrant la voie vers le Roy Earle de High Sierra, puis vers ses rôles les plus iconiques des années 40. Et il se trouve qu’au delà de cet aspect forcément historique, La Forêt pétrifiée est un film formidable.

Archie Mayo ne cherche pas à échapper au procédé théâtral : son film respecte quasi scrupuleusement les unités de temps et de lieu. Toute l’action se déroule dans ce bar-restaurant-station essence perdu au milieu du désert de l’Arizona, sorte d’oasis poussiéreux totalement coupé du monde. Pourtant, la mise en scène de Mayo est très cinématographique, dans sa manière de faire ressentir la présence de la nature : les vastes paysages omniprésents, le ciel immense et étoilé, le vent qui souffle sur une terrasse, la poussière qui colle aux vêtements…

D’un procédé narratif assez classique (une petite communauté prise en otage par des gangsters en cavale, comme dans Key Largo ou Desperate Hours, deux autres Bogart), Mayo tire une sorte de fable autour de la révélation d’une jeune femme qui s’ouvre à sa propre vie. C’est Bette Davis, craquante et pétillante, peut-être un peu trop pour ce personnage qui étouffe littéralement dans cette vie qui ne lui offre aucun horizon.

On pourrait aussi s’agacer du détachement toujours très british de Leslie Howard, qui semble un peu daté aujourd’hui. Mais le couple qu’il forme avec Bette Davis est touchant, et la relation qu’il noue avec Bogart est assez fascinante. Justement parce que les deux acteurs, comme les deux personnages, sont deux opposés, attirés par un même idéal.

La Justice des hommes (The Talk of the Town) – de George Stevens – 1942

Posté : 6 décembre, 2022 @ 8:00 dans * Films noirs (1935-1959), 1940-1949, STEVENS George | Pas de commentaires »

La Justice des hommes

Comédie, thriller, triangle amoureux, et même film de procès… George Stevens jongle avec pas mal de genres très différents dans ce film. Quitte à laisser tomber quelques quilles en cours de route d’ailleurs : à changer de ton si souvent, il finit par accoucher d’un film un peu bancal. Bancal, mais pourtant assez réjouissant à de nombreuses occasions.

La séquence d’ouverture, d’abord, est remarquable. Sans un mot ou presque, avec un montage très dynamique utilisant coupures de presse et fausses images d’archives, Stevens plante le décor, et résume ce qui aurait pu être une longue partie d’introduction en quelques instants d’une clarté et d’une concision impressionnantes.

On a donc Cary Grant (un peu en retrait, mais joyeusement cabotin), accusé d’avoir mis le feu à l’usine où il travaillait, causant ainsi la mort d’un homme. Jugé, sur le point d’être condamné à mort, il s’évade et se réfugie au domicile d’une vague amie d’enfance (Jean Arthur, piquante et irrésistible). Mais quelques minutes après débarque un juriste éminent et raide comme la justice qui a loué la maison (Ronald Coleman, merveilleusement suave). Grant n’a que le temps de se cacher dans le grenier.

Commence alors un étrange huis-clos, plein de suspense et d’humour, avec cette cohabitation dissimulée particulièrement originale. Et ce n’est que la première partie d’un film qui ne cesse de prendre de nouveaux départs, quitte à changer de direction, passant de la comédie de mœurs la plus légère au drame judiciaire le plus intense. Et même s’il manque une ligne réellement cohérente, Stevens se révèle également à l’aise dans tous les tons.

On retiendra une course poursuite en pantoufles entre le juriste et une meute de chien, un repas enthousiaste autour d’un borscht (avec un œuf), une déclaration d’amour finale à grandes enjambées, ou encore un face-à-face tendu entre Cary Grant et une foule déchaînée… Beaucoup de moments mémorables pour un film très imparfait, et foncièrement attachant.

Le Démon des armes (Gun Crazy) – de Joseph H. Lewis – 1949

Posté : 15 juin, 2022 @ 8:00 dans * Films noirs (1935-1959), 1940-1949, LEWIS Joseph H. | Pas de commentaires »

Le Démon des armes

Il a plutôt un bon fond, Bart, depuis qu’il est tout petit. Mais allez savoir pourquoi, il a toujours eu un penchant très appuyé pour les armes. Les lance-pierres quand il était gosse, puis la carabine que lui a offerte sa sœur, et puis les pistolets, qu’il ne pouvait s’offrir, et qu’il a fini par voler dans la vitrine d’un armurier. C’est la scène d’ouverture, d’une beauté et d’une puissance assez exceptionnelles.

Mais quand même, il a toujours un bon fond, Bart. Après la maison de correction, après l’armée, il retrouve ses amis d’enfance avec l’envie de s’installer, et de mener une vie normale et rangée. Mais il y a toujours cette passion des armes. Alors quand il rencontre la belle Annie Laurie, tireuse d’élite dans un cirque, c’est le coup de foudre, la rencontre de deux doubles qui s’attirent et qui ne tardent pas à prendre la route ensemble.

La belle ne le cache pas : « je ne suis pas bonne, je ne l’ai jamais été ». Mais lui s’en moque, et il se laisse entraîner dans une virée sans retour. Entre eux, c’est de la dynamite. Une passion dévorante et explosive. Littéralement. « We go together, Annie. I don’t know why. Maybe like guns and ammunition go together. »

Comme Phil Karlson, Joseph H. Lewis est un maître de la série B noire, brillant, mais que la postérité n’a pas élevé au niveau qu’il mérite. Gun Crazy est l’un de ses très, très grands films. La seule séquence d’ouverture suffit à confirmer définitivement le sens visuel du gars, la puissance de son style, complètement au service de la narration, de l’immersion du spectateur.

Lewis ralentit le rythme ou l’accélère en fonction des émotions, de l’excitation ou de la peur de ses personnages principaux, précurseurs de Bonnie et Clyde. Particulièrement de Bart, à qui John Dall (le cynique et morbide interprète de La Corde) apporte un mélange d’assurance, de fragilité et de fièvre. C’est son point de vue à lui que privilégie Lewis, faisant du personnage de Peggy Cummings, superbe, à la fois un symbole de la pureté de la jeunesse et de danger.

La séquence du braquage meurtrier est particulièrement réussie, parce que la caméra ne s’attarde que sur ce que Bart voit vraiment. La peur, le danger, la vitesse, l’excitation, mais pas la mort, qu’il ne découvre ou dont il n’accepte vraiment l’idée que bien plus tard, lorsqu’il a le temps de se poser des questions sur lui-même.

Tout est beau dans ce film serré et implacable, comme une spirale infernale ou comme un rêve éveillé qui conduit, comme il se doit, dans une sorte d’entre-deux baigné de brume, conclusion presque surnaturelle qui rapproche ce film noir du conte. Morbide et romantique.

L’Intrus (Intruder in the dust) – de Clarence Brown – 1949

Posté : 7 juin, 2022 @ 8:00 dans * Films noirs (1935-1959), 1940-1949, BROWN Clarence | Pas de commentaires »

L'Intrus

Formidable brûlot antiraciste que signe Clarence Brown, avec cette adaptation très réussie de Faulkner, tournée entièrement en décors réels, sur les lieux mêmes qui ont inspiré l’écrivain. L’Intrus est un grand film, et c’est dans les détails que ça se joue, plus que dans l’histoire elle-même, suspense assez convenu autour d’un noir accusé d’un meurtre qu’il n’a pas commis, et promis à un lynchage dans les règles par une foule très remontée.

Le coup de la masse hargneuse prête à tous les débordements, on nous l’a déjà fait souvent, de Furie à L’Etrange incident. L’Intrus s’inscrit dans cette (prestigieuse) lignée, avec une dimension raciale qui est tout sauf anecdotique. Clarence Brown filme la ségrégation et les difficiles rapports entre blancs et noirs avec une grande sensibilité, captant la frontière invisible qui freine les meilleures volontés.

C’est cette réconciliation difficile entre des citoyens aux histoires si différentes que met en scène le film, dans cette petite ville, dont les vrais habitants font de la figuration. Ce qui, le sachant, donne une dimension troublante aux scènes de foule, les regards semblant confirmer l’impossibilité du dialogue entre blancs et noirs. C’est dans ces regards que se trouve la force du film, dans ces visages captés par les phares d’une voiture à travers des portes entrebâillées, dans une phrase que ne prononce pas le faux coupable pour se disculper.

Ce faux coupable, c’est Juano Hernandez, acteur découvert chez Oscar Micheaux, et que l’on retrouvera peu après en partenaire de John Garfield dans l’excellent Trafic en haute mer (d’après To have and have not d’Hemingway, que Faulkner avait adapté une première fois pour Hawks, sous le titre Le Port de l’angoisse). Sa présence, taiseuse et un peu raide, a une force assez impressionnante.

Pas de grande star à l’affiche, mais une distribution parfaite, de Charles Kemper en meneur de foule à Porter Hall en patriarche fatigué, en passant par David Brian en avocat qui se demande pourquoi il n’arrive pas à communiquer avec le noir qu’il doit défendre. Et puis le trio de choc, qui aura seul le courage d’affronter la foule : un gamin (Claude Jarman Jr, le fils de John Wayne et Maureen O’Hara dans Rio Grande), un employé noir dépassé par les événements (Elzie Emanuel) et une vieille dame très digne (Elizabeth Patterson). Les voir tous les trois déterrer un cadavre en pleine nuit, effrayés par les bruits environnants, est un grand moment de cinéma.

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