La Proie (Cry of the City) – de Robert Siodmak – 1948
Dans la longue série des polars réalistes des années 40 et 50 a donné un paquet de films formidables. Appelez Nord 777 par exemple, chef d’œuvre d’Hathaway dont la re-vision m’a donné envie de revoir un autre grand film tourné la même année, avec le même Richard Conte (et quelques seconds rôles communs), mais cette fois par Robert Siodmak.
Siodmak n’est pas exactement un manchot quand il s’attaque au polar, sous toutes ses formes. Tourné entre deux classiques plus unanimement salués (Les Tueurs et le merveilleux Pour toi j’ai tué), La Proie est un autre chef d’œuvre qui n’a pas à rougir de la comparaison avec les deux classiques qui ont révélé Burt Lancaster.
Ici, ce n’est pas Lancaster, mais Victor Mature qui apporte sa présence impressionnante au film, dans un rôle de flic jusqu’au-boutiste, contrepoint parfait au mauvais garçon joué par Richard Conte. Un contrepoint qui est même le cœur du magnifique scénario, qui oppose ces deux personnages nés dans le même quartier, mais qui ont fait des choix de vie radicalement différents.
« Tu t’es déjà payé la Floride ? Misé 100 dollars sur un cheval ? Offert des orchidées à une fille ?
- Non, mais la nuit je dors tranquille.
- Dans une piaule minable. »
Formidablement construit, le scénario met ces deux-là en parallèle, faisant du flic un personnage finalement peu aimable, que l’on découvre dès la première scène affichant un désintérêt marqué pour la douleur d’une famille réunie autour d’un mourant, et qui se désintéresse de la même manière des dégâts collatéraux que son enquête provoquera en se réfugiant derrière des répliques bien pratiques sur le thème « fallait pas aider un criminel ».
Richard Conte, lui, est un voyou sympathique, dont Siodmak laisse penser dans un premier temps qu’il est une victime de son milieu. C’est lui, d’ailleurs, qui est au cœur de la première partie du film, jusqu’à une évasion aussi économe en effets qu’efficace : rarement un couloir souterrain aura paru aussi long que celui que le prisonnier emprunte d’un pas rendu traînant par une blessure, pour prendre la fuite.
Entre ces deux faces d’une même pièce, un autre personnage, secondaire mais central : la mamma italienne, tiraillée entre son amour pour un fils qui a choisi la mauvaise voie, et ce flic qui le traque mais qui pourrait être son propre fils, et qui la traite avec une affection qui laisse penser que les liens entre les deux hommes vont bien au-delà de ce quartier dont ils sont tous deux originaires.
Le scénario est formidable. La mise en scène de Siodmak aussi, dans des décors naturels qui donnent une vérité et une âpreté folles au film, particulièrement dans ses scènes d’extérieures, à la tension extrême. Jusqu’à une séquence finale superbe et déchirante, qui condense en quelques minutes ce que ce Hollywood là peut faire de mieux.
Une petite anecdote pour faire le malin, pour finir, racontée par Patrick Brion dans les bonus du DVD à propos du très beau titre original : Cry of the City (nettement plus évocateur et poétique que le titre français). Le film n’aurait pas dû s’appeler comme ça, mais The Law and Martin Rome, du nom du personnage joué par Richard Conte. Mais un avocat bien réel portant le même nom a menacé de faire un procès à la production si elle gardait ce titre. Le choix final est tellement beau qu’on ne peut que l’en remercier.