Crime et châtiment – de Pierre Chenal – 1935
Ce n’est pas tout à fait la première adaptation du roman de Dostoïevski : un premier film avait été tourné dès 1910. Et cette même année 1935, un autre cinéaste important signe une autre version, Josef Von Sternberg, pour un film que lui-même reniera plus ou moins. En revanche, ce pourrait bien être la meilleure.
Contrairement au film que tournera Georges Lampin vingt ans plus tard (avec Jean Gabin reprenant le rôle d’Harry Baur… une habitude après Jean Valjean et Maigret), Pierre Chenal ne transpose pas l’intrigue dans une France contemporaine, mais reste fidèle au décor du roman: les quartiers pauvres de Saint-Petersbourg, où les étudiants et les anciens nobles tentent tant bien que mal de survivre à la misère la plus extrême.
Les toutes premières scènes laissent craindre une adaptation très sage, comme si Chenal était paralysée par l’ampleur du roman original. Mais très vite, sa mise en scène devient plus trouble, plus intense, au fur et à mesure que le personnage central, l’étudiant, est rongé par la culpabilité : il a assassiné une odieuse prêteuse sur gage pour lui voler son argent. Et plus grave : la seule de cette dernière, parce qu’elle l’a surpris.
Le film de Chenal respecte l’esprit de Dostoïevsk. La rudesse de son trait d’abord : la misère est profonde, et le crime de l’étudiant est sauvage et glaçant. Mais aussi un refus de porter un jugement définitif. Les personnages, tous autant qu’ils sont, sont des paumés. Y compris les parents de la jeune Sonia, qui poussent leur fille à se prostituer parce qu’ils n’ont pas d’autres moyens de survivre.
Et c’est un moment déchirant lorsque Sonia, jouée par la douce Madeleine Ozeray, rentre après s’y être résolue pour la première fois, et que sa mère se jette à genoux à son chevet… Ou lorsque le père, épave alcoolisée et totalement passif, se confesse au jeune étudiant sur son lit de mort.
Pierre Blanchar en fait un rien trop dans le rôle principal, mais il tient tout de même le film à bout de bras. Parce qu’il est de toutes les scènes, ou presque. Parce que la mise en scène, le rythme du film et son ton sont totalement calés sur son état d’esprit. De plus en plus troublé, avec des plans de plus en plus complexes, aux lignes de force qui s’enchevêtrent.
Face à lui, Harry Baur, toujours parfait, en super juge d’instruction qui devine tout mais ne parvient pas à trouver la preuve. Un pur rôle de héros au fond, et pourtant un personnage difficilement aimable. Peut-être parce que son sens du devoir ne se soucie pas ou si peu de l’humanité des protagonistes, de leur misère et de leurs doutes. C’est dans les petites gens, dans les personnages que la vie n’a pas épargné, que cette humanité se ressent. Le regard que Chenal leur porte est magnifique.