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Archive pour la catégorie 'CHENAL Pierre'

Crime et châtiment – de Pierre Chenal – 1935

Posté : 25 octobre, 2022 @ 8:00 dans * Polars/noirs France, 1930-1939, CHENAL Pierre | Pas de commentaires »

Crime et châtiment Chenal

Ce n’est pas tout à fait la première adaptation du roman de Dostoïevski : un premier film avait été tourné dès 1910. Et cette même année 1935, un autre cinéaste important signe une autre version, Josef Von Sternberg, pour un film que lui-même reniera plus ou moins. En revanche, ce pourrait bien être la meilleure.

Contrairement au film que tournera Georges Lampin vingt ans plus tard (avec Jean Gabin reprenant le rôle d’Harry Baur… une habitude après Jean Valjean et Maigret), Pierre Chenal ne transpose pas l’intrigue dans une France contemporaine, mais reste fidèle au décor du roman: les quartiers pauvres de Saint-Petersbourg, où les étudiants et les anciens nobles tentent tant bien que mal de survivre à la misère la plus extrême.

Les toutes premières scènes laissent craindre une adaptation très sage, comme si Chenal était paralysée par l’ampleur du roman original. Mais très vite, sa mise en scène devient plus trouble, plus intense, au fur et à mesure que le personnage central, l’étudiant, est rongé par la culpabilité : il a assassiné une odieuse prêteuse sur gage pour lui voler son argent. Et plus grave : la seule de cette dernière, parce qu’elle l’a surpris.

Le film de Chenal respecte l’esprit de Dostoïevsk. La rudesse de son trait d’abord : la misère est profonde, et le crime de l’étudiant est sauvage et glaçant. Mais aussi un refus de porter un jugement définitif. Les personnages, tous autant qu’ils sont, sont des paumés. Y compris les parents de la jeune Sonia, qui poussent leur fille à se prostituer parce qu’ils n’ont pas d’autres moyens de survivre.

Et c’est un moment déchirant lorsque Sonia, jouée par la douce Madeleine Ozeray, rentre après s’y être résolue pour la première fois, et que sa mère se jette à genoux à son chevet… Ou lorsque le père, épave alcoolisée et totalement passif, se confesse au jeune étudiant sur son lit de mort.

Pierre Blanchar en fait un rien trop dans le rôle principal, mais il tient tout de même le film à bout de bras. Parce qu’il est de toutes les scènes, ou presque. Parce que la mise en scène, le rythme du film et son ton sont totalement calés sur son état d’esprit. De plus en plus troublé, avec des plans de plus en plus complexes, aux lignes de force qui s’enchevêtrent.

Face à lui, Harry Baur, toujours parfait, en super juge d’instruction qui devine tout mais ne parvient pas à trouver la preuve. Un pur rôle de héros au fond, et pourtant un personnage difficilement aimable. Peut-être parce que son sens du devoir ne se soucie pas ou si peu de l’humanité des protagonistes, de leur misère et de leurs doutes. C’est dans les petites gens, dans les personnages que la vie n’a pas épargné, que cette humanité se ressent. Le regard que Chenal leur porte est magnifique.

L’Alibi – de Pierre Chenal – 1937

Posté : 1 septembre, 2021 @ 8:00 dans * Polars/noirs France, 1930-1939, CHENAL Pierre | Pas de commentaires »

L'Alibi

Erich Von Stroheim, Jany Holt, Albert Préjean et Louis Jouvet : superbe distribution pour ce thriller tendu et original signé Chenal, qui venait déjà de diriger Jouvet dans La Maison du Maltais. Chenal s’y connaît lorsqu’il s’agit de créer une atmosphère de film noir : il le prouvera encore avec sa belle adaptation du Facteur sonne toujours deux fois (Le Dernier Tournant). Cet Alibi s’inspire d’une histoire de Marcel Achard, belle idée de suspense qui tourne autour du sentiment de culpabilité d’une femme empêtrée dans un faux témoignage.

C’est Jany Holt, entraîneuse d’un club plutôt chic, à qui un charmant homme de scène (Stroheim) propose une petite fortune pour un simple mensonge. Elle réalisera trop tard que ce petit mensonge apparemment sans conséquence fait d’elle l’alibi de ce type pas si charmant, qui a dézingué un vieil ennemi.

Chenal ressert le cadre autour du visage de Jany Holt, qui comprend qu’elle s’est engouffrée dans un piège dont elle ne peut plus s’extraire. Ce moment est particulièrement fort, dans le bureau d’un inspecteur de police lui aussi très original : Louis Jouvet, fin limier d’une suavité parfaite et d’une clairvoyance digne des meilleurs flics de l’histoire du cinéma. Mais un flic adepte de la tromperie, qui apparaît d’abord auprès de la jeune femme en mentant sur son identité.

C’est alors que débarque Albert Préjean, et qu’on n’en dira pas plus pour ne pas gâcher le plaisir des surprises. Qui sont nombreuses, dans ce film malin et intense, admirablement construit. Il y a bien sûr quelque chose d’Hitchcockien, et pas seulement à travers ce personnage de « télépathe » qui semble tout droit sorti des 39 Marches. Le thème du faux coupable, le mélange de suspense et de romance, une touche de légèreté (le personnage de Préjean) associée à une vraie gravité…

Chenal s’en tire plus qu’avec les honneurs, et met en scène quelques très beaux moments de cinéma, notamment en confrontant ses (grands) acteurs. Jouvet qui ne cesse de répéter « habile ! » face à un Stroheim tout en suffisance ; le même Jouvet qui observe une simple poignée de porte s’abaisser et se relever ; Préjean cachant son mensonge sous un chapeau melon trop grand pour lui ; et Jany Holt, merveilleuse en femme trompée et perdue, au bord de la rupture…

Le Dernier Tournant – de Pierre Chenal – 1939

Posté : 26 mars, 2020 @ 8:00 dans * Polars/noirs France, 1930-1939, CHENAL Pierre | Pas de commentaires »

Le dernier tournant

Sept ans avant le chef d’œuvre de Tay Garnet, quatre ans avant le Ossessione de Visconti, c’est Pierre Chenal, en France, qui réalise la première adaptation de The Postman always rings twice, le roman noir de James M. Cain. Difficile de ne pas comparer, tant le classique américain est un sommet du film noir, sorte de mètre-étalon d’un genre dont il fixe les grandes figures : la (fausse) femme fatale, l’anti-héros condamné d’avance, la force du destin…

Garnet signera un grand film autour d’un couple aussi improbable que mythique formé par Lana Turner et John Garfield. Pierre Chenal la joue moins frontalement pour filmer la tension sexuelle entre ses personnages, mais son approche n’est pas moins passionnante. Il y a, dans ce film, beaucoup plus de non-dits et d’ellipses. Certaines sont d’ailleurs particulièrement fortes, laissant la place à une imagination qui s’emballe : ce fondu au noir qui suit le premier baiser à peine esquissé, et le tutoiement si éloquent qui suit dans le plan suivant.

Toutes les ellipses n’ont cependant pas cette puissance évocatrice, et beaucoup donnent simplement l’impression que Chenal s’est contenté de filmer les scènes importantes de l’histoire, sans trop savoir comment tisser un lien entre elles. Les personnages manquent ainsi parfois de cohérence, et le film d’un vrai mouvement qui aurait accompagné le destin mortifère du couple d’anti-héros.

Certaines scènes, aussi, tombent un peu comme un cheveu dans la soupe : le personnage du cousin joué par l’excellent Le Vigan sort de nulle part pour y retourner aussi sec. Et la scène de bagarre à laquelle il est mêlé à beau être fort joliment filmée, elle s’inscrit à peine dans le drame qui se noue.

Chenal se contente d’enchaîner les séquences ? La plupart du temps, oui, mais il les réussit à peu près toutes, créant dans chacun de ces épisodes successifs de vraies et belles atmosphères du cinéma, jouant avec les ombres qui semblent préfigurer les barreaux d’une prison, renforçant le sentiment d’étouffement de Cora et Franck, le couple maudit.

Corinne Luchaire et Fernand Gravey sont formidables en amants dont on ne saurait dire s’ils sont machiavéliques ou simplement tragiques. Terriblement émouvants en tout cas, comme leur victime Michel Simon, à la fois pathétique, tendre et monstrueux. Cette fragilité, cette naïveté qu’il affiche, son attachement à son nouveau « copain », et cette absence totale d’empathie pour cette femme qu’il a pu « acheter pour (ses) vieux jours.

Le film excelle à souligner les contradictions de ces personnages, touchants, attachants et indéfendables. Un vrai film noir américain, mais français. James Cain est décidément bien servi.

 

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