Les Révoltés du Bounty (Mutiny on the Bounty) – de Frank Lloyd – 1935
Vingt-sept ans avant la version de Lewis Milestone, quarante-neuf ans avant celle de Roger Donaldson, Les Révoltés du Bounty version Frank Lloyd n’est pas le premier film qui évoque l’authentique mutinerie ayant éclaté à bord d’un bateau de la Royal Navy : le mérite en revient au méconnu In the wake of the Bounty, tourné trois ans plus tôt, qui reste surtout dans l’histoire pour être le tout premier film dans lequel apparaît Errol Flynn, dans le rôle de Fletcher Christian.
Ici, c’est Clark Gable qui s’y colle, et il devait gravement convoiter le rôle, puisqu’il y sacrifie ses incontournables moustaches… Face à lui, le grand Charles Laughton dans le rôle du tyrannique capitaine Bligh… Et dans le rôle central du jeune sous-officier à travers le regard duquel le film est raconté, Franchot Tone, toujours impeccable. Avec un casting comme ça, le plaisir est assuré. Il est effectivement immense.
Derrière la caméra : le vétéran Frank Lloyd, pas un nouveau venu dans l’univers maritime, puisqu’il a déjà à son actif une adaptation de L’Aigle des mers (dix ans avant celle portée par Errol Flynn, toujours lui). Et dire que le gars sait filmer les grandes voiles, les mats et les marins est un euphémisme. Avec certes de gros moyens financiers, mais la technique de 1935, Lloyd fait mieux que ses successeurs, signant un authentique chef d’œuvre du genre, qui reste totalement bluffant plus de huit décennies plus tard.
Lloyd se révèle aussi à l’aise dans le drame humain que dans le spectaculaire, réussissant aussi bien les face-à-face entre ses personnages que les scènes de tempête. Le film est immersif, tendu et passionnant. Ça sent l’iode, la sueur et le sang, la sensation d’isolement est étouffante, le sentiment d’injustice est révoltant. On a envie de se mutiner avec Clark Gable, on partage la peur et le dégoût de Franchot Tone, la douleur et la colère de Donald Crisp, et puis on ressent l’humanité douloureuse de douloureuse de Charles Laughton…
C’est immersif et impressionnant. C’est le souffle de l’aventure. C’est du grand cinéma, qui en remontrerait à l’immense majorité des grosses productions récentes. Hissez la grande voile, sans hésitation et avec délectation…