Le Village du péché / Les joyeuses commères de Riazan (Baby rjasanskije) – d’Olga Preobrajenskaïa et Ivan Pravov – 1927
Tourné dix ans après la révolution russe, on ne peut pas dire que ce film mette vraiment en valeur le monde paysan, souvent magnifié dans les films soviétiques des premiers temps. C’est même à se demander comment Le Village du péché a pu surmonter l’écueil de la censure, tant il donne une image archaïque et patriarcale de cette Russie rurale.
Bien sûr, l’histoire commence en 1914, avant la révolution donc, pour se terminer quatre ans plus tard. Mais de cette révolution, on ne verra rien, si ce n’est ce château réapproprié pour être transformé en orphelinat par le personnage le plus fort du film. Pas l’héroïne, mais sa belle-sœur. Mais rembobinons un peu…
L’histoire commence donc en 1914, dans une famille de fermiers très traditionnels. Il y a le père, homme vieillissant et austère, qui mène son petit monde avec autorité, bien décidé, notamment, à choisir avec qui se marieront ses enfants. Bonne nouvelle pour le fils Ivan : le choix se porte sur celle dont il est tombé amoureux au détour d’une promenade.
La fille Wassilisa a moins de chance : le père refuse catégoriquement qu’elle épouse le forgeron dont elle est amoureuse. Trop pauvre, pas assez comme il faut. Alors elle se rebelle, et part s’installer avec son forgeron, qui promet de l’aimer comme s’ils étaient mariés. Pas suffisamment, au regard de la société locale si bien pensante.
Pendant ce temps, Ivan et sa femme Anna profitent de leur bonheur. Mais août 1914 arrive. La déclaration de guerre, Ivan est appelé à combattre. Le temps passe, le jeune homme ne donne plus de nouvelles. Le père, qui n’est pas seulement autoritaire, mais aussi alcoolique et dénué de scrupule, viole sa belle-fille, qui donne naissance à un enfant. Et qui c’est qui revient ? Ivan bien sûr…
C’est un mélo tragique que signent les deux réalisateurs. C’est surtout un film d’un féminisme désespéré, une charge violente et forte contre le patriarcat et le sort réservé aux femmes, qui représentent à la fois la victime de cette société qui conduit dans l’impasse (le personnage d’Anna, très dans la tradition) et son seul espoir (celui de Wallilisa, plus libre et plus lumineux).
Beau film, bouleversant, qui dresse aussi une peinture passionnante de ce monde rural disparu, avec de longues scènes consacrées au folklore local et aux gestes quotidiens des femmes qui lavent le linge ou confectionnent des tissus. Scènes d’un réalisme confondant, tournées dans les décors réels de l’histoire.
On notera enfin la belle partition musicale du film restauré par Lobster, qui comprend des chants de femmes enregistrés vers 1950 à Riazan, la ville où se déroule l’histoire, et qui soulignent joliment les scènes de folklore, renforçant le sentiment d’immersion dans ce monde en pleine mutation.