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Archive pour la catégorie 'CHABROL Claude'

Une affaire de femmes – de Claude Chabrol – 1988

Posté : 29 octobre, 2024 @ 8:00 dans 1980-1989, CHABROL Claude | Pas de commentaires »

Une affaire de femmes

Si on admet (et c’est plutôt raisonnable) que Chabrol a eu une carrière en dent de scie, alors Une affaire de femmes est assurément l’un des sommets de sa filmographie, une peinture formidablement sombre et cynique de la France de l’Occupation, par le prisme d’une jeune femme un peu inconséquente, au destin tragique.

Isabelle Huppert, exceptionnelle, incarne Marie, cette jeune mère un peu larguée, amenée à devenir une « faiseuse d’anges », d’abord pour rendre service, et puis parce que ça rapporte cet argent qui lui permet de mener un semblant de vie, dans cette France vaincue et malade.

C’est l’un des films les plus forts sur l’Occupation, peut-être parce que ce contexte historique reste constamment à l’arrière-plan, se rappelant à la réalité par de brutales incursions : une amie dont on découvre qu’elle était juive quand on apprend que les Allemands l’ont emmenée ; un résistant abattu en pleine rue ; des bruits de bottes qui résonnent dans la nuit…

Marie, le personnage que joue Huppert, traverse cette ville en courant après sa jeunesse qu’on lui vole, en se raccrochant à tout ce qui peut ressembler à de l’insouciance. « Je n’ai tué personne », lance-t-elle outrée, sans comprendre ce qui l’attend.

Une affaire de femmes est peut-être le film de Chabrol le plus sensible, où l’œil du cinéaste plonge dans l’intimité et la douleur de chaque personnage : ce fils en demande d’amour, le mari qui perd pied à force de se sentir rejeté (Cluzet, très bien dans le pathétique), et tous les autres, dont les regards perdus bouleversent.

Merci pour le chocolat – de Claude Chabrol – 2000

Posté : 25 octobre, 2024 @ 8:00 dans * Polars/noirs France, 2000-2009, CHABROL Claude | Pas de commentaires »

Merci pour le chocolat

Titre ironique, pour un Chabrol très grand cru. Dans pure veine hitchcockienne, le cinéaste-cinéphile cite tout à la fois Soupçons et Le Secret derrière la porte (un Lang lui-même très hitchcockien), ne filmant rien d’autre que ça : le soupçon et le secret, dans les alcôves d’une grande maison bourgeoise en apparence si parfaite.

Il faut dire qu’on est en Suisse, ce qui n’est pas si anodin : « Qui veux-tu qu’il te vole en Suisse ? », interroge l’un des personnages dans les premières minutes du film. Ben oui : dans ce décor-là, où tout a l’air si beau et si vrai, tout ne peut qu’être beau et vrai. Comme le mariage qui unit l’héritière d’une entreprise de chocolat et un grand pianiste.

La première faille apparaît très tôt, lorsqu’on apprend que ces deux mariés, Isabelle Huppert et Jacques Dutronc, s’étaient déjà mariés bien des années plus tôt, avant que le pianiste ne refasse sa vie avec la meilleure amie de la première, avec qui il a un enfant. Seconde épouse qui est morte prématurément, et mystérieusement.

Si on ajoute à cette découverte le lait que monte chaque soir la première (et troisième) épouse dans la chambre de son beau-fils, et si on a déjà vu Soupçons, on ne peut pas ne pas imaginer des choses…

L’intrigue se complique encore avec une jeune femme née le même jour que le fils du pianiste, avec qui elle aurait pu être échangée à la naissance… et qui s’avère être elle-même une jeune pianiste du talent. De quoi renforcer le malaise, recentrer l’intérêt, et pimenter les rapports familiaux.

Pas un cri, pas un mot qui dépasse. Une gentillesse et une bienveillance affichée à chaque moment. Mais de subtils mouvements de caméra qui viennent troubler l’élégance classique de la mise en scène : un plan légèrement désaxé, presque imperceptible, et c’est un sentiment de trouble et d’angoisse qui perce.

Merci pour le chocolat est un grand Chabrol, l’œuvre d’un cinéaste cette fois très inspiré et très attentif aux détails. Parce que c’est là, dans les détails, que naît l’intranquillité du film, son atmosphère si pesante qui tranche avec la quiétude des images.

Isabelle Huppert, décidément immense, y livre l’une de ses interprétations les plus dérangeantes, troublante et touchante jusqu’à l’abject. L’ultime plan sur elle est d’une richesse, d’une complexité et d’une puissance extraordinaires. Oui, décidément, grand Chabrol.

La Cérémonie – de Claude Chabrol – 1995

Posté : 15 octobre, 2024 @ 8:00 dans * Polars/noirs France, 1990-1999, CHABROL Claude | Pas de commentaires »

La Cérémonie

Chabrol, c’est un peu le John Huston français. Non pas que leurs cinémas soient tellement comparables, non. Mais il y a chez l’un comme chez l’autre une propension intermittente à la paresse qui revient de temps en temps tout au long de leurs filmographies respectives, et qui leur a valu à l’un comme à l’autre une mauvaise réputation. Mais tout au long de leur carrière, du tout début jusqu’à la toute fin, tous deux ont aussi signé d’authentiques chefs d’œuvre, qui viennent régulièrement contredire cette propension susmentionnée.

La Cérémonie fait assurément partie des plus grandes réussites de Chabrol, grand dézingueur de la bourgeoisie de province qui prouve ici qu’il peut porter le même regard cynique (mais non dénué d’une certaine tendresse, si si) sur toutes les couches de la société, les plus hautes comme les plus basses. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois (Poulet au vinaigre, dix ans plus tôt, était déjà bien gratiné). Mais sa vision si noire et si personnelle prend ici une ampleur inédite.

Vingt-cinq ans après ses premiers chefs d’œuvre noirs (Le Boucher, Juste avant la nuit…), Chabrol nous plonge dans l’intimité de la fabrique du crime, avec une clairvoyance et une précision évidemment glaçantes. Comment deux jeunes femmes (Sandrine Bonnaire et Isabelle Huppert, immenses toutes les deux, cette dernière dans un registre totalement inattendu) en viennent à abattre froidement et sans cligner un œil toute une famille de grands bourgeois…

Bien sûr, il y a leurs passés à toutes les deux. Mais il y a surtout ce mur infranchissable qui sépare ces deux filles de rien, et cette famille si installée. Ce sont pourtant des gens bien, ces bourgeois : des parents progressistes (Jean-Pierre Cassel et Jacqueline Bisset), des enfants particulièrement bienveillants (dont Virginie Ledoyen, toute jeune). Bref, rien de monstrueux chez eux, mais une incapacité à appréhender ce mur, et l’effet surplombant qu’il peut avoir.

Au-delà de la fabrique de monstres, c’est le dialogue impossible entre les êtres que filme Chabrol, avec un mélange d’élégance et de précision clinique qui bouscule parce qu’il fascine. Grand Chabrol, grand film glaçant, très grand film, tout simplement.

Rien ne va plus – de Claude Chabrol – 1997

Posté : 24 septembre, 2024 @ 8:00 dans * Polars/noirs France, 1990-1999, CHABROL Claude | Pas de commentaires »

Rien ne va plus

De la longue collaboration, entre Claude Chabrol et Isabelle Huppert, ce Rien ne va plus n’est clairement pas le plus ambitieux de la liste. Pas le plus convaincant non plus. Mais pas pour autant le moins attachant.

Il y a même quelque chose de profondément touchant (suranné, mais touchant) dans la relation qui unit Huppert à son aîné Serrault, que l’on devine alter ego du cinéaste. Comme si, au fond, ce film bancal ne parlait que des liens entre l’actrice et son réalisateur fétiche.

Comment, sinon, expliquer l’existence même de ce film faussement nonchalant, qui ne fait même pas mine de tenir un vrai rythme. Plein de creux, de pauses, de faux départs (ou faux retours), il ne va au fond nulle part, se contentant de profiter des plaisirs qu’offre la complicité trouble de ces deux-là.

Huppert et Serrault, donc, drôle de couple dont la nature des liens reste évasive, mais qui mène une vie en marge, enchaînant les arnaques pas bien méchantes et pas bien ambitieuses, pour le plaisir d’être là et de pouvoir attendre le prochain coup. De là à faire un parallèle avec le cinéma d’alors de Chabrol, qui tend à ronronner tout en apportant sa dose de vrai plaisir…

On pardonne de bon cœur le manque manifeste de direction d’acteurs, sans conséquence pour les deux acteurs principaux, plus problématique pour des seconds rôles moins convaincants. Si Cluzet s’en tire avec les honneurs, Jean-François Balmer et Jean Benguigui cabotinent maladroitement. Et mal.

Il faut dire que leurs personnages sombrent dans la caricature la plus éhontée, et que leurs apparitions plombent un peu le film. Parce que Chabrol s’y laisse aller à une violence et une noirceur qui ne convainquent guère dans cette petite chose qui penche par ailleurs nettement du côté, si ce n’est de la comédie, en tout cas de la légèreté.

Madame Bovary – de Claude Chabrol – 1991

Posté : 9 septembre, 2024 @ 8:00 dans 1990-1999, CHABROL Claude | Pas de commentaires »

Madame Bovary 1991

Relu avec enthousiasme cet été, sur les routes des Pyrénées, le chef d’œuvre de Flaubert m’a donné envie de prolonger le plaisir avec l’une de ses adaptations. Celle de Renoir étant très décevante, le moment était parfait pour découvrir celle de Chabrol, sortie à une époque où l’idée de voir l’adaptation d’un classique aussi daté me paraissait bien peu attirante.

Chabrol a-t-il su porter à l’écran cet univers si éloigné du sien ? Réponse en deux temps. D’abord, cet univers n’est pas si éloigné du sien. Le roman de Flaubert est même souvent très proche des obsessions du cinéaste : on y trouve une vision acerbe de la bourgeoisie de province, et des femmes étouffées par leurs maris et par les conventions de leur condition. Bref, Madame Bovary est un film très chabrolien.

C’est aussi un film très fidèle, parfois à la lettre, de l’œuvre de Flaubert, dont la voix off très présente (celle, toute en suavité, de François Périer) reprend des extraits entiers. Et Isabelle Huppert livre une grande incarnation d’Emma, soulignant à la fois sa fragilité, sa détermination et sa douleur. Face à elle, Jean Yann est savoureux en pharmacien fat, mais Jean-François Balmer plombe son interprétation du mari médiocre par sa propension à en faire beaucoup, et à le faire d’une manière très maladroite.

Surtout, voir le film aussitôt après avoir vu le roman n’est pas une bonne idée, parce qu’il condamne l’adaptation à une comparaison inévitable. Et cruelle. Aussi fidèle et aussi sincère le film soit-il, il échoue à nous plonger dans les tourments d’Emma, et donne le sentiment d’assister à une illustration du roman, belle et honnête, mais sans le verbe de Flaubert.

Et sans la fièvre et le trouble d’Emma, cette voix intérieure ardente et constamment changeante, qui fait la beauté du roman.

Que la bête meure – de Claude Chabrol – 1969

Posté : 18 avril, 2024 @ 8:00 dans * Polars/noirs France, 1960-1969, CHABROL Claude | Pas de commentaires »

Que la bête meure

1969, très, très grande année pour Claude Chabrol, qui tourne en quelques mois La Femme infidèle, Le Boucher et Que la bête meure. Soit trois de ses meilleurs films, avec lesquels il trouve ce qui resteront jusqu’au bout ses thèmes de prédilection : plus que la peinture acerbe d’une bourgeoisie décadente, la psyché d’hommes et de femmes rongés par la culpabilité, ou par leurs secrets les plus inavouables.

Dans Que la bête meure, Chabrol adopte une mise en scène aussi glaciale que son personnage principal, joué par Michel Duchaussoy : un homme en quête de vengeance, qui retrouve après de longues recherches l’homme qui a tué son fils en le renversant en voiture et en prenant la fuite. Le film est le récit de cette vengeance qu’il raconte (en voix off) dans un petit carnet pas si anodin. Mais la froide détermination du père se heurte bientôt à des sentiments tout à fait humain.

L’amour, d’abord, pour une jeune femme (Caroline Cellier) qu’il ne séduit dans un premier temps que pour approcher le monstre. Et la haine, débordante et viscérale, pour le coupable, joué par Jean Yanne : un monstre authentique, qui malmène son propre fils et humilie sa femme dans une scène d’une cruauté redoutable.

Faire de Yanne un personnage à ce point antipathique peut sembler une facilité : la vengeance du père n’en serait que plus légitime et mieux acceptée. Pourtant, ce choix rend la situation morale plus passionnante encore. Justement parce que la sympathie n’entre pas en ligne de compte, le dilemme ne repose que sur l’essentiel : la justification de l’acte de tuer.

La force du film repose sur le parti-pris de Chabrol d’adopter la posture du père : cette froideur qui correspond à son refus de parler de son fils au passé, cette distance mise à mal par des bribes d’humanité, par l’émotion qui jaillit de la bouleversante fragilité de Caroline Cellier, ou du comportement abject de Jean Yanne. Un chabrol radical, et très puissant.

La Fleur du mal – de Claude Chabrol – 2003

Posté : 7 mars, 2023 @ 8:00 dans * Polars/noirs France, 2000-2009, CHABROL Claude | Pas de commentaires »

La Fleur du mal

Sorti il y a tout juste vingt ans, La Fleur du Mal est sans doute le dernier film purement chabrolien, en ce qu’il contient tous les thèmes et motifs qui habitent son cinéma le plus incarné, le plus immédiatement reconnaissable : une bourgeoisie de province (ici, le Bordelais), des secrets de famille, l’art de ne rien laisser transparaître, la nécessité d’afficher une apparence de bonheur et d’équilibre, et le sentiment d’étouffer, qu’un verre de whisky permet de contenir…

Côté secrets de famille, on est plutôt gâté avec celle-ci, ou plutôt celles-ci, avec un s : deux familles qui ne cessent de s’aimer, de se tromper, et de répéter les mêmes drames génération après génération. Avec un trait d’union entre elles : la si bonne tante Line, qui a la douceur de Suzanne Flon, mais qui garde en elle soixante ans de douleur contenue. On le sait vite : ses souvenirs reviennent par bribes, par l’intermédiaire de voix off.

Comme on sait vite que tout ça va se terminer en drame. C’est même le plan qui ouvre le film : fascinant travelling qui nous conduit à l’étage de la maison de famille, où on entend des conversations au rez-de-chaussée, loin du cadavre qui gît quelques mètres au-dessus. Ce premier plan hante évidemment tout le film, planant comme une ombre implacable, pesant sur l’histoire d’amour qui se noue entre le demi-frère et la demi-sœur, joués par Benoît Magimel et Mélanie Doutey.

Chabrol n’est pas du genre à nous asséner un jugement moral : sa critique de la bourgeoisie est nettement plus fine, et forte, qu’un simple constat selon lequel des demi-frères ne devraient pas coucher ensemble. Son point de vue, et le nôtre, est celui de cette famille qui a fait de l’hypocrisie un mode de vie. Et dont certains membres n’en sont pas moins éminemment sympathiques.

Il nous place constamment au niveau de ces personnages, dévoilant par petites touches les travers du père (Bernard Lecoq), et la fauxculterie de la mère (Nathalie Baye), en campagne pour devenir maire. La politique, comme métaphore de l’hypocrisie bourgeoise. Ce pourrait être lourd et convenu, mais non : c’est même particulièrement édifiant devant la caméra de Chabrol, très inspirée.

Dans La Fleur du Mal, tout est affaire de répétition, de mensonges, du poids de l’héritage dans cet entre-soit attirant et effrayant à la fois. Le film est d’une extrême précision, avec ce sentiment d’inéluctable que partagent tous les grands films de Chabrol.

Juste avant la nuit – de Claude Chabrol – 1971

Posté : 6 mars, 2023 @ 8:00 dans * Polars/noirs France, 1970-1979, CHABROL Claude | Pas de commentaires »

Juste avant la nuit

Et si la première image de Juste avant la nuit, après un travelling sur la ville menant à la fenêtre d’un immeuble, clin d’œil pas innocent au premier plan de Psychose, était ce qu’il y avait de plus fort, et de plus évocateur, dans tout le cinéma de Claude Chabrol ? Un gros plan sur le profil baissé de Michel Bouquet, son incarnation la plus cynique de la bourgeoisie, le regard fixe sur une culpabilité dont on ne sait encore rien, et sur un arrière plan totalement noir. Et puis la lumière revient, laissant apparaître l’objet du malaise : une jeune femme nue et alanguie, pas encore assassinée mais c’est tout comme.

Juste avant la nuit n’est pas le film le plus célèbre et célébré de Chabrol. Il l’est moins en tout cas que Le Boucher, Que la bête meure ou La Femme infidèle, tourné peu avant. C’est pourtant l’un de ses chefs d’œuvre, et peut-être le plus hitchcockien dans sa facture et dans ses thèmes : cette manière de filmer la culpabilité et l’hypocrisie, les effets du crime plutôt que le crime lui-même, que Chabrol semble décortiquer dans les moindres détails alors qu’il ne nous en montre rien d’autre que les prémices et les conséquences. Pas l’acte lui-même.

Il semble en terrain totalement familier, Chabrol, filmant une famille bourgeoise se raccrochant à ce qu’elle a de plus vital : cette apparence de bonheur et de fidélité que chacun de ses membres ne cesse de revendiquer avec éclat. Les enfants rieurs, la femme faussement candide, la grand-mère exubérante, et même la bonne abonnée aux fous-rires… Tout sonne trop parfaitement pour être profondément sincère.

« Je te demande pardon… » commence le mari lorsqu’il confesse son crime à sa femme. Avant de continuer, sans ciller : « … Je n’ai pas eu le courage de continuer à me taire. » Avec cette phrase lancée par Michel Bouquet, et avec le visage fermé de son épouse jouée par Stéphane Audran, c’est un peu comme si le couple de La Femme infidèle poussait à l’extrême la logique bourgeoise chabrolienne : s’il s’excuse, ce n’est pas pour le crime qu’il a commis, mais pour le désordre que cela entraîne dans cette petite vie si parfaite.

Surtout ne rien laisser transparaître, surtout ne rien faire qui pourrait troubler la surface de ce bonheur apparent. La scène où Bouquet se livre au mari de sa victime, qui est aussi son meilleur ami et qu’interprète François Périer, est extraordinaire. Périer, au premier plan le visage impassible. Bouquet un peu en arrière, plongé dans l’ombre, de plus en plus opaque au fur et à mesure que son ami encaisse sans éclat, refusant de renoncer à cette amitié inséparable de son équilibre bourgeois…

Le crime est un prétexte, un « mcguffin » pour reprendre le terme d’Hitchcock, la raison qui enferme le personnage de Michel Bouquet dans une prison interne que la mise en scène de Chabrol ne cesse de souligner par des jeux de rideaux, par des grilles posées en premier plan… Autour de lui, dès ce formidable plan d’ouverture sur fond noir, le décor ne fait que renforcer le sentiment d’isolement et de pression, jusqu’à la nuit. La nuit qui estompe les aspérités. La quintessence du cinéma de Chabrol.

Les Fantômes du chapelier – de Claude Chabrol – 1982

Posté : 16 octobre, 2021 @ 8:00 dans * Polars/noirs France, 1980-1989, CHABROL Claude, d'après Simenon | Pas de commentaires »

Les Fantômes du Chapelier

Simenon et Chabrol : l’association de ces deux noms est tellement évidente qu’on aurait tendance à imaginer, tout naturellement, que la filmographie du second est remplie d’adaptations des romans du premier… Mais non : il y a eu Betty, en 1992, et ces Fantômes du chapelier dix ans plus tôt. L’ombre du créateur de Maigret plane sur la filmographie du cinéaste, mais comme une inspiration diffuse, une sorte de figure tutélaire qui trouvera son apogée avec l’ultime film de Chabrol, Bellamy, hommage de l’un au personnage le plus célèbre de l’autre.

Les Fantômes du chapelier est en tout cas là pour confirmer que Chabrol était fait pour filmer du Simenon. Le film est à la fois une excellente adaptation, et un pur Chabrol. L’atmosphère, si chère à l’écrivain, ce microcosme si précis bousculé par un événement extérieur, les petits secrets et les grandes mesquineries… La réussite du film tient peut-être avant tout du fait que tous ces éléments doivent autant de l’un que de l’autre. Totalement Simenon, et totalement Chabrol.

Chabrol qui s’amuse aussi à citer son autre référence majeure, Hitchcock, reprenant des plans de Psychose avec une précision étonnante : un grand angle plongeant sur la chambre de Serrault et sa « femme », et bien sûr ces ombres chinoises laissant deviner le couple en pleine discussion derrière les rideaux de la chambre… C’est presque avec ces images que le film s’ouvre. Mais Chabrol ne cherche pas pour autant à refaire le coup de Norma Bates : tout dans ces citations visuelles appelle le spectateur à comprendre la situation avant même qu’il la mette réellement en image.

On a donc une petite ville terrorisée par des meurtres de femmes, un petit cercle de bourgeois qui se retrouvent chaque jour sans vraiment se passionner pour le fait divers, et le criminel qui se trouve être l’un d’eux. Rien de vraiment spectaculaire, mais un malaise qui s’installe pour ne plus s’évanouir, avec cet étrange lien qui unit le chapelier Michel Serrault et son voisin tailleur, Charles Aznavour.

Le premier, aisé et respecté, est accueilli au café comme un habitué qu’on appelle par son prénom. Le second, immigrant effacé et malingre, est un petit homme qui semble n’exister aux yeux de personne. Le tailleur, pourtant, se met à suivre le chapelier où qu’il aille, ce dernier se délectant de cette ombre dont il ne cherche jamais à se détacher. Si le film est si réussi, c’est aussi parce que les rapports entre ces deux là ne sont jamais simples, toujours troublants…

Kachoudas, le tailleur joué par Aznavour, sait que Labbé, le chapelier joué par Serrault, est le tueur qui fait trembler la ville. Il le sait, mais il ne dit rien, laissant même une victime mourir devant ses yeux. Pourquoi se tait-il ? Simplement parce qu’il veut simplement vivre tranquille ? Et pourquoi Labbé le laisse-t-il le suivre ? Les doutes constants qui naissent de ces interrogations nourrissent le malaise qui ne cesse de croître au fur et à mesure que la folie du chapelier semble prendre le dessus.

Michel Serrault est formidable dans ce rôle, à la limite du grotesque, notable grandiloquent et pathétique que personne ne penserait même à soupçonner. Face à lui, Aznavour est touchant en Arménien dont la vie semble n’avoir été qu’une fuite en avant silencieuse. Dérangeant et inconfortable, Les Fantômes du chapelier fait partie des très bonnes adaptations de Simenon, et des très bons Chabrol.

Poulet au vinaigre – de Claude Chabrol – 1985

Posté : 31 janvier, 2019 @ 8:00 dans * Polars/noirs France, 1980-1989, CHABROL Claude | Pas de commentaires »

Poulet au vinaigre

« Ecoute ta mère : touche pas à ça, c’est une lève-tard ! » Stéphane Audran, en invalide victime des bourgeois d’une ville de province, ne serait-elle pas plus odieuse encore que lesdits bourgeois, dans cette nouvelle charge très chabralienne, qui valut à son cinéaste l’un de ses plus grands succès populaires ?

A vrai dire, il n’y a pas grand-monde à sauver, dans cette bourgade de Seine-Maritime où les petits secrets bien pourris ne sont l’exclusivité de personne. En vrac : un notaire hautain (Michel Bouquet, qui d’autre…), un médecin malsain et un garagiste au sang chaud associés pour virer à tout prix l’invalide en question de chez elle ; le fils de ladite, postier qui épie les premiers et ouvre leurs lettres (Lucas Belvaux) ; sa collègue un rien nymphomane, qui pique dans la caisse (Bernadette Laffonf) ; et bien sûr le flic le plus célèbre du cinéma de Chabrol, l’inspecteur Lavardin, arrogant et violent, pas à un dérapage près.

Dans le rôle, Jean Poiret fait preuve d’une antipathie gourmande, dans une interprétation réjouissante qui fait beaucoup pour le charme du film. Surtout que la présence de ce personnage très fort est loin d’étouffer le reste : il n’apparaît que très tardivement, et ne revient que de loin en loin, comme le sparadrap de Dupont dont ce microcosme à l’équilibre vacillant n’arriverait pas à se débarrasser.

Tellement peu présent que Chabrol (et ses producteurs) en ressentira une sorte de frustration, enchaînant l’année suivante avec un Inspecteur Lavardin qui annoncera d’emblée l’ambition, et avec une éphémère série éponyme.
C’est d’ailleurs une nouveauté dans le cinéma de Chabrol : l’intérêt du film repose avant tout sur ce flic intarissable sur les œufs au plat du matin, et sur les petites gens, eux-mêmes victimes de la férocité du cinéaste. Des personnages atypiques que l’on retrouve dans un univers, lui, bien familier. Du Chabrol dans le texte, où les bourgeois sont très exactement comme on les attend.

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