Sous le lampadaire (Unter der Laterne) – de Gerhard Lamprecht – 1928
Splendide mélo que signe Gerhard Lamprecht, cinéaste oublié mais très grand de la période muette du cinéma allemand. La plus belle, donc. Un mélo en apparence assez classique : c’est la trajectoire tristement banale dans le genre d’une jeune femme, Else (Lissy Arna) entraînée dans une inexorable descente aux enfers. Avec tous les excès du mélodrame : rien ne lui sera épargné.
C’est surtout le portrait d’une société terrifiante pour une femme seule et sans ressource. Lamprecht filme la ville comme une suite de pièges où le moindre bras qui se tend est comme un étau qui se resserre, où le moindre passage obscur devient un tunnel sans fin, où la triste héroïne se débat en pure perte, sans possibilité de sortir de ces murs omniprésents et de plus en plus oppressants.
La dernière partie va très loin dans le mélo le plus plombant, mais tout commence pourtant d’une manière très lumineuse. Toute la première partie du film est emmenée sur un rythme trépidant, avec une envie de vivre et la joie communicative d’Else et de ses deux « anges gardiens », son fiancé Hans et leur ami Max. Avec une immense délicatesse, aussi. Mais la légèreté des premiers temps disparaît peu à peu. Lamprecht réussit à modifier constamment l’atmosphère de son film, la rendant plus lourde, toujours plus lourde. Car ce qu’il veut faire ressentir dans ce film, c’est la disparition de l’innocence, la mort des illusions. Pas gai, non…
Superbement filmée, cette histoire tragique confirme le talent de Lamprecht, cinéaste visuel qui illustre parfaitement le degré de perfection qu’avait atteint le cinéma à la fin du muet. Tout dans ses images fait sens. Le moindre geste, le moindre objet. Loin des plans généraux qui étaient la norme quelques années plus tôt, lui semble ne s’intéresser aux détails: une main qui se tend lentement pour éteindre une bougie, une affiche que l’on décroche… L’émotion, la complexité des personnages : tout passe par l’image, Lamprecht n’utilisant les cartons qu’avec parcimonie.
Cette logique atteint un systématisme étonnante et fascinant lors de la parenthèse « luxueuse » de la pauvre héroïne, qui se retrouve en couple avec un dandy escroc : durant de longues minutes, pas le moindre plan large, plus le moindre visage, juste une valse de vêtements, de bijoux, des gros plans sur des pieds croisés, sur des mains abandonnées… Simplement génial.