Les Gens d’à-côté – d’André Téchiné – 2024
Il y a un signe qui ne trompe pas : si, après avoir vu un film en salles, on éprouve le besoin irrépressible d’en prolonger l’atmosphère en retrouvant l’esprit de sa bande son, c’est qu’il s’est passé quelque chose de fort dans cette salle de cinéma. Or, c’est l’envie pressante de musique africaine qui continue à m’habiter quelques heures après avoir découvert le nouveau Téchiné. Oui, il s’est passé quelque chose de fort.
Comme dans tous les grands films de Téchiné (qui est loin de me convaincre à chaque fois), celui-ci donne d’abord le sentiment de n’être pas grand-chose : une chronique un peu douce-amère, sans rien de spectaculaire, sans même de vraies aspérités. L’histoire toute simple d’une femme en deuil qui se prend d’amitié pour ses nouveaux voisins, plus jeunes, socialement très loin d’elle.
Elle est flic, et à l’âge où elle pourrait prendre sa retraite. Mais la police est sa vie. C’est là que sont ses amis, c’est de là que vient son reste de famille, celle du frère de son conjoint suicidé un an plus tôt. Mais cette famille est d’origine africaine, et ça a du sens : celui d’une certaine ouverture, et d’une culture qui n’est pas celle de la France et qui baigne tout le film, par petites touches musicales, et par ce je ne sais quoi de magique que peut offrir le cinéma.
Eux sont des trentenaires à peine sortis des classes les plus populaires de la société. Lui, d’ailleurs, est un révolté. Un artiste, doué et sensible, mais un révolté, un blackblock qui ne cache pas sa haine des flics. Alors forcément, elle tait son métier. On voit le clash arriver ? On a tort. Le film est bien plus fin que ça, à moins qu’il ne soit naïf.
Ce qu’on peut lui reprocher, à coup sûr : avec ce film de pas vraiment banlieue, Téchiné livre une vision personnelle de ce que pourraient être les liens sociaux, de ce fil qui doit, forcément, exister entre une policière et la famille d’un blackblock. Naïf, oui, mais à la manière d’un Chaplin ou d’un Renoir. Bref : à moins de dénier à Téchiné le droit à cette naïveté, louons-là et saluons-là, cette naïveté. Et appelons-là humanité…
D’ailleurs, il y a une telle simplicité dans le propos du film que c’est bien l’humanité qui s’en dégage. Derrière le regard faussement froid d’une Isabelle Huppert décidément très très grande, ou derrière celui plus révolté d’une Hafsia Herzi décidément d’une justesse et d’une intensité immenses.
Le film est renversant de sincérité et d’émotion contenu. Ces deux actrices forment un duo totalement improbable, mais magnifique. Bonne nouvelle : elles enchaîneront avec un autre film commun très excitant : La Prisonnière de Bordeaux. Vivement.