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Archive pour la catégorie 'EUSTACHE Jean'

Numéro Zéro – de Jean Eustache – 1971

Posté : 13 juin, 2024 @ 8:00 dans 1970-1979, DOCUMENTAIRE, EUSTACHE Jean | Pas de commentaires »

Numéro Zéro

Un dispositif on ne peut plus simple : autour d’une table de cuisine, Jean Eustache recueille les souvenirs de sa grand-mère maternelle, Odette Robert. Pendant près de deux heures, elle raconte sa jeunesse, sa vie de femme, au gré de ses souvenirs.

La « séance » dure le temps du film, et c’est en continu qu’Odette raconte le fil de sa vie, s’interrompant lorsqu’il faut changer les bobines de l’une des deux caméras, lorsque son petit-fils lui ressert un whisky ou lui allume une cigarette, ou lorsqu’ils sont interrompus par un appel téléphonique de la télévision hollandaise qui veut acheter Le Père Noël a les yeux bleus.

De ce parti-pris de simplicité extrême se dégage une grande vérité, et même une étonnante familiarité, donnant le sentiment d’être directement le destinataire des confessions de cette femme racontant sans misérabilisme une existence qui lui a réservé bien des malheurs : sa mère morte quand elle n’est qu’une enfant, une belle-mère haineuse qui lui mène la vie dure, un mari qui ne cesse de la tromper, plusieurs enfants qui meurent en bas âge…

Sans même parler de ces yeux sensibles et douloureux qui lui interdisent tout véritable repos. Elle est belle cette Odette, dans sa manière d’évoquer ses drames sans s’apitoyer, racontant sans embellir et sans se plaindre (« il y a toujours plus malheureux »), évoquant la méchanceté de cette marâtre qui lui a gâché son enfance en ponctuant d’un « pauvre femme »

Face à elle, Eustache ne dit rien, ou si peu. Le dos tourné à la caméra, il se contente de recueillir la parole de sa grand-mère (et de resservir les whiskys), sa seule présence suffisant à relancer Odette, dont la mémoire semble ne pas avoir de limite, pas plus que son envie de raconter, des choses graves comme de petites anecdotes.

A travers elle, à travers son existence ponctuée de drames, de souffrances et d’humiliations, c’est la condition de nombreuses femmes du début du siècle dernier qui se dessine. La simplicité du procédé, avec un montage qui se contente d’alterner entre les deux caméras qui filment en continu, l’une en gros plans, l’autre en plans plus larges, donne une belle vérité à ce film qu’Eustache ne tourne que pour le montrer à quelques amis.

Numéro Zéro n’est en effet pas sorti en salles en 1971, ni dans les années qui suivent. Il faudra attendre 1980 pour qu’Eustache accepte d’en monter une version courte et de la diffuser à la télévision. On en reparlera…

La Petite Marchande d’allumettes, postface – de Jean Eustache – 1969

Posté : 11 juin, 2024 @ 8:00 dans COURTS MÉTRAGES, DOCUMENTAIRE, EUSTACHE Jean, TÉLÉVISION | Pas de commentaires »

La Petit Marchande d'allumettes postface

Après la « postface » du Dernier des Hommes de Murnau, c’est à La Petite Marchande d’allumettes de Jean Renoir, autre grand film muet, que Jean Eustache offre un « bonus ». Avec un procédé différent cette fois : plutôt qu’un dialogue entre spécialistes cinéphiles, c’est Renoir lui-même qu’Eustache filme en gros plans, dans ce théâtre du Vieux Colombier où il a tourné son film (à mon humble avis le meilleur de sa période muette quarante ans plus tôt) quarante ans plus tôt.

Renoir semble fatigué et en bout de course : c’est l’époque où il tourne son ultime film, son triste Petit Théâtre…Mais il a toujours cette faconde et ce verbe qui n’appartiennent qu’à lui, qui en font un parleur hors pair, qui passe d’une anecdote à l’autre avec un grand sens du détail et de la précision et beaucoup d’à propos, et avec la simplicité d’un type qui ne la ramène pas, sans pour autant surjouer la fausse modestie.

Renoir a eu des idées géniales pour ce bijou muet ? Oui, mais c’est avec un naturel confondant qu’il explique comment il a filmé la course à cheval dans les nuages, ou comment il a utilisé décors et jouets dans ce théâtre utilisé pour une seule raison : parce qu’il n’avait ni les moyens ni la possibilité de tourner dans un vrai studio…

Ce document n’apporte rien à la gloire de Jean Eustache, dont l’apport semble très limité, la caméra ne quittant guère le visage de Renoir tourné vers son intervieweur (qui n’est pas Eustache). Mais il réjouit par sa dimension de bonus de luxe, grâce à un Renoir passionnant, gourmand, et touchant.

Le Dernier des Hommes, postface – de Jean Eustache – 1968

Posté : 10 juin, 2024 @ 8:00 dans 1960-1969, COURTS MÉTRAGES, DOCUMENTAIRE, EUSTACHE Jean, TÉLÉVISION | Pas de commentaires »

Le dernier des hommes Postface

Suivre le fil de la filmographie de Jean Eustache promet d’être un chemin très sinueux, qui nous fait emprunter des voies inattendues. Après le moyen métrage dans la mouvance de la Nouvelle Vague, après le documentaire à la gloire d’une particularité de sa ville d’origine, voilà qu’Eustache filme ce qui serait aujourd’hui un bonus de DVD…

En l’occurrence : une conversation à trois cinéphiles (André S. Labarthe, le réalisateur Marc’O et Jean Domarchi qui accapare constamment la parole, coupant inlassablement ses deux comparses) autour du Dernier des Hommes. Et si cette petite demi-heure donne une furieuse envie de revoir le chef d’œuvre de Murnau, non seulement pour ce qui en est dit, mais aussi pour l’utilisation des extraits du film insérés dans la discussion, c’est ailleurs que se situe l’intérêt de ce document filmé.

Comme dans La Rosière de Pessac, Eustache, avec une mise en scène minimaliste (une caméra le plus souvent fixe, qui suit en gros plans les trois débatteurs assis autour d’une table) capte quelque chose de son époque : un certain verbe, une manière de cloper, une cinéphilie d’avant la VHS, une vision du monde aussi, où on n’hésite pas à décrire les Allemands comme un peuple glouton parce qu’inquietUne autre époque…

La Rosière de Pessac – de Jean Eustache – 1968

Posté : 6 juin, 2024 @ 8:00 dans 1960-1969, DOCUMENTAIRE, EUSTACHE Jean | Pas de commentaires »

La Rosière de Pessac

Printemps 1968. La jeunesse… Mais à Pessac, la ville d’où Jean Eustache est originaire, là où il décide de poser sa caméra pour un premier documentaire assez étonnant, après deux moyens métrages qui présentaient une jeunesse urbaine bien de son époque, celle de la France d’avant mai 68, donc.

Loin des « événement », dont on n’entend parler que par le prêche (très politique) d’un prêtre devant ses ouailles, Eustache filme une tradition ancestrale de Pessac : l’élection et le sacre de la « Rosière », une jeune femme choisie non pour ses attraits physiques, mais pour ses « qualités morales ».

Bref : une vierge, travailleuse et catholique. Une image traditionaliste qui tranche assez radicalement avec la jeunesse qui s’impose cette année-là, mais aussi avec l’image qu’en donnent alors les piliers de la Nouvelle Vague.

Pas d’ironie, pourtant, dans le regard d’Eustache. Il filme une France qu’on aurait un peu vite fait de balayer d’un revers de la main : celle d’un patriarcat assumé. « La mère s’occupe du ménage, évidemment », lance un conseiller municipal avec une évidence débonnaire et dénuée de tout cynisme. La femme, et la société, ont fait du chemin depuis…

En filmant longuement la réunion de désignation de la Rosière 68, puis la cérémonie elle-même, Eustache livre un témoignage assez fascinant d’un cérémonial hyper codé, d’une tradition d’un autre âge, mais qui a toujours ses équivalents en 2024. Comme le cérémonial électoral ressemble fort à celui qui prévaut encore dans beaucoup de petites communes.

Beau regard en tout cas, plein d’humanité et de bienveillance, qui tire le meilleur d’un dispositif technique réduit au minimum : une caméra frontale, pas de musique ajoutée, des scènes filmées dans la longueur… Simple, et pertinent.

Le Père Noël a les yeux bleus – de Jean Eustache – 1966

Posté : 16 mai, 2024 @ 8:00 dans 1960-1969, COURTS MÉTRAGES, EUSTACHE Jean | Pas de commentaires »

Le Père Noël a les yeux bleus

Le film aurait pu s’appeler Les Mauvaises fréquentations, titre alternatif du premier moyen métrage d’Eustache. D’ailleurs, ça a été le cas un moment, en tout cas sur le papier : Le Père Noël a les yeux bleus est bel et bien une variation sur le thème du précédent, ou plutôt le deuxième volet d’un diptyque sur le même sujet, à ceci près qu’une ville de province (Narbonne) se substitue à Paris. Ce qui n’est pas totalement anodin.

Pas anodin, parce que le rythme n’est pas le même. Et que sans faire d’anti-provincialisme de base (je vis dans un petit village d’un secteur bien rural), l’ennui n’a pas la même qualité. Les jeunes gens, cependant, ne sont pas bien différents. Ici, le héros a les traits de Jean-Pierre Léaud, alors forcément, il ne ressemble pas tout à fait aux duettistes du premier film. Mais son ambition n’est guère différente : séduire, pour tromper son ennui.

Le film doit son titre à une séquence centrale, dont l’idée, d’après Eustache lui-même, est à l’origine du projet. Léaud, pour gagner l’argent dont il a besoin pour s’acheter un duffel-coat (le grand enjeu dramatique du film : va-t-il pouvoir l’acheter ?), joue les Père Noël pour un photographe, et profite de ce déguisement pour accoster des jeunes femmes qu’il connaît de vie, et qui se demandent toutes qui est cet homme derrière ce déguisement.

La vérité pure et fascinante qui faisait la beauté de Du côté de Robinson est toujours là, avec la même réussite et le même sens du réel… et du cinéma. Les deux, inséparables. Ces deux premiers moyens métrages imposent un cinéaste qui, même s’il paye son tribut aux réalisateurs « cartés » de la Nouvelle Vague (jusqu’à filmer le personnage de Léaud devant une affiche des 400 coups), a un univers bien à lui. Pas encore un long, et déjà : j’aime Eustache.

Du côté de Robinson / Les Mauvaises Fréquentations – de Jean Eustache – 1964

Posté : 15 mai, 2024 @ 8:00 dans 1960-1969, COURTS MÉTRAGES, EUSTACHE Jean | Pas de commentaires »

Du côté de Robinson

Premier film achevé de Jean Eustache, et premier coup de cœur. Ce moyen métrage n’a l’air de rien : tourné en 16 mm, il ne parle que de petites choses anodines : l’ennui dominical de deux amis qui tentent désespérément de séduire des « souris », les tentatives maladroites, les rencontres et les déceptions. Rien de plus, rien de conséquent, et pourtant…

De cette errance pleine d’ennui dans les rues de Paris, Eustache tire un film fascinant et passionnant d’une vérité troublante. Le film pourrait même être la photographie définitive d’une certaine jeunesse désœuvrée, maladroite, pleine d’envie et de maladresse. Ni des meneurs, ni des ratés : juste deux types ordinaires confrontés à la plus grande des galères de la jeunesse : la difficulté de séduire, le mystère insondable que représente l’autre sexe…

Eustache s’inscrit dans la mouvance de la Nouvelle Vague, avec ses séquences tournées en décors naturels, comme volées. Au premier abord, le jeune réalisateur semble donc rompre lui aussi avec un cinéma plus traditionnel. On sent pourtant la patte d’un cinéaste-cinéphile, qui maîtrise d’une manière assez impressionnante le langage cinématographique : cette errance diurne est filmée (et montée) avec une fluidité et un rythme absolument incroyables.

Et puis, quels accents de vérité dans les échanges entre ces deux amis qui tentent désespérément de sauver une journée qui doit ressembler à tant d’autres, marquée dès le début par un sentiment d’impuissance et d’échec annoncé. Tout sonne juste et profond dans ce film, qui est aussi un témoignage fascinant d’un Paris disparu : celui des dancings, d’une place du Tertre pas noire de touristes, d’un Montmartre aux allures de village…

Pas grand-chose, donc. Mais ce pas grand-chose, cette tranche de vie un peu minable, est aussi la naissance d’un cinéaste que l’on a déjà envie de suivre partout. Le cinéma, le vrai, pour parler de la vie, la vraie. C’est beau, et ça donne une envie folle de voir la suite.

La Soirée – de Jean Eustache – 1963

Posté : 14 mai, 2024 @ 8:00 dans 1960-1969, COURTS MÉTRAGES, EUSTACHE Jean, FILMS MUETS | Pas de commentaires »

La Soirée

Puis-je l’avouer sans rougir ? Je n’avais jusqu’à présent jamais vu un seul film d’Eustache. Non, pas même La Maman et la putain, qui ne me fascine depuis vingt ans que pour l’utilisation d’un fameux monologue qu’en a fait le groupe Diabologum. C’est assez peu, pour le cinéphile que je revendique être. A ma décharge : les films d’Eustache sont depuis longtemps très difficiles à voir, coincés quelque part par d’obscurs problèmes de droits.

Mais voilà la filmographie du sieur, introuvable jusqu’alors en vidéo, a l’honneur d’un coffret intégral en blu ray. Gloire soit une nouvelle fois rendu à Carlotta (qui vient aussi de sortir un nouveau coffret de quelques raretés d’Ozu… on en reparle très vite). Et quitte à avoir tous les films d’un cinéaste qui me fait de l’œil depuis si longtemps entre les mains, autant y aller dans l’ordre, non ?

Va pour approche chronologique, donc. Bon… Le tout premier opus d’Eustache est un film inachevé tourné sans moyen, en 16 mm, et sans bande son. Autant dire qu’on fait plus évident, comme introduction à une œuvre. Un peu plus de 7 minutes dans un appartement bourgeois qu’on devine parisien. Ambiance très Nouvelle Vague pour ce jeune réalisateur proche des Cahiers, mais un rien trop jeune pour faire vraiment partie du clan…

Difficile de juger un film pas terminé, sans son, et dont le montage n’a sans doute rien de définitif. On y voit un homme (joué par Paul Vecchiali) lisant un texte à un groupe d’amis plus ou moins passionnés, un couple dont les baisers enflammés en gros plans sont constamment dérangés, et puis un départ vers on ne sait où… puisqu’il n’y a pas de son.

Carlotta nous apprend que le film est librement inspiré d’une nouvelle de Maupassant et que le personnage joué par Vecchiali lit à ses amis un texte sur le cinéma dont il est l’auteur. Ce qu’on croit sur parole, notant simplement que ces images ont un aspect très amateur, avec une dévotion très affirmée pour le cinéma de Godard ou de Rohmer. Une mise en bouche intrigante, disons. Mais pour le coup, pas grand-chose de plus…

 

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