La Couleur Pourpre (The Color Purple) – de Steven Spielberg – 1985
Il faut avoir un cœur rudement dur pour ne pas verser au moins un litre de larmes devant La Couleur pourpre. Un film important dans la carrière de Steven Spielberg : celui où, pour la première fois, il assume pleinement ses velléités à être autre chose qu’un (génial) cinéaste de divertissement. On a bien le droit, d’ailleurs, de préférer Les Dents de la Mer, Les Aventuriers de l’Arche perdue à ce drame terrible. On a bien le droit aussi de trouver que sa manière de créer l’émotion dans E.T. est plus nuancée, plus élégante.
Mais il y a quelque chose de très beau dans l’application de Spielberg à ne pas édulcorer son histoire, frôlant pour cela le trop-plein. Mais le résultat est, franchement bouleversant. Beau et généreux. Parfois un peu grandiloquent. Parfois un peu maladroit. On retrouve en fait les (grandes) qualités et les (troublants) défauts qui marqueront La Liste de Schindler, quelques années plus tard, en particulier cette propension de Spielberg à glisser du suspense là où ce n’est pas nécessaire : la scène du rasage, comme celle de la douche dans son classique de 1993.
Finalement, c’est dans les détails que l’émotion se fait la plus forte. Dans un geste de la main de Celia, dans une leçon de sourire qui se fige en torrent d’émotion. Et puis le film révèle le talent de la toute jeune Whoopy Goldberg, absolument magnifique dans le rôle de cette jeune fille noire confrontée à la cruauté de ce Sud de l’Amérique encore marqué par le poids du ségrégationnisme (Oprah Winfreh est également très bien en femme forte, puis femme brisée, étonnante). L’histoire est d’autant plus forte qu’elle ne met en scène, quasiment, que des noirs, évitant ainsi tout manichéisme trop facile.
Celia, donc, gamine enceinte de son propre père, que ce dernier refile à un type violent (Danny Glover, glaçant et curieusement touchant en fils brisé devenu adulte castrateur) qui aurait préféré la grande sœur, mais bon. Forcément, on lui retire ses bébés, on la sépare de sa sœur et les années passent, implacables, plombantes, dépourvues d’espoir. Il est question de domination, d’aliénation, de femmes sacrifiées, et de la figure du père, omniprésente et terrifiante. Spielberg a fait des films plus nuancés, plus maîtrisés. Mais comment échapper à l’émotion que suscite le film. Émotion attendue, c’est vrai, mais ça marche. Les larmes jaillissent, et on met deux plombes à se relever de son fauteuil…