Nola Darling n’en fait qu’à sa tête (She’s gotta have it) – de Spike Lee – 1986
Le premier long métrage de Spike Lee n’est ni le plus abouti, ni le plus emblématique de sa carrière, loin de là. Mais le cinéaste y affirme déjà un ton, une certaine liberté, et ce sens de la rupture qui caractériseront beaucoup de ses films. Un mélange d’ironie mordante et de bien-pensance aussi, qui fait que même quand il secoue l’ordre établi, Lee reste un citoyen bien élevé.
Le personnage de Nola Darling ressemble en fait beaucoup à son cinéma : une jeune femme noire ivre de liberté, qui multiplie les amants tous différents les uns des autres, comme un refus de se plier à la norme, mais qui se révèle incapable de choisir entre une facette ou l’autre de l’homo erectus. Ou une fausse nympho qui finit par opter pour la chasteté.
Bref, Nola Darling n’est pas telle qu’elle semble être au premier abord, pas plus que le cinéma de Spike Lee, qui est finalement moins politique que… cinématographique. C’est sur la forme, plus que sur le fond, que Lee est grand. On ne peut pas dire que ce constat soit évident dès ce premier film, encore un peu brouillon, plus bouillonnant que maîtrisé. Mais quand même…
Si Nola Darling… tranche avec de nombreux (premiers) films de cette époque, ce n’est pas tant par la liberté affichée de son héroïne. Sur ce plan, Lee n’invente pas grand-chose : son cinéma évoque même celui d’un Cassavetes des premiers temps, en plus sage et moins subversif. Mais dans la forme, il impose déjà une marque très personnelle, par quelques détails qui lui sont propres.
Sa manière de filmer le visage et le corps de Tracy Camilla Johns (pas une grande actrice, mais une grande présence… qu’on ne reverra quasiment plus par la suite), son utilisation des travelling et des gros plans, sa construction qui évoque un journal intime, ou l’irruption soudaine de la couleur dans un film au noir et blanc granuleux. Des petites choses qui assoient déjà le regard singulier de Spike Lee.