Duel au soleil (Duel in the sun) – de King Vidor (et William Dieterle, Otto Brower, B. Reeves Eason, Chester Franklin, Josef Von Sternberg, Hal Kern et William Cameron Menzies) – 1946
Signé King Vidor, ce monument du western est sans doute, avant tout, l’œuvre du producteur David O. Selznick, comme Autant en emporte le vent quelques années plus tôt. Duel au soleil est en tout cas un exemple extrême mais passionnant de ce qu’était la paternité d’un film durant la grande époque des studios hollywoodiens. Vidor, qui a fini par quitter le tournage (au très long cours) suite à ses innombrables désaccords avec Selznick, a certes réalisé la plus grande partie du film. Mais il n’est pas le seul réalisateur à y avoir travaillé : William Dieterle en a probablement réalisé une partie non négligeable, tout comme Otto Bower. Et d’autres ont réalisés quelques scènes, ou quelques plans : William Cameron Menzies, Chester Franklin, Hal Kern, B. Reeves Eason, et même Josef Von Sternberg.
Mais les décisions, c’était bien Selznick qui les prenait, transformant peu à peu ce qui devait être un petit western tragique et romanesque en une immense fresque démesurée, que le producteur voyait comme le pendant westernien de Gone with the wind. Une œuvre marquée par la fascination que le producteur avait pour son actrice – et fiancée – Jennifer Jones, magnifiée et d’une sensualité torride tout au long d’un film gorgé de soleil, de désir et de sang.
C’est la quintessence du grand spectacle. Avec ce film, Selznik et Vidor (même s’il ne peut être considéré comme l’auteur du film, le réalisateur a donné une forme aux visions du producteur) ont pris le parti de ne pas tourner le dos aux poncifs hollywoodiens, mais au contraire de les prendre à bras le corps et de les élever au rang de grand art. On a ainsi droit à des couchers de soleil d’un rouge éclatant, à une musique tonitruante et romantique (partition impressionnante de Dimitri Tiomkin), à des histoires d’amour à mort…
A la vraisemblance, producteur et réalisateurs préfèrent le spectaculaire, transformant la moindre scène en ce qui pourrait être l’apothéose du film. Une séquence aussi anodine que l’arrivée de Pearl (Jennifer Jones) dans le ranch devient un passage grandiose à la Rebecca (une autre production Selznick). Un simple gros plan de Joseph Cotten et sa fiancée (Joan Tetzel) devient un grand moment de cinéma : la caméra ne bouge pas, mais le train sur lequel ils se trouvent se met en route et s’éloigne, transformant le gros plan en un beau plan large…
Tout est exagéré dans le film : chaque éclairage, chaque plan, les vastes mouvements de caméras qui soulignent l’ampleur de l’entreprise (la scène du saloon au début du film, l’arrivée du chemin de fer, la grande fête dans le domaine…), la présence de centaines de figurants dans certaines scènes, les émotions, les situations, les sentiments, et même ce final mythique qui flirte constamment avec le ridicule.
Sauf que rien n’est ridicule bien sûr, et tout est sublime, déchirant. Bouleversante, l’histoire de cette métisse, Pearl, tiraillée entre sa volonté de mener une vie honnête auprès du gentil frère (Cotten) et son désir presque animal pour cet autre frère rustre et brutal (Gregory Peck), luttant entre le modèle de ce père droit et aimant mort pour sauver son honneur (Herbert Marshall) et l’héritage de cette mère aux mœurs légères qui couchait avec le premier venu.
De ce western à l’histoire finalement assez classique, Selznick & co tirent une sorte de tragédie shakespearienne bouleversante qui est aussi un condensé magnifié de ce que sait faire l’usine à rêve hollywoodienne. Ce n’est pas un hasard si le casting réunit à la fois de jeunes stars en vogue des années 40 (Jennifer Jones, Gregory Peck, Joseph Cotten), et des mythes des premières années d’Hollywood (Lillian Gish, Harry Carey, Lionel Barrymore). Une somme, et un chef d’œuvre…