
De French Connection, on retient généralement la course-poursuite hallucinante, qui mérite largement tout le bien qu’on a pu en dire depuis quarante ans : cette séquence surpasse nettement celle, pourtant culte, de Bullit. Ici, on a Gene Hackman, plus déterminé tu meurs, qui poursuit en voiture un métro aérien, dans les rues de New York. Cette séquence, tournée dans des conditions de sécurité très minimales (William Friedkin voulait profiter des aléas de la circulation pour renforcer l’aspect réaliste de son film), aurait pu finir en drame. Mais aujourd’hui, on oublie l’irresponsabilité de Friedkin pour saluer l’incroyable tension qu’il a su donner à cette scène probablement insurpassable. On vit cette séquence comme si on était sur le siège passager de Gene : avec l’envie d’appuyer sur la pédale de frein, et le réflexe de s’accrocher à la portière ; lorsque cette mère de famille déboule avec son landau sur la chaussée, on est à ça de hurler… Bref, rarement une scène de voiture a réussi à communiquer aussi bien la sensation de vitesse et de danger…
Cette séquence est aussi marquée par le sadisme et la cruauté d’un Marcel Bozzufi acculé, et par sa conclusion : fatigué par cette longue course-poursuite, « Popeye » — Gene Hackman ne fait même pas mine de le poursuivre à pied… D’une balle dans le dos, il signe l’image la plus mémorable du film (que j’ai d’ailleurs choisie pour illustrer ce papier… ce blog est décidément bien fait !).
Cette course-poursuite est mémorable, tout comme la traque finale, dans le hangar désaffecté, et ce coup de feu hors-champs qui résonne longtemps après le générique de fin, symbole du fossé franchi entre la détermination du héros et une sorte de folie… Ces moments de bravoures sont cependant des parenthèses dans un film fascinant, mais bien peu spectaculaire : l’essentiel de French Connection consiste en des séquences de planque, de filature, de fouille… Bref, le quotidien tristoune des flics américains, un peu glauque et franchement chiant, à des années lumière des héros bondissants du cinéma hollywoodien. Les journées de ces flics sont longues, très longues… Leurs nuits n’ont bien souvent pas d’autre cadre que les sièges crasseux de leurs vieilles bagnoles pas confortables… Même leurs histoires de cul sont un peu tristes. Pas drôle, d’être un policier dans le New York des années 70.
Friedkin n’enjolive pas, ne triche pas. Il s’inspire d’une histoire vraie, et n’essaye pas d’en tirer un film fun surchargé en scènes d’action : la filière de la drogue a été démantelée grâce à un gros coup de chance, et des tonnes de patience, et c’est exactement ainsi qu’il le montre dans son film. Avec French Connection plus que dans aucun autre de ses films, Friedkin a voulu « faire vrai », être au plus près de la véritable histoire : il a même embauché comme consultants les « vrais héros », Eddie Egan et Sonny Grosso, qui jouent même de vrais rôles dans le film. Friedkin s’autorise quelques libertés, mais toujours dans le but de faire ressentir le poids du quotidien, chez ces flics qui ne vivent que pour leur boulot. C’est aussi en s’inspirant d’eux que le réalisateur a mis dans la bouche de Hackman cette phrase devenue culte : « You ever been to Poughkeepsie? Huh? » Une question incompréhensible dont le but était de déstabiliser les voyous. C’est du réel, donc, mais ça fait aussi curieusement penser à un film pourtant aux antipodes : Le Port de l’Angoisse, dans lequel Walter Brennan demandait à quiconque il croisait : « Vous avez déjà été piqué par une abeille morte ? »
Gene Hackman, qui explose littéralement dans ce rôle, est extraordinaire, impressionnant bloc d’obstination. A ses côtés, Roy Scheider est beaucoup plus en retrait, mais tout aussi bon. Quatre ans plus tard, John Frankenheimer signera une suite (sans Roy Scheider) pas tout à fait aussi réussie, mais franchement pas mal…