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Archive pour juin, 2022

Top Gun : Maverick (id.) – de Joseph Kosinski – 2020-2022

Posté : 26 juin, 2022 @ 8:00 dans 2020-2029, CRUISE Tom, KOSINSKI Joseph | Pas de commentaires »

Top Gun Maverick

De cette suite incroyablement tardive (36 ans, quand même, entre leurs sorties en salles respectives), Tom Cruise fait son premier film 100 % nostalgique. Au choix : du pur fan-service, ou une mise en abîme de l’obsolescence programmée vers laquelle la star elle-même se dirige inexorablement. En fait non, pas « au choix » : Top Gun 2 est tout ça à la fois.

A vrai dire, on a rarement vu un film répondre à ce point à toutes les attentes des fans… Côté surprises, on repassera donc. Mais qu’importe, vraiment : la sortie (et le triomphe) de ce « Maverick » rappelle à quel point le premier Top Gun reste en dépit de ses outrances un authentique film culte, et à quel point Tom Cruise reste une star comme il n’en existe plus beaucoup (plus du tout?).

Le côté fan-service, donc, atteint des sommets que même les plus grands fans n’espéraient sans doute pas. Le film s’ouvre ainsi exactement de la même manière que celui de Tony Scott : même musique, mêmes images de l’animation sur le pont d’un porte-avion, même carton d’introduction… 36 ans après, l’effet est étonnant, procurant un petit picotement, à mi-chemin entre l’excitation et la nostalgie.

Et puis Tom Cruise apparaît, dans un hangar aux murs tapissés de photos de sa jeunesse et de ses amis d’hier (du premier Top Gun, donc) : le regretté Goose, et Iceman, dont la présence flottera constamment sur cette suite. Le premier par la présence de son fils, devenu lui-même pilote et en rébellion contre celui qui fut le meilleur ami de son père. Le second par la présence fantomatique de Val Kilmer, en rémission d’un cancer de la gorge, et à qui le film réserve une fort jolie scène, forcément très attendue.

Cruise a le même sourire éclatant, mais le regard un peu fatigué. La même folie, mais la conscience bien présente que le temps lui est compté. Ce qu’on ne cesse d’ailleurs de lui rappeler. Et ce que les réminiscences du passé ne cessent de lui rappeler, tant elles sont nombreuses : le fils de Goose (Miles Teller, très bien) qui se met au piano d’un bar pour jouer « Great Balls of Fire » comme son père autrefois ; une partie de foot américain sur la plage qui évoque furieusement une célèbre partie beach-volley ; des combats de coqs entre jeunes pilotes ; une moto qu’on chevauche sans casque au soleil couchant ; une maison sur la plage…

Autant de moments qui confrontent joliment Maverick – et Tom Cruise – au temps qui passe. Une scène, surtout : celle de la première soirée au bar, où le héros jadis si arrogant et populaire se fait (littéralement) mettre à la porte de ce grand moment de camaraderie, et se retrouve seul dans la nuit, face à ses fantômes. C’est beau. Un peu triste, un peu amer, mais beau.

Bien sûr, Joseph Kosinski (qui avait déjà dirigé Tom Cruise dans Oblivion) se contente en grande partie de marcher dans les traces de Tony Scott. A l’opposée d’un Denis Villeneuve qui, lui, s’appropriait l’univers de l’autre frère Scott (Ridley), faisant de son Blade Runner 2049 une relecture à la fois fidèle à l’esprit mais totalement réinventée du Blade Runner original, Kosinski n’invente rien. A une exception près quand même, et elle est de taille : les séquences aériennes.

On nous les promettait inédites et spectaculaires, c’est même pour les peaufiner que le premier report de sortie avait été décidé, des mois avant la pandémie. Elles le sont, et bien plus encore. Le dernier tiers du film est largement dominé par ces séquences, proprement ahurissantes tant elles sont immersives. Tout le film, à vrai dire, est construit pour préparer cette mission qui semble suicidaire : détruire un stock d’uranium dans un « pays voyou » jamais nommé (zéro prise de position géopolitique).

Le résultat est bluffant, sidérant même, surtout que, comme tout bon « Tom Cruise movie », il n’y a quasiment pas de CGI à l’horizon. Face à ces séquences, la romance avec Jennifer Connely passe franchement au second plan, derrière la relation avec le rejeton de Goose aussi. Au passage, c’est assez étonnant de voir comment la grande scène d’amour est traitée : avec une sagesse qui frise à la pudibonderie, quand celle avec Kelly McGillis flirtait avec l’érotisme soft. Ce détail dirait-il quelque chose de notre époque ?

Ce serait malhonnête d’affirmer que Top Gun : Maverick est plus réussi que le premier Top Gun, tant Kosinski construit son film en fonction de celui de Scott. Mais quand même, même avec zéro surprise, même avec un cahier des charges épais comme un annuaire de 1986, voilà un vrai grand blockbuster, enthousiasmant et même euphorisant par moments, comme on n’en fait plus. De quoi titiller notre fibre nostalgique. Plus que jamais, Tom Cruise occupe une place unique, et décidément indispensable dans le cinéma hollywoodien.

Tootsie (id.) – de Sydney Pollack – 1982

Posté : 25 juin, 2022 @ 8:00 dans 1980-1989, POLLACK Sydney | Pas de commentaires »

Tootsie

Sujet casse-gueule par excellence : un comédien incapable de décrocher le moindre rôle se déguise en femme et auditionne pour une série télé. Il est embauché, et doit assumer son nouveau statut d’actrice populaire… Dustin Hoffman passe la moitié du film sous les traits de « Tootsie », robes sans âges, mise en plis impeccable, voix de fausset. Toutes les chances de tomber dans le cliché le plus éculé, et pourtant non : ça marche. Et quarante ans après, Tootsie reste une réussite assez miraculeuse.

Dustin Hoffman, d’abord, est formidable. Sa transformation radicale est impressionnante, mais la force de son interprétation va bien au-delà : avec ce travestissement, l’acteur qu’il interprète découvre peu à peu sa part de féminité, et ouvre les yeux sur sa propre masculinité. Et au-delà de l’aspect spectaculaire de la métamorphose physique, c’est dans les détails qu’Hoffman se révèle formidable : dans la manière qu’il a de modifier presque imperceptiblement sa gestuelle, son regard…

Grand numéro d’acteur, dans un film qui trouve le ton juste. Là encore, rien d’évident a priori. Et même à l’époque de Me Too, Tootsie reste un film pertinent dans sa manière de mettre en scène les rapports entre les femmes et les hommes. C’est certes une comédie, parfois excessive (le personnage du vieux beau pour le moins insistant et finalement pathétique), mais toujours étonnamment juste. Sydney Pollack (qui s’offre un rôle d’agent pas dénué de préjugés) se livre à une sorte de d’équilibriste, sans jamais vaciller.

Tous les personnages secondaires sont également, et joliment, sur le fil : Jessica Lange en actrice un peu soumise qui accepte les humiliations à répétition d’un réalisateur macho ; Terri Garr en apprentie comédienne totalement névrosée ; Charles Durning en vieux terrien qui tombe amoureux de Tootsie ; Bill Murray en coloc hilarant… Mais la grande force du film, c’est le personnage de Dustin Hoffman bien sûr, lui-même dragueur lourdingue loin d’être un parangon de féminisme.

Quarante ans après sa sortie, ce petit classique de notre enfance garde toute sa fraîcheur et sa pertinence. Avec un tel sujet, ce n’était pas une évidence.

Silence (id.) – de Rupert Julian – 1926

Posté : 24 juin, 2022 @ 8:00 dans 1920-1929, FILMS MUETS, JULIAN Rupert | Pas de commentaires »

Silence

Rupert Julian est un cinéaste de premier plan (il vient de signer Le Fantôme de l’Opéra) lorsque Cecil B. De Mille, producteur, lui confie la réalisation de Silence, film qui a pendant des décennies rejoint la triste liste des films muets disparus. Ça, c’était jusqu’à ce qu’une copie soit retrouvée dans les archives de la Cinémathèque française. C’était en 2014, et la copie en question était dans un état miraculeusement bon, et complète : un peu plus courte que la version originale américaine, mais telle que prévue pour le marché français.

Surtout, le film est d’une grande beauté, profondément émouvant, et formellement assez bluffant. H.B. Warner (qui s’apprêtait à devenir Jésus Christ pour De Mille dans Le Roi des Rois) y est un condamné à mort que son avocat tente de faire parler à quelques heures de son exécution : pourquoi accepte-t-il de se sacrifier pour un autre, alors qu’il est évidemment innocent ?

L’homme refuse obstinément de parler. Mais à mesure que l’heure fatidique approche, le temps qui s’égrène implacablement occupe toutes ses pensées. Sur son visage en très gros plan se superpose à l’image du balancier d’une horloge, et à celle de la corde qui se balance au même rythme… Il stoppe le balancier, mais un autre balancier continue le mouvement en surimpression. Implacable et formidable montage qui introduit le long flash-back qui constitue l’essentiel du métrage.

Julian y dévoile la même maîtrise que dans son Fantôme…, avec cette capacité d’associer l’émotion à la plus grande des tensions. Il utilise merveilleusement les éléments de ses décors pour souligner la force implacable du destin : les barreaux de la prison sur le visage de Warner, la fenêtre qui le sépare de sa fille : cet enfant qu’il a eue avec la femme qu’il aimait et dont le destin l’a privé.

Ce saligaud de destin, qui n’épargne rien à ce brave homme qui accepte tous les coups du sort avec une grandeur d’âme immense, mais en accusant le coup. L’acteur semble d’ailleurs réellement vieillir au fur et à mesure que les années s’écoulent, grande composition d’acteur. On ne dira rien de la longue séquence finale, si ce n’est qu’elle d’une force immense, et qu’on en sort avec le sentiment d’avoir vu un grand film qui revient de loin.

Variétés – de Nicolas Farkas – 1935

Posté : 23 juin, 2022 @ 8:00 dans 1930-1939, FARKAS Nicolas, GABIN Jean | Pas de commentaires »

Variétés

Variétés est sorti quelques semaines seulement après La Bandéra, film qui propulsa la carrière de Gabin à des hauteurs stratosphériques : en cinq ans, il devait enchaîner une dizaine des plus grands films de toute l’histoire du cinéma français. Le film de Nicolas Farkas peut donc être considéré comme le dernier des débuts de l’acteur. Il y retrouve Annabella, déjà sa partenaire dans le film de Duvivier, mais n’occupe pas encore le haut de l’affiche.

C’est Fernand Gravey, dont le capital sympathie est très grand, qui s’y colle dans ce triangle amoureux pas très original sur le fond : deux amis inséparables, une petite camarade dont ils réalisent en même temps qu’elle est devenue une femme fort attirante. Gabin se déclare en premier. Manque de pot : c’est de Gravey qu’Annabella est éprise. Et comme Gabin n’est pas du genre à accepter la défaite sans gueuler très fort, ni à s’effacer simplement, la belle harmonie va tourner en confrontation bien tendue.

D’autant plus tendue que, si le triangle amoureux lui-même est assez convenu, le décor l’est moins : les trois personnages principaux sont des trapézistes, des artistes qui, à chaque représentation, remettent leurs vies dans les mains de leurs partenaires. Littéralement. Les scènes de voltige aérienne sont rares, mais l’une d’elles, la dernière, est particulièrement tendue, et laisse des sueurs froides.

C’est le clou du film, et l’un des plus beaux moments. Il y en a d’autres, plus intimes : ce beau plan montrant les visages de Gabin et Gravey observant avec le même regard plus très innocent leur amie s’éloigner… Joli moment qui annonce tout à la fois la fin d’une époque et le début d’une rivalité inévitable.

Le film a pour lui l’interprétation de ses trois acteurs principaux. Difficile de juger la réussite formelle d’un film vu dans une copie franchement dégueu. Difficile donc de dire à quel point le passé de directeur de la photo international de Nicolas Farkas a pu être déterminant. Mais le réalisateur a su tirer le meilleur de son décor, signant de belles séquences dans les coulisses du music-hall, pleines de vie, d’humour, de petits drames. D’humanité, en un mot.

Au service secret de sa Majesté (On her Majesty’s Secret Service) – de Peter Hunt – 1969

Posté : 22 juin, 2022 @ 8:00 dans * Espionnage, 1960-1969, HUNT Peter, James Bond | Pas de commentaires »

Au service secret de sa majesté

Un Bond à part, et pas seulement parce que c’était le seul que je n’avais encore jamais vu. Parce qu’il marque l’unique incursion de George Lazenby dans le rôle – et on ne s’en plaindra pas, tant il manque tout à la fois de charisme, de présence, et de qualités d’acteur. Et aussi parce qu’il s’éloigne beaucoup de ce qui était déjà devenu le prototype d’un film de 007.

Pas de gadget, beaucoup de sentiments, une vraie romance, même… Ce n’est pas encore l’ère Daniel Craig, mais on sent bien que ce Bond là a largement infusé sur les films les plus récents de la saga : la station de haute montagne de Spectre évoque furieusement la base de Blofled dans Au service secret… et le personnage de Léa Seydoux dans les deux derniers Craig a plus d’un point commun avec celui de Diana Rigg ici.

Elle est irrésistible, bien sûr, et on ne spoilera pas en dévoilant le final audacieux et glaçant. Déjà auréolée de sa gloire post Chapeau melon et bottes de cuirs, l’actrice est une Bond Girl comme il y en aura peu, voire pas, avant Casino Royale : un personnage fort qui ne fait pas que passer par le lit de Bond. D’autres s’en chargent cela dit, on ne se refait pas.

Dès la traditionnelle scène pré-générique, le côté intime et sentimental est mis en avant, délaissant le spectaculaire à tout prix. Il y aura bien des scènes d’action : pas mal de bagarres, des fusillades, une poursuite à ski assez percutante (malgré quelques transparences malheureuses), une attaque en hélicoptère… Mais c’est surtout un Bond plus humain qu’à l’accoutumée que l’on découvre : traqué et effrayé par un homme en costume d’ours, faillible, vulnérable.

C’est d’ailleurs dans ces moments que Lazenby est le plus convaincant : lorsqu’il délaisse ses allures de super-agent pour redevenir un homme avec ses failles. Dans l’action comme dans les postures ironiques habituelles de 007, il semble constamment porter une étiquette « mauvais choix » scotché sur le front… Il a la réputation d’être le plus mauvais interprète de Bond ? Il l’est, à peu près sans doute possible.

Et pourtant, son Bond fait partie des grandes réussites de la saga. Pour son humanité, pour son audace, pour sa simplicité, pour l’efficacité de sa mise en scène, et pour la photo qui témoigne le plus souvent d’une belle ambition (en plus d’une grande maîtrise). Bon… ce dernier commentaire ne tient pas compte du passage fleur bleue-violons-flou artistique sur des fleurs en gros plan qui marque le début de la romance entre James et sa belle. Tellement caricatural qu’il ouvre allégrement la porte à toutes les parodies. A part ça, un Bond séduisant, et surprenant.

La Loi du Marché – de Stéphane Brizé – 2015

Posté : 21 juin, 2022 @ 8:00 dans 2010-2019 | Pas de commentaires »

La Loi du Marché

D’un strict point de vue stylistique, La Loi du Marché s’inscrit dans un courant très balisé d’un certain cinéma social : caméra à l’épaule, cadres non stabilisés… Stéphane Brizé signe un film qui flirte ouvertement du côté du documentaire, rejetant toute notion trop précise de fil narratif. Pas vraiment d’intrigue, donc, pas de fioriture non plus : c’est la vie dans ce qu’elle a de plus brute que recherche le cinéaste.

Ce cinéma-là, à vrai dire, m’a toujours fait fuir : comme si les réalisateurs rejetaient l’idée même d’approche artistique pour aborder des sujets sensibles et d’actualité. Sans me défaire totalement de ce sentiment, La Loi du Marché marque des points, et assez paradoxalement, par son jusqu’au-boutisme. D’avantage même que vers les documentaires classiques, c’est vers les images-vérité de la fameuse émission Strip-Tease que lorgne Brizé, captant des bribes de vie, des échanges, des extraits qui mis bout à bout racontent un drame d’une grande force.

Vincent Lindon est presque de tous les plans, d’une vérité incroyable en quinquagénaire fatigué de tout : de se battre contre les patrons cyniques qui ont liquidé son usine, de se heurter aux aberrations de Pôle Emploi, de se vendre à des employeurs qui ne l’embaucheront pas, d’affronter des hommes et des femmes qui vont chercher à tout marchander à leur propre bénéfice… Il est formidable, parce qu’il affiche une résignation et une usure derrière lesquelles on sent constamment monter un cri silencieux.

La Loi du Marché : un titre fort qui évoque bien sûr le monde du travail, filmé dans ce qu’il a de plus banal et déshumanisé à la fois, mais qui va bien au-delà. Dans la vie de cet homme à la croisée des chemins, chaque rencontre semble répondre à cette « loi du marché », qui veut qu’on n’agisse en tout qu’en oubliant l’impact que l’on peut avoir sur l’homme et la femme que l’on a en face. La construction du film a d’ailleurs un petit côté répétitif, succession de tensions et d’humiliations subies par un Lindon passif mais pas si résigné.

Dans cette succession de moments tendus, entrecoupés par de rares passages de détente (une danse entre deux parents et leur enfant handicapé, comme une parenthèse coupée du monde), deux scènes sont particulièrement terribles. D’abord, le face-à-face entre Lindon et sa femme contraints de vendre leur mobil-home, et le couple qui cherche à baisser le prix en profitant de la situation. Ensuite, la scène où Lindon, après avoir simulé un entretien d’embauche lors d’un stage, est jugé par tous les autres participants…

Dans les deux cas, c’est le visage de Lindon, qui accuse le coup sans montrer grand-chose, qui frappe les esprits et qui donne ce sentiment qu’un cri, un hurlement même, est sur le point de sortir. Taillé sur mesure pour la démesure de l’acteur, qui n’a pas volé son César et son prix d’interprétation à Cannes pour ce rôle.

Deux femmes (Pilgrimage) – de John Ford – 1933

Posté : 20 juin, 2022 @ 8:00 dans 1930-1939, FORD John | Pas de commentaires »

Deux femmes

John Ford a souvent filmé des mères courage, ou des mères martyrs. Pilgrimage semble ainsi être une espèce de variation sur le thème du très beau Four Sons. Dans les deux films, c’est la Grande Guerre qui arrache un fils à sa mère. Et dans les deux films, il faut toute la sensibilité de Ford pour ne pas sombrer dans le pathos le plus assommant, tant l’histoire est mélodramatique.

On a donc une mère vieillissante, qui refuse de voir son fils quitter la ferme qu’ils font tourner à eux deux. Et surtout pas pour le voir épouser la fille de son alcoolique de voisin. Alors quand le fiston décide de s’émanciper de la domination maternelle, elle décide de l’enrôler dans l’armée pour l’envoyer dans les tranchées. « Plutôt le voir mort que le voir épouser une traînée », lance-t-elle. Elle va être servie.

L’histoire est cousue de gros fil doré. On sent d’emblée le drame inéluctable. Et très vite, on entrevoit derrière l’égoïsme terrible de la mère (Henrieta Crosman, superbe) une humanité pleine de douleur. On voit bien, aussi, que ce pèlerinage en France, dix ans plus tard, sera le voyage de la rédemption. Sur le papier, donc, un mélo classique et sans surprise.

Pourtant, le film est beau, très beau même. Parce que Ford transforme ce mélo en une sorte d’allégorie, et qu’il fait de ses personnages des symboles : des affres de la guerre, du temps qui passe, de la difficulté à laisser partir ceux qu’on aime… Ford filme chaque scène comme s’il peignait un tableau universel, peaufinant ses cadrages et ses lumières, faisant de certains plans des images quasi-religieuses.

Pour autant, Pilgrimage n’a rien de désincarné. Le portrait qu’il fait de cette mère qui finit par percer sa carapace est juste, et très émouvant. Et le chemin qu’elle emprunte avec d’autres mères martyrs à travers l’Amérique, puis Paris, puis les lieux où sont tombés les fils, dit plus sur les horreurs de la guerre que n’importe quelle scène de bataille. La seule que filme effectivement Ford souligne d’ailleurs l’absurdité de ces morts, sans jamais verser ni dans le spectaculaire, ni dans l’héroïsme béat.

Joli film, donc, petite perle méconnue d’une période méconnue du grand Ford : cette première partie des années 1930 qui ne manque pas de belles surprises.

Bons baisers de Russie (From Russia with love) – de Terence Young – 1963

Posté : 19 juin, 2022 @ 8:00 dans * Espionnage, 1960-1969, James Bond, YOUNG Terence | Pas de commentaires »

Bons baisers de Russie

Ce deuxième 007 a un statut un peu à part. Le premier, Dr No, posait les bases d’un mythe. Le troisième, Goldfinger, entérinait la série comme une véritable saga répondant à des codes très précis. Entre ces deux épisodes fondateurs, celui-ci se présente comme une suite finalement assez classique, qui invoque James Bond non comme une figure quasi-mythique, mais comme le héros d’un premier film dont on découvre de nouvelles aventures.

Les codes inamovibles de la saga sont là, déjà : un pré-générique, la silhouette de Bond dans le viseur, la chanson-générique (assez laid, le générique), le bureau de M, Moneypenny, les gadgets de Q… Mais tout ça n’est qu’une mise en bouche, qui semble n’appeler que les films qui suivront. Celui-ci, dépassé les dix premières minutes assez formatées, surprend surtout pour son extrême simplicité.

Ici, Bond ne sauve pas le monde. Il ne passe pas son temps à passer d’un pays à l’autre. Il n’enchaîne pas les conquêtes d’un soir, encore que l’envie ne lui manque pas. Il est confronté au SPECTRE, mais ne le comprend que très tardivement. Pas de base secrète high tech non plus, ni de scènes d’action bigger than life. A vrai dire, Bons baisers de Russie est le film le plus franchement « d’espionnage » de la saga. Et de loin.

On est finalement souvent plus proche de L’Espion qui venait du froid que de la saga imaginée par Ian Fleming. Ce deuxième opus est moins un film d’action que de suspense. Qui ne manque pas, et que Terence Young filme avec un vrai talent, un vrai sens visuel, qui capte l’esprit de son décor. Comme son titre ne l’indique pas, le film se passe en grande partie à Istambul, dont on ressent l’atmosphère chaude et fascinante : la poésie du Bosphore et l’effervescence du Grand Bazar.

Young signe un film simple et direct, où les effets pyrotechniques restent la plupart du temps en retrait. Il prend le temps, surtout, d’installer durablement l’action dans des lieux, développant l’amitié entre Bond et un diplomate d’Istambul, consacrant une longue séquence à un voyage à haut risque dans un train… soudain presque hitchcockien, et très efficace.

Un point, quand même, où la saga ne dément en rien sa réputation : la représentation des femmes. Entre la jolie Russe prête à se damner pour James Bond parce qu’elle l’a trouvé séduisant sur une photo, et la vieille mégère psychopathe, entre une Moneypenney qui se pâme dès qu’elle entend la voix de Bond, et deux tziganes qui s’entretuent à moitié nues, forcément pour obtenir les faveurs d’un homme… comment dire…

La surprise vient en revanche du grand méchant. Pas le chef du SPECTRE, apparition déjà très stéréotypée. Mais le tueur qu’incarne Robert Shaw avec une froideur… eh bien glaçante. Face à lui, Sean Connery incarne un James Bond sûr de lui, mais très souvent dépassé par les événements, voire totalement manipulé. Comme dans Goldfinger en fait : le plus grand des espions n’est finalement jamais aussi passionnant que quand il comprend qu’il est battu.

C’est arrivé demain (It happened tomorrow) – de René Clair – 1944

Posté : 18 juin, 2022 @ 8:00 dans 1940-1949, CLAIR René, FANTASTIQUE/SF | Pas de commentaires »

C'est arrivé demain

Alors qu’il s’apprête à fêter ses Noces d’Or, un vieux couple se remémore les événements incroyables qui leur sont arrivés bien des années plus tôt. Lui n’était qu’un tout jeune journaliste en ce XIXe siècle qui tirait à sa fin… Un jour, devant un vieil archiviste un peu étrange, il émit le rêve de connaître d’avance ce qu’il allait survenir. Le lendemain matin, il découvrit dans sa poche le journal du lendemain…

De cette histoire assez géniale, René Clair a tiré un petit bijou, plein de vie et de dynamisme. Un modèle de rythme et d’inventivité, qui trouve son apogée lorsque le héros lit dans le journal sa propre mort dans un hôtel. Dick Powell (formidable) déploie alors des tonnes d’énergie pour ne pas être là où il doit mourir. Sûr d’être invincible tant qu’il n’est pas dans cet hôtel, il se lance dans une course-poursuite extraordinaire, dans les rues, sur les toits… puis dans le hall de l’hôtel. C’est drôle, filant de gentils frissons amusés.

Dans le même registre, Clair réussit une bien amusante séquence de courses hippiques, où le héros se désespère de gagner immanquablement, parce que ses pari infaillibles confirment l’inéluctabilité de ce qu’il lit dans le journal, donc de sa propre mort.

Le charme immense du film vient surtout de la construction en un long flash-back, qui ajoute à cette histoire qui parle du futur proche un petit sentiment paradoxal de nostalgie. Et une vraie légèreté, puisqu’on sait d’emblée que cinquante ans d’amour attendent les deux jeunes héros.

Linda Darnell est charmante (et très vite très amoureuse), Jack Oakie est joyeusement grotesque, John Phillibert est attachant en « ange gardien »… A leur image, il règne sur le film une bienveillance et une grande tendresse. Voilà ce qu’on appelle un feel-good movie.

La Divine Croisière / Le Miracle de la mer – de Julien Duvivier – 1929

Posté : 17 juin, 2022 @ 8:00 dans 1920-1929, DUVIVIER Julien, FILMS MUETS | Pas de commentaires »

La Divine Croisière

Voilà pourquoi Duvivier est le plus grand des réalisateurs français. La Divine Croisière est encore nimbé de religion, le scénario est hautement improbable (la fille d’un armateur tyrannique décide de prendre la mer pour retrouver le bateau disparu de celui qu’elle aime). Mais pourtant, le film est un chef d’œuvre, visuellement splendide, et d’une puissance extraordinaire.

Le film est beau à tous points de vue. Et il n’en manque pas (de points de vue). Film d’aventure, film ésotérique, film social engagé, film quasi-documentaire sur une petite cité de pêcheurs… Cela pourrait partir dans tous les sens, c’est juste extrêmement dense, mais parfaitement tenu.

Impossible de faire le tour de toutes les beautés du film. Commençons par l’utilisation de la lumière, motif omniprésent qui semble conduire vers l’apogée du film : le « miracle » en haute mer. Une lanterne qui éclaire la nuit, un début d’incendie… Duvivier s’autorise toutes les audaces visuelles avec une maîtrise parfaite.

Plus qu’une maîtrise, à vrai dire : le film est d’une grande virtuosité, constamment au service du récit et des émotions. Duvivier souligne les grands mouvements romantiques comme les soudains aspects de rage, et nous offre des ruptures de tons parfois radicaux. Parfois dans le même temps d’ailleurs : un beau montage parallèle met en regard l’euphorie de retrouvailles et l’horreur d’une mort violente.

La violence est rare, mais elle marque la rétine, comme cet homme inconscient passé par-dessus bord, vision glaçante qui rompt avec la bonhomie de certaines séquences, notamment celles mettant en scène le bon prêtre, jovial et généreux. Tout l’opposé du puissant armateur, qui casse une grève naissante avec froideur.

Duvivier prend évidemment le parti des petits, les marins exploités dont il filme les visages en très gros plans d’une expressivité sublime. Il y a dans ces portraits une vérité incroyable. On peut ajouter des séquences impressionnantes de tempête, avec une belle utilisation de maquettes. Ou encore une belle direction d’acteurs, qui évite le piège de la béatitude que le thème pouvait laisser craindre.

Duvivier met en scène ce qui ressemble fort à un miracle, avec apparition divine. Mais son cinéma est entièrement tourné vers les personnages, vers ce milieu des marins dans lequel il nous plonge intimement. Et c’est absolument magnifique.

Pendant plus de quatre-vingt-dix ans, le film était considéré comme perdu en grande partie. Sa version complète a finalement été retrouvée et reconstituée grâce à Lobster, la précieuse société de Serge Bromberg. Le film, superbement restauré, figure dans le coffret consacré aux premiers chefs d’œuvre de Duvivier. Indispensable.

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