Le Pont des Espions (Bridges of Spies) – de Steven Spielberg – 2015
Il y a décidément de grandes contradictions autour de Spielberg. Lui qui a créé la logique du blockbuster (avec Les Dents de la Mer) et révolutionné l’industrie hollywoodienne est peut-être le plus classique des grands cinéastes actuels. Son cinéma a toujours été ouvertement tourné vers le passé, et avec Le Pont des Espions, il s’impose plus que jamais comme le plus digne (le seul ?) héritier de John Ford ou Raoul Walsh.
Comme ses aînés, Spielberg privilégie des cadrages et une lumière soignés à des mouvements de caméra hystériques. Et les gros moyens à sa disposition ne sont pas une fin en soit, mais une manière de recréer l’ambiance de l’époque, en l’occurrence celle de la Guerre Froide. Comme Ford, Spielberg n’en finit pas de revisiter l’histoire de son pays. Avec ce film, il signe aussi une œuvre très personnelle (comme souvent ces dernières années), hommage à son père, toujours vivant, qui a participé à un échange du même genre que celui au cœur du Pont des Espions.
Un film d’un autre temps ? En quelque sorte, mais Le Pont des Espions ne ressemble pas pour autant aux films d’espionnages qui se tournaient dans les années 70. Esthétiquement, l’image renvoie clairement à cette période, mais Spielberg apporte son génie narratif et visuel, et les possibilités inédites des nouvelles technologies, qu’il met au service de la reconstitution, pour retrouver l’ambiance de cette époque révolue. On a ainsi droit à quelques images saisissantes, notamment autour de ce mur de Berlin qui commence à peine à l’élever.
Mais Spielberg filme une histoire d’hommes avant tout : une amitié impossible entre un espion russe arrêté aux Etats-Unis (formidable Mark Rylance) et son avocat qui finira par être envoyé au cœur de ce Berlin plein de dangers (Tom Hanks, toujours grand devant la caméra de Spielberg). Le genre de rapports virils et peu expansifs que Ford, Walsh ou Hawks n’auraient pas renié.
Spielberg filme cette histoire d’hommes sans grandiloquence. Difficile d’affirmer ce que le film doit aux frères Coen, pour la première fois scénaristes pour un autre. Ce qui est sûr, c’est que Spielberg apporte au film une intensité rare, et cette manière si personnage d’associer le spectaculaire le plus extrême à l’émotion la plus dense. Sa marque, qui était aussi celle des grands cinéastes classiques.
* DVD indispensable chez Sony, avec un petit documentaire promotionnel qui revient notamment sur l’expérience du père de Spielberg, qui a assisté au tournage du film.