Howard Hawks détestait ce film et surtout son héros, shérif dont une bande de gangsters veut la peau, et qui passe les trois quarts du film à arpenter les rues en réclamant de l’aide à des villageois qui lui ferment systématiquement la porte au nez. C’est en réaction à ce faux héros qu’il tournera Rio Bravo, sorte de double inversé de High Noon, dont le shérif assumera jusqu’au bout ses fonctions, en refusant d’impliquer la population.
Mais on n’est pas obligé de choisir son camp. On peut trouver que Rio Bravo est l’un des plus grands westerns jamais tournés, et aimer ce High Noon assez incroyable, aux parti-pris radicaux et au scénario brillantissime. Quasiment dénué d’action, jusqu’à la fusillade finale qui fait figure de libération tant elle est attendue, le film est admirablement tendu, se limitant la plupart du temps à une interminable attente.
Raconté en temps réel (plutôt rare, dans un western), le film raconte l’heure qui précède l’arrivée, par le train de midi, du criminel qui a juré la mort du shérif. L’une des grandes idées de Zinnemann est d’avoir placé des horloges partout, horloges que les personnages ne cessent de scruter, et dont les aiguilles semblent ne pas avancer tant on attend la délivrance.
Le réalisateur, qui tournera l’année suivante son autre classique, Tant qu’il y aura des hommes, va au bout de son sujet. Sa mise en scène souligne efficacement la solitude grandissante du shérif, abandonné par tous ceux qu’il pensait être ses amis, y compris la femme qu’il vient d’épouser (Grace Kelly, quaker qui refuse de voir son mari utiliser les armes) et l’ami qu’il croit fidèle (Thomas Mitchell), qui se lance dans un vibrant plaidoyer visiblement à son avantage, mais qui finit par l’enterrer définitivement…
Le visage en gros plan de Gary Cooper, filmé dans des rues désertées, souligne merveilleusement la peur et la rancœur qui naissent dans son esprit. L’acteur est immense, une fois de plus, dans ce rôle effectivement anti-héroïque au possible : le shérif, s’il reste droit constamment, va réclamer de l’aide jusque dans une église, et se laisse aller à ses angoisses lorsqu’il se croit seul.
Il y a comme ça de nombreuses fulgurances dans la mise en scène de Zinnemann : la bagarre absurde avec l’adjoint joué par Lloyd Bridges, les errances désespérées de Gary Cooper, son visage tuméfié à travers une vitre brisée, et puis le regard sans complaisance qu’il lance à la population enfin rassemblée autour de lui… Mais le réalisateur adopte par moments une mise en scène purement fonctionnelle que l’on sent inspirée par les shows télévisés naissants, et qui n’est pas toujours à la hauteur d’un scénario exceptionnel.
Un scénario qui permet aux seconds rôles les plus anodins d’exister, de l’odieux réceptionniste au pathétique borgne réclamant qu’on lui offre une dernière chance, du prêtre incapable de savoir ce qui est juste à la « professionnelle » (l’excellente Katy Jurado), seule personnage clairvoyant de l’histoire… Des êtres qui, pour certains, sont à peine plus que des figurants, mais qui donnent une troublante authenticité à cette ville, dont Zinnemann fait un condensé d’une Amérique marquée par le McCarthysme.