Frère et sœur – d’Arnaud Desplechin – 2022
Mais d’où vient cette vision de la famille que nous offre Arnaud Desplechin ? Et le verbe « offrir » n’est pas utilisé par hasard, tant ce que procure ce film pourtant dur et cruel s’apparente à une sorte de libération, et même de déclaration d’amour à la famille. Oui, vu le sujet, et vu les rancœurs qui se trimballent dans cette famille-là, c’est paradoxal.
De là à dire que Desplechin est un magicien, il n’y a qu’un pas que je franchis allégrement. C’est en tout cas un cinéaste immense, capable de réunir dans un même mouvement tendresse et cruauté, pour faire surgir l’émotion la plus vive des situations les plus anodines, ou les plus inattendues. Un peu à la manière d’un Bergman, dont l’ombre m’a semblé planer sur ce film magnifique.
On y retrouve en tout cas cette manière si intime de filmer les visages, de plonger dans les méandres de l’esprit, de faire ressentir les sentiments les plus exacerbés, rarement univoques. Bien sûr, comparer Desplechin à Bergman peut être un compliment empoisonné. Mais s’il se voit en élève, il faut reconnaître qu’il est un élève extrêmement doué, qui ici en tout cas se montre digne du maître.
C’est donc une merveille, oui, et un film d’une puissance assez rare. Quand leurs parents sont hospitalisés à la suite d’un accident (séquence incroyable, qui réinvente totalement la manière de filmer le drame), leurs enfants se retrouvent à leur chevet. Mais deux des enfants sont fâchés à mort depuis des années, depuis un autre drame bien des années plus tôt, au point de se fuir comme la peste, et de régler leurs comptes par livres interposés.
Marion Cotillard et Melvil Poupaud sont exceptionnels dans ce numéro de duettistes dont on ignore l’origine de leur haine, mais dont on devine le manque de l’autre. L’ignorance dans laquelle nous cantonne Desplechin, et la lueur de ce pardon impossible mais tellement désiré… Cette haine si explosive, si radicale, est pourtant d’une étrange beauté, parce qu’elle recouvre d’immenses sentiments qui ne demandent qu’à sortir.
Tout est paradoxal dans ce film, tout est contradictoire. L’amour et la haine qui sont inextricablement liés, la tendresse qui surgit des moments les plus tendus, la pureté des non-dits les plus pesants. Rien n’est simple, mais tout est limpide. Les petites mesquineries ne font que renforcer la grandeur des rapports humains…
Frère et Sœur est le film d’un cinéaste magicien, qui nous mène exactement où il veut, sans qu’on comprenne vraiment le chemin qu’on a emprunté. Ce qu’on sait en revanche, c’est que ce chemin, quel qu’il soit, est intense et bouleversant.