Triple Frontière (Triple Frontier) – de J.C. Chandor – 2019
Après nous avoir plongés au cœur du drame humain de la crise financière de 2008 (Margin Call), après avoir paumé Redford seul au milieu de l’océan (All is Lost), après avoir ressuscité le thriller américain des années 70 (A most violent year), JC Chandor s’attaque au pur film d’action. Ce choix marquerait-il une pause dans ses ambitions ? Sur le fond, un peu : Triple Frontière est, de tous ses films, le plus classique sur le papier. Mais dans la forme, ce quatrième long métrage confirme ce qu’on pensait : JC Chandor est l’un des cinéastes les plus excitants du moment.
Les premières scènes laissent légèrement dubitatif : cette histoire de militaires revenus à la vie civile sans le sou et sans projet a un petit côté déjà vu. Mais déjà, le choix des acteurs fait la différence : Charlie Hunnam, Oscar Isaac (déjà génial dans le précédent film de Chandor), Ben Affleck même, intense et étrangement dépassé derrière sa barbe trop fournie et sa carrure trop empâtée… Il se dégage de ces personnages quelque chose de vraiment intense que Chandor sait saisir.
Mais question intensité, on atteint des sommets au premier coup de feu… Une embuscade en pleine ville, une course poursuite à travers les favelas, un braquage en pleine jungle, un crash d’hélicoptère dans les Andes, une fuite à travers la montagne… En un peu plus de deux heures, Chandor multiplie les scènes d’action, dans des décors extraordinaires et totalement atypiques.
Et c’est ça l’enjeu (et la réussite) du film. Les personnages, l’intrigue… Tout ça est très réussi, mais ce qui compte vraiment, c’est comment intégrer l’action dans le paysage, comment filmer la montagne, la jungle, la ville même, pour que ces décors interagissent avec l’action.
Après s’être glissé dans la peau d’un Sidney Lumet, Chandor flirte ici avec le McTiernan de Predator, et surtout le Anthony Mann de L’Appât : un cinéaste qui construit son action en fonction du décor (naturel) qu’il filme. Les modèles sont immenses, Chandor l’est aussi : ces scènes d’action sont parmi les plus enthousiasmantes, et parmi les plus tendues de ces dernières années. Les larges mouvements de caméra n’ont qu’un but : jamais de l’épate, toujours de l’immersion.
Avec Triple Frontière, Chandor s’essaye au film d’action. Filmé comme ça, le genre n’a rien de mineur, et ce film marque une nouvelle étape dans une carrière encore réduite, mais décidément emballante.