Rome, ville ouverte (Roma città aperta) – de Roberto Rossellini – 1945
L’acte de naissance du Néoréalisme, le film qui a bouleversé le cinéma du monde entier (on voit bien ce que la Nouvelle Vague doit au chef d’œuvre de Rossellini), rompant avec les structures narratives et la manière de filmer… Soixante-dix ans après, Rome ville ouverte n’a rien perdu de son incroyable puissance.
A quoi le film la doit-il, cette puissance ? Au sentiment d’urgence, peut-être, qui se dégage de ces images tournées en décors réels et sans fards. Ou alors à ces multiples écueils dans le récit, qui donnent l’impression que le film réagit à la vie qui se déroule devant la caméra, plutôt qu’il n’illustre un scénario conventionnel. Peut-être encore à la frontalité avec laquelle Rossellini filme ses acteurs, accordant la même place à des débutants sans expérience qu’à des vedettes qui se révèlent ici sous un autre jour (Anna Magnani, sublime en femme du peuple révoltée).
Tourné deux mois seulement après la libération de Rome, le film est aussi un témoignage précieux, comme si Roberto Rossellini s’était dépêché de redonner vie à cette période dont les Romains sortaient et qu’ils n’aspiraient qu’à oublier. D’où, peut-être, l’accueil froid réservé au film à sa sortie…
Adoptant un style proche des actualités filmées, Rossellini semble filmer la vie qui s’écoule en temps de guerre, avec ses horreurs, ses peurs, le sentiment omniprésent d’oppression et d’aliénation. En restant constamment à hauteur d’hommes, il nous fait partager les doutes et les espoirs, mais nous plonge aussi au cœur de la haine et de la folie. Qu’est-ce qui est le plus terrible dans ce film ? Voir l’acceptation de sa propre mort à venir dans le regard du prêtre (magnifique Aldo Fabrizi), ou la haine pure, incompréhensible, dans celui de l’officier SS (troublant Harry Feist) ?
Le sentiment d’oppression est omniprésent. Sans montrer grand-chose de la guerre jusqu’à la dernière partie, Rome ville ouverte en fait ressentir toute l’horreur. Pourtant, malgré les morts, malgré l’immense sensation de gâchis humain, le film se révèle étrangement optimiste. Le vainqueur, c’est l’humanité : celle qui se transcende et survit malgré tout au fanatisme, celle des soldats eux-mêmes qui baissent les armes devant le prêtre… Face à la haine, les différences s’estompent, un communiste, un monarchiste et un homme d’église partagent les mêmes convictions profondes… Et une horde d’enfants annonce l’arrivée de jours meilleurs.
Rome ville ouverte est un film révolutionnaire. Mais c’est surtout un chef d’œuvre d’une beauté et d’une force incomparables.