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Archive pour la catégorie 'CARNÉ Marcel'

Les Enfants du Paradis – de Marcel Carné – 1945

Posté : 12 février, 2023 @ 8:00 dans 1940-1949, CARNÉ Marcel | Pas de commentaires »

Les Enfants du Paradis

Que peut-on attendre d’un film qu’on a si souvent placé en tête du classement des plus beaux du cinéma français, et qu’on n’a pas revu depuis si longtemps ? D’être envoûté, enthousiasmé, bouleversé, emballé, en un mot emporté. Emporté par l’ambition de la reconstitution de ce Paris du XIXe siècle, emporté par la magie des mots de Jacques Prévert, emporté par l’interprétation habitée, par l’ampleur du drame romanesque…

J’ai bien peur de ne pas être original : Les Enfants du Paradis est une merveille, un bonheur de 3 heures et 9 minutes dont on aimerait qu’il ne s’arrête jamais. Le plus beau rôle d’Arletty, Garance pour l’éternité. Le plus beau rôle de Pierre Brasseur, flamboyant Frédérick Lemaître. Le plus beau rôle de Jean-Louis Barrault, Baptiste Debureau si intense, si tragique. Le plus beau rôle d’à peu près tout le monde à vrai dire, tant ce drame ample et intime à la fois laisse de la place à tous.

Les Enfants du Paradis est ce qu’on appellerait aujourd’hui un blockbuster, une grosse machine. Des décors extraordinaires de Trauner, des dizaines de figurants, des tas de rôles parlants, des intrigues qui s’entremêlent, deux époques qui se répondent (le film est divisé en deux longs métrages)… Dès le générique de début, la musique de Kosma et Thiriet annonce l’ambition et la démesure du projet. Encore que démesure ne soit sans doute pas le terme le plus précis : les moyens sont immenses, et semblent même illimités, mais le film frappe surtout par l’intensité et la maîtrise qui s’en dégagent, une sorte d’état de grâce qui ne s’éteint jamais.

« Paris est tout petit pour ceux qui s’aiment comme nous d’un si grand amour. » « Je ne suis pas belle, je suis vivante. » « Vous êtes riche et vous voudriez être aimés comme un pauvre. » Les grands dialogues grandiloquents peuvent être plombants. Ceux que glisse Prévert dans la bouche d’Arletty sont d’une beauté sidérante, comme cette gouaille si joyeuse qui laisse la place à une distinction si désabusée. C’est beau, renversant, poétique et tragique.

Le scénario et les dialogues sont magnifiques, c’est un fait. De là à attribuer au seul Prévert la réussite du film, il y a un pas qu’il serait bien injuste de franchir. Carné est bien plus qu’un illustrateur : de ce scénario si ample, de tous ces personnages qui se croisent sur un boulevard du crime bondé, il tire un film où tout coule de source, fluide et intense, drôle et poignant, d’un seul mouvement complexe et pluriel.

Dans ce vaste mouvement qui emporte tout, on croise une artiste paumée, libre et amoureuse, un célèbre mime, un grand acteur, un tueur anarchique… Mais au fond, uniquement des êtres qui tentent chacun à leur manière de dompter leur solitude. Un film en état de grâce. Allez… On refait un classement des plus beaux films du monde ?

L’Air de Paris – de Marcel Carné – 1954

Posté : 14 mai, 2022 @ 8:00 dans 1950-1959, CARNÉ Marcel, GABIN Jean | Pas de commentaires »

L'Air de Paris

Quatre ans après La Marie du Port, et quinze ans après Le Jour se lève et Le Quai des brumes, Jean Gabin retrouve Marcel Carné pour la dernière fois de sa carrière, et pour le plus faiblard de leurs quatre films en communs. On est loin, bien sûr, des deux immenses chefs d’œuvre d’avant-guerre, mais loin aussi de leurs premières retrouvailles en 1950. L’Air de Paris manque cruellement de passion, ce qui est tout de même bien dommage pour un film qui ne parle que de ça.

Gabin, lui, est formidable dans un rôle tout en nuances, mine de rien : celui d’un entraîneur de boxe qui trouve dans un jeune paumé l’espoir qu’il a attendu toute sa vie, une graine de champion qu’il veut mener là où lui-même n’a pas réussi à se hisser. C’est Roland Lesaffre, que Gabin avait croisé sous les drapeaux, et qui sera le partenaire privilégié de Carné pendant vingt-cinq ans. Acteur pas franchement enthousiasmant, Lesaffre a pour lui un physique, qui donne une vraie force à ce personnage de jeune boxeur. Carné s’amuse à flirter avec un sous-texte homosexuel, filmant ce corps comme un idéal à atteindre, avec lequel l’épouse de l’entraîneur a bien du mal à rivaliser.

C’est Arletty, touchante en épouse délaissée par un mari qui ne se passionne plus que pour son jeune éphèbe. Quel couple, quand même : Arletty et Jean Gabin, si loin du Jour se lève, qui luttent contre la monotonie… Face à ce couple ancré dans le réel, où Gabin semble si solidement ancré, la romance entre le jeune boxeur et la belle femme du monde sonne comme une chimère…

Plein de bonnes intentions, le film ne tient pas toutes ses promesses hélas. Tout en saluant la prestation de Gabin, et quelques belles scènes, on se dit que Carné aurait mieux fait de rester fidèle au réalisme poétique d’avant-guerre, que le début du film semblait annoncer : sur fond noir, avant que le générique défile, la voix d’Yves Montand (lui-même qui avait remplacé Gabin dans Les Portes de la Nuit) entonne in extenso une chanson à la gloire de Paris. Entrée en matière étonnante et séduisante.

Les Assassins de l’ordre – de Marcel Carné – 1971

Posté : 19 octobre, 2021 @ 8:00 dans * Polars/noirs France, 1970-1979, CARNÉ Marcel | Pas de commentaires »

Les Assassins de l'ordre

Marcel Carné, dans la dernière partie de carrière de Marcel Carné, signe un pur film « dossier de l’écran » : un film à thèse, un film engagé. Bref, un objet aux antipodes du réalisme poétique de sa grande période. Visuellement déjà, à quelques séquences près (le tout dernier plan notamment, sobre et puissant), on sent bien que Carné a abandonné toute ambition, au profit du message, un peu lourdement admonesté.

Le film est adapté d’un roman de Jean Laborde, grand chroniqueur judiciaire ayant couvert la plupart des grands procès du XXe siècle. Autant dire que le gars sait de quoi il parle, et qu’il connaît la machine judiciaire par cœur. Sur ce point, Les Assassins de l’ordre est d’ailleurs assez convaincant. Il l’est un peu moins dans sa démonstration, les tirades éclairées du juge d’instruction joué par Jacques Brel contre les violences policières sonnant d’une manière aussi sincère que naïve et grandiloquente.

C’est donc le thème du film : la dénonciation des violences policières, après une longue séquence d’introduction plutôt glaçante. Sans doute la démonstration aurait gagné en force à ne pas rajouter du machiavélisme à une affaire d’abord montrée comme dramatiquement banale : à la bavure policière s’ajoute bientôt une espèce de machination à grand renfort de menaces et de pressions.

Un suspect, donc, un peu vite condamné par les flics qui l’embarquent (dont le commissaire, interprété par un Michael Lonsdale toute en retenue glaçante), et que l’on retrouve mort après un interrogatoire musclé. Et un juge d’instruction (Brel, donc, souvent convaincant, toujours convaincu) qui, contre toute attente, transforme l’enquête en une véritable croisade, allant jusqu’à citer Don Quichotte.

Alors oui, Le Jour se lève, Hôtel du Nord, Drôle de Drameatteignent des sommets mille fois supérieurs à ces Assassins… Oui, mais à quoi bon comparer, finalement ? Carné n’est clairement plus le même cinéaste, les temps ont changé, le cinéma aussi. Dans son registre, alors très en vogue, du film à thèse, c’est un film plutôt recommandable. Ce qui, admettons le, n’est pas la conclusion la plus enthousiasmée qui soit.

La Marie du Port – de Marcel Carné – 1950

Posté : 1 novembre, 2020 @ 8:00 dans 1950-1959, CARNÉ Marcel, d'après Simenon, GABIN Jean | Pas de commentaires »

La Marie du Port

Douze ans après Quai des Brumes… Gabin, Carné, un port… OK : on voit venir le drame de loin. Le cinéaste et la star, tous deux en manque de succès, creusent un sillon qui leur a si bien réussi à leur heure de gloire. Mouais.

Sauf que non. La Marie du Port n’est pas un énième drame à la manière de. Une chronique entre deux âges, plutôt, une réflexion douce-amère sur le temps qui passe, sur les sentiments qui vont et qui viennent, sur les êtres qui changent, ou pas.

Enchaîner les Gabin de toutes les époques réserve bien des surprises, souvent heureuses. Cela permet surtout de réaliser à quel point, tout en peaufinant un personnage qui évolue au fil du temps, chaque film est l’occasion pour l’acteur de créer un vrai personnage, jamais vraiment le même contrairement aux reproches qu’on a pu lui faire.

Ici, Gabin est un sale con. Un séducteur vieillissant plus occupé à cultiver ce qui lui reste de charme qu’à développer son empathie. On le découvre accompagnant sa sœur jusqu’à un port où elle enterre son père, reconnaissant qu’il ne l’accompagne que parce qu’il a des affaires à régler sur place. Et flirtant avec la très jeune sœur de sa compagne sitôt l’enterrement fait.

Carné ne signe pas l’un de ses grands chefs d’œuvre (il en a fait de tels), mais cette adaptation de Simenon est passionnante, et bénéficie de décors formidables, d’un coin de port où se retrouvent les jeunes amoureux, à une grande brasserie pleine de vie à Cherbourg.

A défaut de retrouver la magie et la puissance de ses grands films d’avant-guerre, Carné surprend et séduit. Gabin est grand, la jeune Nicole Courcel est troublante. Les dialogues, superbes, jouent constamment sur les sous-entendus hyper-sexués. Vrai plaisir…

Jenny – de Marcel Carné – 1936

Posté : 29 février, 2020 @ 8:00 dans * Polars/noirs France, 1930-1939, CARNÉ Marcel, VANEL Charles | Pas de commentaires »

Jenny

Premier long métrage de Carné, tourné juste avant l’ère des grands classiques, Jenny est un film nettement moins célèbre que Drôle de drame ou Le Jour se lève dans la longue collaboration entre Carné et Jacques Prévert. L’heure n’est pas encore au fameux réalisme poétique qui atteindra des sommets avec Hôtel du Nord, mais à un réalisme plus cru, avec moins de fards…

Jenny, qui donne son titre au film, c’est la grande Françoise Rosay. Ou plutôt la femme qu’elle est à la nuit tombée, lorsque la mère de famille digne et vieillissante qu’elle est devient la patronne d’un club très libertin, où les jolies jeunes femmes ne demandent qu’à être très gentilles avec les riches clients prêts à sortir leurs portefeuilles.

Quand sa fille revient d’Angleterre, où elle a vécu depuis l’adolescence, elle lui cache son vrai métier. Pour la jeune Danièle (Lisette Lanvin), sa mère est une bourgeoise bien comme il faut… Jusqu’au jour où elle découvre la vérité, et rencontre Lucien (Albert Préjean), sorte de gigolo qui vit de la générosité de sa mère…

Jenny s’annonce comme un drame amoureux qui va opposer mère et fille. Mais le film se révèle vite plus subtil que ça. Et c’est une série de portraits de personnages trop seuls que Carné filme. Tout est simple, semble-t-il, dans cet univers où il suffit de payer pour avoir des amis, une maîtresse, un amant… Mais personne n’est vraiment dupe : ni Charles Vanel, petit caïd qui brandit son pouvoir mais se consume d’amour pour Françoise Rosay ; ni Jean-Louis Barrault, qui s’invente un chien imaginaire parce qu’au fond, personne ne s’intéresse au bossu qu’il est ; ni Albert Préjean, gigolo repenti…

Au fond, seul le milliardaire joué par Le Vigan prend son argent vraiment au sérieux. Une posture qui, d’ailleurs, le coupe totalement du monde et de la réalité.

Superbe interprétation, musique très présente mais prenante de Joseph Kosma, et quelques beaux moments qui annoncent les chefs d’œuvre à venir : les amoureux qui regardent la brume sur le canal, ou cette dernière image de Françoise Rosay, seule dans le brouillard, déchirante.

Les Portes de la nuit – de Marcel Carné – 1946

Posté : 7 juillet, 2018 @ 8:00 dans 1940-1949, CARNÉ Marcel | Pas de commentaires »

Les Portes de la Nuit

Des personnages se croisent, s’aiment et souffrent, dans un quartier populaire au Nord de Paris… Marcel Carné nous referait-il le coup d’Hôtel du Nord ? Pour son dernier film scénarisé par Jacques Prévert, et après une série hallucinante de chefs d’œuvre intemporels, le réalisateur est effectivement en terrain connu, et ne prend pas des tonnes de risques.

Une légère frustration, même, qui vient de l’absence de surprise : on connaît le truc, et on sait que tout ça finira bien mal. Il y a quand même une originalité : le destin personnalité par ce clochard (joué par Jean Vilard) qui annonce ou guide les événements, comme dans ce joli plan où sa main se pose sur celle d’un jeune homme, poussant ce dernier à la bouger et à effleurer celle de la jeune femme qu’il n’osait pas aborder.

Omniprésent, servant de lien entre les personnages, il donne au film une consistance, et une sorte de tranquillité assez envoûtante. Mais pour le reste, le sentiment de déjà-vu empêche le film d’atteindre le niveau des chefs d’œuvre de Carné, malgré la belle musique de Kosma (et l’importance donnée à la chanson des « Feuilles mortes ») et les décors de Trauner (notamment la reconstitution de la station Barbès).

Quant au reste du casting, il est à la fois frustrant (le trop jeune Montand et Nathalie Nattier font un couple pas franchement emballant, et on ne peut qu’imaginer ce qu’aurait été le film avec Gabin et Marlene Dietrich, qui l’ont refusé) et séduisant : Carette, Pierre Brasseur, Saturnin Fabre et Reggianni incarnent (très bien) des personnages qu’ils connaissent bien.

Mais le plus passionnant dans Les Portes de la nuit, ce n’est pas ce réalisme poétique tant vanté, mais la vision que le film donne de ce Paris populaire de la libération, exsangue, affamé, miséreux, et où cohabitent les victimes et les salauds de la guerre. Une vision pas si courante dans le cinéma français, qui plus est contemporain de cette période où tout était à réapprendre.

Le Jour se lève – de Marcel Carné – 1939

Posté : 14 février, 2018 @ 8:00 dans * Films noirs (1935-1959), 1930-1939, CARNÉ Marcel, GABIN Jean | Pas de commentaires »

Le Jour se lève

Gabin, reclus dans sa chambre au sommet d’une tour d’habitation, observe la foule qui se masse pour assister à sa fin. Le regard embué, il se souvient des événements qui l’ont conduit là, vers ce que l’on pressent être ces derniers instants. Gabin, avant guerre, a souvent joué les prolétaires au destin tragique. Il atteint des sommets avec ce chef d’œuvre absolu, d’une beauté et d’une cruauté sidérantes.

Le film, signé par le tandem Prévert-Carné, doit aussi beaucoup aux superbes décors d’Alexandre Trauner (qui a eu l’idée de placer la chambre de Gabin au sommet d’une tour), et à la construction en longs flash-backs. Une construction tellement inhabituelle à l’époque (on est deux ans avant Citizen Kane) qu’un carton placé au début du film prévient les spectateurs de ce qu’ils vont voir.

Cette construction par épisodes souligne le poids du destin, qui prend des visages parfois inattendus. Celui, en l’occurrence, de la trop douce Jacqueline Laurent. Celui, surtout, de l’inoubliable Jules Berry, extraordinaire en salaud si commun. Mais Gabin est-il si innocent, lui qui se laisse manipuler par les événements comme par la vie (travaillant sans se plaindre dans des conditions qu’il sait être fatales pour sa santé), et qui balaye d’un revers de la main la possibilité de bonheur que lui apporte Arletty, autre figure tragique.

Le regard de Gabin, les grands gestes de Berry, la nudité d’Arletty, la rondeur bonhomme de Bernard Blier, la sympathie de la foule pour cet homme condamné… Le Jour se lève donne de l’humanité à la tragédie, de la grandeur à la modestie de ces hommes et de ces femmes. Les dialogues sont magnifiques (« Il vous ressemble, il a un œil gai, et l’autre un peu triste. » « C’est vrai qu’il me ressemble… »), Carné signe l’une de ses plus belles mises en scène (le mouvement de caméra qui monte vers le lieu du drame), et Gabin a rarement été aussi bouleversant. Incontournable, indispensable.

Drôle de drame – de Marcel Carné – 1937

Posté : 21 mai, 2015 @ 3:43 dans 1930-1939, CARNÉ Marcel | Pas de commentaires »

Drôle de drame

Du grand n’importe quoi : c’est ce qu’ont dû se dire les spectateurs décontenancés (et pas bien nombreux) qui ont découvert le film à sa sortie. Et c’est bien un délire total auquel se livrent Marcel Carné et Jacques Prévert, tandem sur le point de signer une série impressionnante de classiques absolus, nettement moins drôles que ce chef d’œuvre à la folie débridée, pleine de personnages improbables interprétés par des comédiens en état de grâce.

Mais derrière cette folie, c’est une critique acerbe de toutes les tares de la société française contemporaine qui se cache à peine dans ce film pourtant adapté d’une histoire anglaise qui se déroule en 1900 en Angleterre, dans un Londres de carte postale. A peu près tout le monde se retrouve à un moment ou à un autre sous les feux du tandem Carné-Prévert : la bourgeoisie, avec une Françoise Rosay immense qui préfère endosser l’habit d’une meurtrière présumée plutôt que d’avouer que ses domestiques sont partis ; l’église, avec les sermons dénonciateurs d’un Louis Jouvet au passé coquin…

Si le film a aussi bien passé l’épreuve du temps, c’est parce qu’il ne répond à aucun effet de mode, aucune figure imposée, aucun compromis. Un film d’une liberté absolue, et d’une folie sans limite, qui en dit autant sur son époque qu’un autre chef d’œuvre incompris à sa sortie, La Règle du Jeu de Renoir.

Impossible de dresser un état des lieux complets des images mythiques du film. Mais chacun des personnages fait partie du panthéon du cinéma : Louis Jouvet en kilt lui remontant jusqu’aux genous, Michel Simon en amoureux des mimosas, Jean-Pierre Aumont en livreur de lait qui raconte des histoires sordides, Jean-Louis Barrault en tueur de bouchers fleur bleue…

Et puis il y a ce face-à-face génialissime entre Michel Simon et Louis Jouvet, avec ce dialogue fabuleux dont on ne se lasse pas, et qui n’a rien perdu de sa force.

  • « Qu’est-ce qu’il a ?
  • Qui ?
  • Votre couteau.
  • Comment ?
  • Vous regardez votre couteau et vous dites bizarre, bizarre, alors je croyais que…
  • Moi j’ai dit bizarre, bizarre ? Comme c’est étrange. Pourquoi aurais-je dit bizarre, bizarre ?
  • Je vous assure cher cousin que vous avez dit bizarre, bizarre.
  • Moi j’ai dit bizarre ? Comme c’est bizarre ! »

Génial, génial. J’ai dit génial !

Hôtel du Nord – de Marcel Carné – 1938

Posté : 1 juillet, 2014 @ 8:05 dans 1930-1939, CARNÉ Marcel | Pas de commentaires »

Hôtel du Nord

Marcel Carné enchaîne les classiques indémodables, à cette époque. Et cet Hôtel du Nord, adapté par Jean Aurenche et Henri Jeanson (et pas par Jacques Prévert, pour une fois), d’un roman de Eugène Dabit, est souvent considéré comme l’un des sommets du réalisme poétique qui marque ce cinéma d’entre-deux-guerres.

Les dialogues de Jeanson sont fabuleux bien sûr : l’inoubliable « Atmosphère » en tête, et des dizaines d’autres répliques que l’on sent parfaitement calibrées, mais qui font mouche et émeuvent. « Faut-il que j’t’aime pour que j’te l’dise » lance ainsi un Louis Jouvet bouleversant dans le rôle d’un souteneur qui révèle, trop tard, son humanité cachée devant une jeune femme pure (Annabella) qui lui rappelle sa jeunesse trop vite disparue…

Les décors d’Alexandre Trauner font eux aussi partie des plus grandes réussites du cinéma français : tourné en studio, Hôtel du Nord déborde de vie, et semble condenser à l’écran toute la société française populaire de ces années qui précèdent la guerre.

C’est d’ailleurs là que réside le vrai génie du film : dans la capacité qu’a Carné d’évoquer la France inquiète de la fin des années 30. Dans cet hôtel tenu par un couple au grand cœur, tellement bon qu’on a envie de les serrer contre soi, se croisent des paumés, des minables, des laissés pour compte. Arletty en prostituée, Jean-Pierre Aumont en amoureux lâche et transi, Bernard Blier en éclusier mal marié, Paulette Dubost en épouse peu fidèle… Pas glorieux ce microcosme qui semble fermé au monde extérieur.

« Semble » seulement, parce que même si Carné ne sort quasiment pas sa caméra de l’hôtel du Nord et de ses abords (mise à part une escapade à Marseille, comme un rêve éveillé vers une autre vie qui n’aura jamais lieu), le film n’est pas pour autant sourd aux remous du monde. La présence d’un orphelin rescapé de la guerre d’Espagne, les allusions d’un petit flic mesquin et raciste, un travailleur contraint à vendre son sang pour vivre, un homosexuel (François Perrier, tout jeune) qui se cache mal pour vivre ses amours… Le film n’élude rien des mesquineries de cette France, et des bouleversements du monde.

Film chorale qui a inspiré des tas de cinéastes depuis soixante-quinze ans, Hôtel du Nord est une merveille. Jouissif par son écriture et la prestation des comédiens, bouleversant, et un modèle d’intelligence.

Le Quai des brumes – de Marcel Carné – 1938

Posté : 1 mars, 2013 @ 3:07 dans 1930-1939, CARNÉ Marcel, GABIN Jean | Pas de commentaires »

Le Quai des brumes - de Marcel Carné - 1938  dans 1930-1939 quai-des-brumes

La scène se passe dans une fête foraine. Soudain, le bruit s’estompe, la foule disparaît. La caméra cadre pour la première fois les visages de Michèle Morgan et Jean Gabin en gros plans. Un silence. « T’as de beaux yeux, tu sais ». Un silence. « Embrassez-moi »… Des frissons, un grand soupir, des yeux émerveillés… C’est beau quand une scène aussi mythique que celle-là est à ce point à la hauteur de sa légende.

Le Quai des Brumes, bien sûr, ne se limite pas à cette déclaration d’amour absolument sublime : ces gros plans inoubliables constituent une sorte de parenthèse dans le film, et dans le destin cruel de ces deux êtres dont l’histoire d’amour ne sera qu’une fulgurance dans une existence pas franchement drôle.

Classique absolu, signé par le tandem Prévert/Carné, d’après un roman de MacOrlan, Le Quai des brumes est un film foncièrement désespéré, qui a été plutôt mal accueilli à sa sortie : voir Gabin, immense star, interpréter un déserteur dans un film jugé déprimant n’était pas vraiment bien vu à une époque où on cherchait plutôt à encourager le patriotisme de la jeunesse, la guerre menaçant.

Il faut dire que ce film d’atmosphère, derrière ses dialogues poétiques et teintés d’une ironie cynique mais souvent drôle, va très loin dans le désespoir. La brume omniprésente qui recouvre Le Havre, ses docks et ses terrains vagues (de magnifiques décors de studios signés Alexandre Trauner), est visuellement magnifique, mais souligne à chaque moment le fait qu’aucun de ces personnages n’a d’avenir.

Pas plus Jean le déserteur (le mot ne sera jamais prononcé) qui attend de pouvoir embarquer vers d’autres horizons, que la jeune Nelly victime, on le devine aisément, des persécutions voire des attouchements de son ignoble percepteur (Michel Simon). Que ces deux-là se croisent et s’aiment ne changera rien à l’affaire. Le film illustre simplement une bulle au cœur de ce brouillard sans fin qu’est leur existence.

Dans cette bulle, ils rencontrent des ordures, à commencer par Pierre Brasseur, exceptionnel en petit malfrat teigneux mais lâche comme c’est pas permis. Mais ils croisent aussi des paumés, comme eux, qui sans rien attendre leur viennent en aide, dans une espèce de havre de paix pour paumés : une improbable buvette perdue dans la brume, où ceux qui n’attendent plus rien de la vie se retrouvent, et notamment un peintre au bord du suicide interprété par un Robert Le Vigan bouleversant.

Tourné après l’incompris mais génial Drôle de Drame, Le Quai des brumes trouve sa place dans une période de grâce pour Marcel Carné, qui enchaînera avec Hôtel du Nord (auquel ne collabore pas Jacques Prévert), Le Jour se lève, Les Visiteurs du soir et Les Enfants du Paradis… Difficile de faire mieux.

 

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