Y a-t-il un film qui symbolise mieux que celui-ci ce que fut l’âge d’or d’Hollywood ? Sa démesure, son ambition, mais aussi sa capacité à transcender les émotions et, tout simplement, raconter des histoires. Deux séquences résument la richesse de ce film fleuve de plus de trois heures trente.
La première, c’est bien sûr le siège d’Atlanta, et l’incendie incroyablement spectaculaire auquel cherchent à échapper les héros, qui traversent dans leur chariot une ville plongée dans le chaos, où tout est mouvement et menace. Une séquence d’anthologie, avec des dizaines de figurants, des décors grandioses et une superbe lumière rouge dramatique.
La seconde en est l’antithèse : dans une petite pièce fermée, un groupe de femmes attend avec angoisse le retour de leurs hommes. Elles ne se parlent pas vraiment : l’une d’elles lit aux autres un roman de Dickens pour tromper leur anxiété. Rien de spectaculaire dans cette scène, rien de remarquable non plus dans ce décor presque austère, mais une tension palpable.
Ce monument du cinéma, c’est aussi la vision d’un homme, David O. Selznick, producteur et seul maître à bord. C’est lui qui a voulu cette adaptation du roman de Margaret Mitchell. C’est lui qui a choisi les acteurs, imposant le casting le plus couru de toute l’histoire du cinéma pour le rôle central de Scarlett O’Hara. C’est lui aussi qui a confié les rênes du projet à Victor Fleming.
Mais à quel point Fleming a-t-il su simposer sa marque ? Difficile à dire. Tourné à la même époque, son Docteur Jekyll et Mr. Hyde était une belle réussite, mais n’avait rien de comparable avec la flamboyance de Gone with the wind. Peu importe finalement. Ce qui compte, c’est le souffle de la mise en scène, la beauté des images.
On est loin du cinéma vérité qui sera en vogue quelques décennies plus tard : tourné en studio, le film est basé sur une perpétuelle recherche esthétique, avec des couleurs très marquées, et de superbes ombres chinoises se découpant sur des ciels dramatiques, la musique inoubliable de Max Steiner jouant bien fort. Et qu’est ce que c’est beau !
Gone with the Wind, c’est l’histoire d’un monde qui s’effondre (le Sud balayé par la guerre de Sécession), et d’un idéal qui cherche à surnager. C’est aussi l’histoire d’une femme amoureuse d’une idée qu’elle se fait de l’amour. Mais c’est surtout l’histoire d’un rendez-vous manqué entre deux êtres faits pour s’aimer. Scarlett O’Hara et Rhett Butler, deux égoïstes que les remous de l’Histoire vont révéler à eux-mêmes.
Elle, odieuse et terriblement humaine, capable des pires horreurs, prête à sacrifier le bonheur de sa sœur pour obtenir ce qu’elle veut, mais pourtant formidablement émouvante. Un superbe rôle pour Vivien Leigh, actrice intense et délicate qui ne cesse de m’émerveiller. Lui ? Un rustre, brutal, un rien vulgaire, et magnifique en même temps. Un rôle taillé pour Clark Gable, qui était d’ailleurs le seul choix de Selznick. Et qui a rarement été aussi bon qu’ici.
Autour d’eux, un idéal amoureux, donc, pour Scarlett : Ashley (Leslie Howard), l’image même de ce Sud balayé par la guerre, indéfiniment accroché à sa splendeur passée, un homme mou et indécis. Et puis un ange, Mélanie, d’une pureté et d’une bonté presque irréelle (et qui plus est avec la beauté de Olivia de Havilland). C’est d’ailleurs l’une des grandes forces du film : le casting formidable, qui compte aussi Thomas Mitchell dans le rôle du père, ou l’inoubliable Hattie McDaniel dans le rôle de Mamie, qui fit d’elle la première actrice noire oscarisée.
Bref, que des personnages qui semblent parfaitement à leur place. Et au milieu de tout ça, deux cygnes noirs (qui dansent dans une belle séance de bal en se moquant des regards inquisiteurs), définitivement faits l’un pour l’autre, mais qui ne s’épargnent rien. Car la grande histoire d’amour de ce monument du romanesque, c’est l’histoire d’un terrible échec, plein de cruauté et de douleurs, parsemé de déclarations d’amour à sens unique, et qui se conclue par un cinglant et magnifique « Frankly my dear, I don’t give a damn! »