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Archive pour la catégorie 'BERGMAN Ingmar'

Rêves de femmes (Kvinnodröm) – d’Ingmar Bergman – 1955

Posté : 14 septembre, 2024 @ 8:00 dans 1950-1959, BERGMAN Ingmar | Pas de commentaires »

Rêves de femmes

Tourné entre La Nuit des forains et Le Septième Sceau, Rêves de femmes peut sembler bien mineur dans la filmographie de Bergman. Et il l’est, en quelque sorte : une sorte de bluette sans grande conséquence, qui ne raconte rien d’autre, au fond, que des rêves étouffés dans l’œuf…

Au cœur du film : deux femmes du monde de la mode, une jeune mannequin (Harriet Andersson) et sa patronne plus âgée (Eva Dehlbeck). La première vit une romance tumultueuse avec un jeune homme aussi immature qu’elle. La seconde se languit de l’amant avec qui elle a vécu une aventure passionnée quelques mois plus tôt.

Un court voyage à Göteborg va les confronter toutes les deux à leurs rêves d’une vie plus excitante, avant un retour aux réalités qui sera vécu bien différemment par la toute jeune femme et par son aînée, dont le regard résigné résume à lui seul l’esprit du film.

Derrière ces aspects très légers, proches de la comédie, Bergman offre en fait une vision qui ressemble fort à du cynisme. Ses deux héroïnes sont belles, fortes à leurs manières, et pleines de vie. Elles se montrent aussi étonnamment dépendantes, faisant reposer sur les hommes leurs rêves d’un avenir meilleur.

Cette vision d’un féminisme étouffé dit beaucoup d’une société encore très patriarcale, symbolisée par l’énorme et libidineux commanditaire des collections de mode, dont la seule présence dans la scène inaugurale fait ressentir le sentiment d’étouffement des personnages féminins.

Et cela prend la forme, pour la jeune Harriet Andersson d’un vieil homme fortuné joué par l’incontournable Gunnar Björnstrand, et pour la belle et mure Eva Dahlbeck d’un homme entre deux âges sans charme et sans caractère.

Les hommes n’ont clairement pas le beau rôle devant la caméra de Bergman, plus que jamais cinéaste féministe, captant par de gros plans magnifiques et des scènes d’une grande tension (la scène du train, qui donne la sensation d’une cocotte sur le point d’exploser), qui parsèment cette fausse comédie, finalement pas si mineure dans l’œuvre du cinéaste.

Une leçon d’amour (En lektion i kärlek) – d’Ingmar Bergman – 1954

Posté : 22 juin, 2024 @ 8:00 dans 1950-1959, BERGMAN Ingmar | Pas de commentaires »

Une leçon d'amour

Il me semble bien que c’est la première fois que Bergman se laisse à ce point entraîner du côté de la comédie pure. Il avait déjà adopté une certaine légèreté, avec des pointes d’humour, dans plusieurs films, en particulier L’Attente des femmes. Mais jamais ainsi.

Une leçon d’amour permet d’ailleurs de retrouver le plus enthousiasmant des couples de L’Attente…, Eva Dahlbeck et Gunnar Björnstrand, à la fois explosif, tendre et sensuel. Et l’alchimie détonante qui avait déjà marqué un segment du précédent film prend ici une toute autre dimension, parce qu’elle est au cœur de cette Leçon….

Leçon construite autour d’un jeu de faux semblants, et toute une série de flash-back. On les découvre se rencontrant comme des étrangers à bord d’un train, un peu comme le couple des Amoureux sont seuls au monde. Mais à aucun moment on n’est dupe : non seulement ces deux-là ont une longue histoire, mais ils sont faits l’un pour l’autre.

Les flash-back successifs confirment cette évidence, ou la remettent en cause au fil des souvenirs qu’ils ravivent. Il y a de la vie dans ces flash-back. Des fragments, en tout cas, comme des bribes de souvenirs qui vous hantent, et disent beaucoup des aspects les plus importants de la vie, à travers des moments presque anecdotiques.

Bergman capte ainsi le temps qui passe, les doutes qui s’immiscent, les certitudes confrontées aux réalités de la vie, la difficulté de vieillir ensemble, de conserver cette flamme si fragile… C’est tellement loin de l’image caricaturale de Bergman, telle que même un fidèle admirateur comme Woody Allen l’a véhiculée. C’est léger, tourbillonnant, et pourtant grave et profond. C’est du Bergman, et c’est beau.

La Nuit des forains (Gycklarnas afton) – d’Ingmar Bergman – 1953

Posté : 21 juin, 2024 @ 8:00 dans 1950-1959, BERGMAN Ingmar | Pas de commentaires »

La Nuit des forains

Il n’a l’air de rien, ce Bergman, fait de petites choses et qui se termine comme il a commencé. Et pourtant, il est d’une richesse assez exceptionnelle, à la fois peinture pleine de vie du quotidien d’un petit cirque ambulant, histoire d’amour improbable, et réflexion douce amère sur la peur du lendemain et les doutes concernant sa propre condition.

Le directeur de cirque Alberti (Åke Grönberg) est un homme fatigué et rempli de doutes. Il n’est plus un jeune homme, son embonpoint prononcé rend ses gestes lourds et difficiles, et la présence de sa toute jeune compagne à ses côtés n’y fait rien : la vie de cirque lui pèse. L’escale prévue dans la petite ville où vivent la femme et les enfants qu’il a abandonnés trois ans plus tôt éveille en lui des rêves d’une vie bourgeoise…

Sa toute jeune compagne, c’est Harriet Andersson, que Bergman retrouve juste après Monika. Elle aussi, derrière sa sensualité et son regard plein de vie, cache mal une sorte de malaise et des interrogations sur son avenir. Jusqu’à se jeter dans les bras d’un comédien pompeux et arrogant

Le couple, dans ce film (comme souvent chez Bergman), n’est pas exactement un havre de paix. Ces deux-là semblent vivre une histoire d’amour sans nuage. Mais le doute s’immisce bientôt, lorsqu’un pote du directeur lui raconte une histoire survenue sept ans plus tôt, concernant un autre couple de la troupe. Le film est à peine commencé, l’histoire pas encore en place, et Bergman s’offre alors un flash-back assez fascinant dans un style quasi-expressionniste, avec noir et blanc saturé et sans parole ou presque.

Après cette entrée en matière formellement spectaculaire, Bergman se fait d’avantage peintre du quotidien, et de l’humain, filmant les retrouvailles du directeur et de sa femme, et son désir de tout quitter pour vivre cette vie bourgeoise qu’elle a choisie, de partager son bonheur. Mais ce bonheur simple et serein, peut-être le doit-elle moins à sa réussite sociale qu’au fait d’avoir échappé à ce couple qui l’empêchait d’être une femme épanouie et libre. Autre thème fort de Bergman.

Entre le folklore du monde du cirque, et les affres de ceux qui le font, Bergman trouve un équilibre idéal, filmant les groupes et les visages avec la même intensité, dissimulant derrière le rythme d’une comédie un film beau et profond, et profondément humain.

Monika / Un été avec Monika (Sommaren med Monika) – d’Ingmar Bergman – 1953

Posté : 20 juin, 2024 @ 8:00 dans 1950-1959, BERGMAN Ingmar | Pas de commentaires »

Monika

Monika (Harriet Andersson) est dans un club avec ancien amant. Le fond s’estompe et vire au noir. Elle tourne son visage vers la caméra, l’air détachée, comme écœurée d’elle-même… Ce plan est le plus triste de l’histoire du cinéma, disait Jean-Luc Godard, qui vénérait Bergman, ce qui faisait de lui un homme de goût.

C’est vrai qu’il est déchirant, ce plan, écho cruel à un autre plan similaire, plus tôt dans le film. Il apparaît comme une rupture, comme l’aveu d’impuissance d’une très jeune femme qui renonce à suivre le chemin de l’âge adulte, abdiquant, tournant le dos à ses rêves de vie bourgeoise, et en même temps à l’innocence à laquelle elle s’est désespérément raccrochée tout un été…

C’est drôle : j’avais gardé de Monika le souvenir d’un film solaire et lumineux. A le revoir, c’est l’amertume qui domine. Et ces moments de liberté d’un été qu’un jeune couple passe au cœur de la nature suédoise est moins une transition qu’une manière de garder à distance un avenir inéluctable incertain et effrayant.

Avec ce film, magnifique et poignant, Bergman fait le choix de la simplicité et dépouillement. Un jeune homme un peu effacé rencontre une jeune femme pleine de vie. Ils s’aiment, quittent tout pour partir ensemble, passant un été d’insouciance… ou presque, avant un retour à la réalité qui, forcément, bouscule tout.

La sensualité d’Harriet Andersson, son regard d’enfant perdu, la beauté des paysages, la brutalité du monde du travail (donc des adultes)… Monika est l’un des plus beaux films de la première partie de carrière de Bergman.

L’Attente des femmes (Kvinnors väntan) – d’Ingmar Bergman – 1952

Posté : 19 juin, 2024 @ 8:00 dans 1950-1959, BERGMAN Ingmar | Pas de commentaires »

L'Attente des femmes

Bergman peut être léger. La preuve avec ce film, le premier dont on puisse dire qu’il se rapproche de la comédie, même s’il y a un fond assez cruel, finalement, derrière le récit que font trois épouses alors qu’elles attendent le retour de leurs maris.

La toute première scène donne le ton. Dans une grande propriété en bordure de fjord, au cœur d’une nature grandiose et désertique, ces femmes s’inquiètent de l’absence de leurs enfants, et évoquent leurs retrouvailles prochaines avec leurs maris, avec une sorte d’ironie désabusée.

Derrière la comédie, derrière la narration pleine de vie, Bergman nous confronte à la réalité de ces femmes, dont la société a fait des faire-valoir de leurs hommes, les condamnant à vivre intensément à leurs côtés (pour les plus veinardes)… et à attendre en leur absence.

Dans ces visages que Bergman filme au plus près se lisent tous les rêves envolés, l’amertume, la solitude… Cette solitude que ces quelques femmes ont rompue tardivement en se racontant les plus intimes de leurs souvenirs.

Trois récits se succèdent ainsi, aux rythmes et aux styles visuels très différents, épousant les points de vue des trois femmes. D’abord Rakel (Anita Björk), qui raconte son infidélité passagère avec son amour de jeunesse, et la peur panique de son ami quand il découvre la vérité, drame tragi-comique à l’ironie mordante.

Puis Marta (Maj-Britt Nilsson), qui se souvient de son histoire d’amour avec le jeune Martin à Paris, et de son départ alors qu’elle venait de découvrir qu’elle était enceinte… Superbe segment fait d’allers-retours temporels et tout en jeux de lumière : cette main qui sort de la nuit, ces ombres chinoises qui nous entraînent au cœur d’un cabaret un brin vulgaire…

Enfin, Karin (Eva Dahlbeck), lumineuse et insolente, qui profite d’une panne d’ascenseur pour raviver la flamme avec son austère mari (Gunnar Björnstrand), dans la partie la plus légère et la plus drôle du film.

Féministe et délicat, Bergman filme du point de vue de ces femmes amoureuses, mais sacrifiées, et conclut son film par un bel appel à l’émancipation. Sans toutefois se faire trop d’illusions : ces jeunes avides de s’échapper des conventions… ils finiront bien par revenir.

Scènes de la vie conjugale (Scener ur ett äktenskap) – d’Ingmar Bergman – 1973

Posté : 30 avril, 2022 @ 8:00 dans 1970-1979, BERGMAN Ingmar, TÉLÉVISION | Pas de commentaires »

Scènes de la vie conjugale

Avant d’être un grand film, Scènes de la vie conjugale était une grande série. Pas par la durée : six épisodes d’une cinquantaine de minutes seulement, pour filmer un couple qui s’aime, se tiraille, se déchire, et ne cesse de se retrouver. Mais par la justesse des sentiments, et ce mélange de tendresse et de cruauté qui flirte avec le cynisme, si caractéristique du romantisme d’Ingmar Bergman.

Typique aussi : cette impression que la frontière est ténue entre la fiction et l’autobiographie. Homme à femmes, éternel amoureux, mais dominateur et conscient de sa grandeur, Bergman n’est sans doute pas si éloigné du personnage qu’interprète Erland Josephson, le plus fidèle sans doute de ses alter ego. Si on ajoute que Bergman a lui-même vécu quelques années avec Liv Ullman…

Une scène est particulièrement troublante : un passage où Marianne lit son journal intime, évoquant ses propres troubles tandis que défilent des photos de Liv Ullman jeune. Soudain, la frontière entre l’actrice et son personnage semble abolie, et la confession se fait totalement intime. Une scène clé sans doute, pour saisir tout ce que Bergman a glissé de personnel dans cette histoire de couple.

Ce n’est clairement pas le plus grand acte d’amour au mariage : entre les deux personnages principaux, la plénitude ne viendra que d’un sentiment de liberté, ou d’évasion c’est selon, mais qui de toute façon semble totalement incompatible avec le mariage. La confession tardive de la mère de Marianne est ainsi bouleversante, évoquant une vie sans regret, mais sans partage avec l’homme qu’elle a épousé bien des années plus tôt.

Lorsque la série commence, Marianne et Johan ont pourtant tout du couple parfait : celui que tout le monde montre en exemple. Jamais une engueulade, le sentiment de vivre un bonheur sans nuage… Mais y regarder de plus près – et Bergman sait regarder de plus près, avec ses gros plans superbes – le trouble est déjà là. Et il suffit d’une confession pour que les sentiments enfouis s’éveillent.

C’est avant tout l’histoire d’une émancipation, l’éveil d’une femme qui se libère des corsets imposés par sa famille, son mari, la société. Une femme soumise à un homme brillant qu’elle aime sincèrement, mais qui l’étouffe en quelques sortes. Et quand les tensions s’installent, les sentiments sont exacerbés. Dans un même mouvement d’une évidence foudroyante, le couple passe de la tendresse à la violence la plus brutale.

Liv Ullman est bouleversante, oscillant de la fragilité presque maladive d’une jeune femme trop effacée à l’affirmation d’une femme de plus en plus libre. Erland Josephson, lui, peut être l’incarnation de l’égoïsme, du mâle égocentré, autant que celle d’un gamin perdu sous les allures d’un homme trop sûr de lui.

Tantôt violent et pathétique, tantôt tendre et déchirant, Scènes de la vie conjugale est une merveille, que Bergman tourne sur son île Faaro. Ironiquement, c’est d’ailleurs avec un plan fixe de son décor préféré qu’il termine chaque épisode, manière rigolarde d’assumer le caractère austère et fascinant de son cinéma.

Sonate d’automne (Höstsonaten) – d’Ingmar Bergman – 1978

Posté : 5 décembre, 2021 @ 8:00 dans 1970-1979, BERGMAN Ingmar | Pas de commentaires »

Sonate d'automne

Ingmar Bergman et Ingrid Bergman… La rencontre de ces deux monstres sacrés semblait aussi improbable qu’incontournable. Parce que tous deux sont sans doute ce que le cinéma suédois a produit de plus prestigieux, de plus populaire, au-delà de leur étrange homonymie. Il aura pourtant fallu attendre le dernier moment pour que cette rencontre se concrétise.

En 1978, Ingmar s’intéresse de plus en plus à la télévision : même si plusieurs de ses films à venir sortiront en salles, tous seront tournés initialement pour le petit grand. Quand à Ingrid, trois ans après son ultime Oscar (du second rôle, pour Le Crime de l’Orient Express), elle fait avec Sonate d’automne ses adieux au cinéma… en même temps que son premier film suédois depuis quarante ans.

Bien sûr, la perfectionniste et ambitieuse Ingrid Bergman ne pouvait pas ne pas rêver de tourner avec l’immense Ingmar. La cohabitation, pourtant, n’a pas été simple, l’actrice, habituée à être écoutée, n’ayant pas la même vision de son personnage que le cinéaste… habitué à être écouté. Malgré les tensions, Ingrid fait preuve d’un beau courage d’actrice, se laissant filmer sans fard et vieillie par la caméra si proche d’Ingmar. Elle est extraordinaire.

Liv Ullman l’est aussi, d’ailleurs. Le film est en grande partie un huis clos étouffant entre les deux actrices, la mère et la fille. La première, grande pianiste qui accepte mal les années et la solitude. La seconde, jeune femme vivant avec le traumatisme d’une enfance perdue à rechercher l’amour maternel. Elles ne se sont pas vues depuis sept ans lorsque la fille se décide à inviter la mère à les rejoindre, son mari et elle, dans leur maison isolée dans la campagne norvégienne.

Bergman (Ingmar) filme les visages comme des fenêtres ouvertes sur les âmes de ses personnages. Une première séquence fait ainsi naître le trouble : lorsque Eva (Liv Ullman) se décide à jouer un air pour sa mère Charlotte, la caméra ne filme plus que le visage d’Ingrid Bergman en très gros plan. Et ce visage dit plus que n’importe quel dialogue sur ce que ressent la mère, ou plutôt sur ce qu’elle ressent à peine, si lointaine, si vide d’empathie.

Dans le cinéma de Bergman, les rapports entre les êtres sont rarement simples. Ici, cette relation mère-fille révèle bien plus que des failles. On pressent constamment la cruauté de ce rapport filial, cette cruauté éclate de la plus spectaculaire des façons, avec hystérie presque, en tout cas avec une hargne ravalée depuis tant d’années.

Il y a le sens du cadre si éclatant de Bergman : cette manière surtout de juxtaposer deux visages en gros plan, l’un de face l’autre de profil. Plans si intenses qui en disent si long sur l’incommunicabilité des personnages. Il y a aussi des parti-pris radicaux : cette manière surtout de mettre en parallèle des séquences extrêmement dialoguées, y compris par des monologues intérieurs parfois face caméra, avec des flash-backs sonores mais muets, cadrés comme des tableaux de Vermeer.

Intense, dérangeant, et beau.

Jeux d’été (Sommarlek) – d’Ingmar Bergman – 1951

Posté : 14 octobre, 2021 @ 8:00 dans 1950-1959, BERGMAN Ingmar | Pas de commentaires »

Jeux d'été

Ah ! Si Bergman avait réalisé une vraie comédie musicale, dans la lignée de celles de Busky Berkeley… Il y a dans Jeux d’été une poignée de séquences de ce niveau, des scènes de ballets d’une beauté saisissante, sur un plateau immense et dépouillé, où la magie naît de la chorégraphie bien sûr, mais aussi de l’emplacement que choisit Bergman pour sa caméra. Du cinéma à l’état pur, comme autant de parenthèses hors du temps, soulignant les moments forts de l’histoire.

Jeux d’été, film de jeunesse encore, est une merveille, l’œuvre d’un cinéaste visiblement hanté déjà par le poids de cette jeunesse. Une danseuse étoile, visage sombre et regard triste, erre sans joie sur les plateaux, jusqu’à ce qu’un colis mystérieux lui rappelle la passion qu’elle a vécu treize ans plus tôt, alors qu’elle n’était qu’une adolescente toute en innocence et en joie de vivre.

Le film est fait de ces allers-retours entre un présent pesant, celui d’une jeune femme qui peine à surmonter la réalité souvent crue de l’adulte, et un passé sans doute idéalisé, celui d’une histoire d’amour pur et parfait, le temps d’un été superbe. Deux ans plus tard, Bergman signerait Monika, son premier vrai classique, sur un thème pas si lointain. Jeux d’été n’est pas un simple brouillon, loin s’en faut.

Il y a d’abord Maj-Britt Nilsson, superbe, aussi intense en danseuse installée et pas si loin de la fin, que légère en adolescente découvrant la passion amoureuse. Un unique rôle, mais deux incarnations également fortes, grande performance d’actrice dont Bergman fait la double pierre angulaire de son film.

Il y a aussi ces petits riens qui font basculer Marie, le personnage principal, de l’innocence à l’amertume, de la légèreté à l’angoisse… Petits riens qui reposent sur les gros plans, sur le mouvement, sur le sourire franc du jeune Henrik (Birger Malmsten) ou sur le rictus gêné d’un prêtre pas franchement dans la compréhension. Une inventivité folle aussi : ces dessins qui prennent vie sous le regard des jeunes amoureux, le poids de la cabane surplombant le lac, tantôt décor idyllique, tantôt porteur d’une douloureuse nostalgie.

Jeux d’été n’est pas le plus grand classique de Bergman. C’est peut-être, en revanche, son premier très grand chef d’œuvre, son premier film vraiment personnel. Lui-même le présentait d’ailleurs ainsi. Le voir et le revoir procure des sentiments d’une richesse et d’une intensité rares. Une merveille, définitivement.

Vers la joie (Till glädje) – d’Ingmar Bergman – 1950

Posté : 29 septembre, 2020 @ 8:00 dans 1950-1959, BERGMAN Ingmar | Pas de commentaires »

Vers la joie

Un homme et une femme se rencontrent dans un orchestre. Ils vont s’aimer, se disputer, grandir ensemble, aborder les grandes étapes de la vie… Ce pourrait être une sorte de chronique douce-amère sur le parcours de deux êtres presque anonymes : ni l’un ni l’autre n’ont une beauté renversante, ni un destin exceptionnel. Mais ils sont beaux ensemble, touchants, même si apprendre à vivre ensemble ne se fait pas sans une certaine cruauté, quand on attend trop de la vie.

Ce pourrait être juste ça, et ce serait déjà beaucoup. Mais Bergman y ajoute le poids du destin, terriblement pesant, en faisant de cette histoire un long flash-back. Dès la première séquence, il nous annonce la mort de cette femme qu’on ne connaît pas encore. Et la manière dont il amène le flash-back est superbe : un long travelling avant vers les cordes d’une harpe, et ces mots qui s’affichent, après l’image du deuil. « L’histoire de Sig et Martha commence sept ans auparavant, à l’automne… »

Dès cette première scène aussi, la musique est là, omniprésente et à contre-temps. Cet Hymne à la Joie tellement décalé, qui ouvre et clôt le film, et lui donne son titre… C’est aussi un film sur ce qu’est un artiste, et sur l’art comme quelque chose de déconnecté avec la vie, et les sentiments intimes.

Comme un symbole, Bergman confie le rôle du chef d’orchestre à Victor Sjöström, son mentor, l’autre grand cinéaste suédois, sorte de démiurge impuissant, qui observe et se désole plus qu’il ne dirige. C’est à lui aussi que Bergman « confie » le flash-back dans le flash-bask, lorsqu’il se met à raconter en voix off un épisode simple et magnifique de la vie de ce couple, une réconciliation d’après-dispute, muette et bouleversante.

Comme la vie, ou comme la musique, Vers la joie passe d’une émotion à l’autre, parfois dans le même mouvement. Pas un Bergman muet, sans doute, mais un Bergman juste et sensible, et musical…

Les Communiants (Nattvardsgästerna) – d’Ingmar Bergman – 1963

Posté : 31 août, 2019 @ 8:00 dans 1960-1969, BERGMAN Ingmar | Pas de commentaires »

Les Communiants

Une petite communauté rurale dans la Suède reculée, un pasteur en pleine crise de foi après la mort de sa femme, de rares paroissiens qui cherchent en vain du réconfort auprès de lui… Ingmar Bergman signe là un film beau et radical, d’une épure totale, intense et bref, ramassé et pourtant généreux.

Loin du style visuel plus impressionniste de ses débuts, le cinéma prend le parti pris d’un vrai dépouillement visuel et narratif, pour mettre en images les tourments de cet homme qui souffre du silence assourdissant de ce Dieu qu’il a perdu en cours de route, et qui font de lui un homme froid mais conscient des ravages que provoque son égocentrisme.

Fidèle d’entre les fidèles de Bergman, Gunner Björnstrand est d’une intensité folle dans ce rôle peu aimable. D’emblée, le cinéaste souligne la vision détachée qu’il a de « ses » paroissiens lors d’une première séquence, superbe leçon de mise en scène : une messe, que Bergman filme avec une succession de plans fixes, cadrant tour à tour chacun des personnages de l’histoire. Des gros plans magnifiques pour les paroissiens en attente de quelque chose ; des plans larges et vides pour le pasteur, qui soulignent sa solitude et son absence de liens réels avec les autres.

Lors de cette séquence splendide, la caméra de Bergman suffit à faire ressentir les rapports entre tous ces personnages : les sentiments sans retour d’une Ingrid Thulin très émouvante, ou la posture de dépendance d’un Max Von Sydow qui cherche désespérément une épaule ou une oreille, que le pasteur ne pourra pas, ou ne voudra pas lui offrir.

Pas ou peu de mouvement de caméra dans ce film, mais une utilisation très intense de plans fixes, le plus souvent sur des visages. Il y a notamment cette scène particulièrement forte où le pasteur lit la longue lettre de l’institutrice qui l’aime : l’image traditionnelle de l’homme lisant le courrier est vite remplacé par un long plan fixe d’Ingrid Thulin disant sa lettre face caméra. Sept minutes sans esbroufe, sans autre « truc » de cinéma qu’un court plan de coupe en forme de flashback, mais qui procurent une émotion rare.

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