Miroir – de Raymond Lamy – 1947
Après Martin Roumagnac, le deuxième film du nouveau départ pour Gabin. Prématurément vieilli après la guerre, l’ancien symbole du Front Populaire confirme son nouvel emploi de grand bourgeois. Miroir, film largement oublié, fait le lien entre ces deux Gabin, d’avant et d’après guerre. L’image installée de son personnage, homme d’affaires respecté, ne cache qu’aux yeux de ceux qui ne le connaissent pas la mauvaise graine qu’il fut dans sa jeunesse.
Monteur pour Guitry, Raymond Lamy n’a réalisé que ce film en son nom propre. Il ne démérite pas, pourtant. Le film n’évite pas quelques flottements, et manque sans doute d’une colonne vertébrale, un liant, ce petit quelque chose qui rendrait le drame plus intime encore. Mais il y a dans Miroir une belle ambition, que Lamy transforme épisodiquement en grands moments de cinéma.
L’histoire elle-même évoque celle de Leur dernière nuit, que tournera Gabin six ans plus tard. Miroir surprend surtout pour son ton inhabituellement sombre et violent, particulièrement marquant dans le flash-back, spectaculaire fusillade nocturne, ou dans le règlement de compte final… en plein enterrement dans un cimetière. Un film où Gabin abat sans ciller un homme à qui il doit la vie, rien que ça…
Lamy s’inscrit en fait dans la lignée de quelques grands films policiers français du début des années 1930, dans lesquels la violence, même hors champs, était frappante : Justin de Marseille notamment, et ce n’est pas un hasard s’il donne à Antonin Berval un rôle similaire, celui d’un mafieux marseillais.
Mais la plus belle scène du film, c’est cette chanson qu’interprète sur scène Colette Mars, dans le rôle de l’ex-maîtresse de Gabin. « Je sais qu’il est en même temps, tendre et méchant », chante-t-elle dans cette longue parenthèse au cœur du récit, comme un répit entre deux drames, ou comme le point de rupture d’une vie trop établie.
La chanson est belle, l’interprétation exceptionnelle, et la scène qui suit, nostalgique et bouleversante, est peut-être la plus forte du film. Elle préfigure d’ailleurs beaucoup de scènes comparables dans les films à venir de Gabin, jusqu’à la fin de sa carrière : très souvent, un personnage féminin évoquera au Gabin installé celui qu’il fut avant la guerre.
Le regard de Gabin lorsque la chanson de Colette Mars évoque en lui des souvenirs et le spectre d’un bonheur évanoui, est en tout cas une image absolument magnifique.