Le Mépris – de Jean-Luc Godard – 1963
Le soleil éclatant de Rome, les travellings magnifiques, la musique de Georges Delerue, le regard perdu de Brigitte Bardot, celui que refuse de voir Michel Piccoli, l’immensité de la mer, le haussement d’épaule résigné de Fritz Lang (oui, le vrai, ce qui est assez dingue), l’Alpha qui ne roule que par à-coups, les grands espaces qui renforcent le sentiment d’enfermement…
Plutôt que de longues phrases, on pourrait continuer comme ça très longtemps la liste des détails qui marquent si fort les esprits dans Le Mépris, chef d’œuvre intemporel dont le rythme faussement apaisé cache (mal) une extrême cruauté.
Il y a bien sûr la férocité de Godard à l’égard du cinéma, qu’il aime passionnément mais sans être dupe de la cruauté qui s’y cache. D’un côté, Lang, le grand Lang, cinéaste adoré de la Nouvelle Vague, symbole à lui seul de la grandeur de son art. Et soumis au diktat grotesque d’un producteur hollywoodien (Jack Palance, parfaitement odieux). Et au milieu : un écrivain avalé par le cinéma, tiraillé entre son admiration pour Lang et l’argent facile.
A travers ce personnage, formidable Piccoli, c’est toute l’ambivalence du monde du cinéma que synthétise Godard, en en faisant un homme sensible, mais capable de la pire des compromissions avec cette femme, Brigitte Bardot, dont il aime tout : ses bras, sa nuque, ses fesses. Bardot dans son plus grand rôle, bouleversante au-delà de l’icône qu’elle incarne.
Et c’est un moment presque anodin, mais d’une violence inouïe, qui fait tout basculer. Un regard libidineux, une voiture trop rouge, et une épouse trop belle que le mari livre à l’ogre, juste en tournant la tête… Peu importe ce qui suit : le mal est fait, l’homme aimé abandonne sa belle, tout est foutu.
Le Mépris est sans doute le plus beau film de Godard, le plus bouleversant, le plus fort, celui aussi où son art (encore populaire) est le plus abouti. C’est une merveille, d’une richesse infinie, qui soudain transforme le mythe BB en une très grande actrice, qui est le cœur et l’âme de ce chef d’œuvre.