The Blade (Dao) – de Tsui Hark – 1995
Au milieu des années 90, Tsui Hark est le producteur-réalisateur le plus important de Hong-Kong. En tant que réalisateur, il a révolutionné le wu-xia-pian (le film de sabres) notamment avec Il était une fois en Chine ; en tant que producteur, il a dynamité le film de gangster avec Le Syndicat du crime. Bref, il est de tous les bons coups. Et en 1994-95, il enchaîne deux des plus grands films hong-kongais de la décennie, dans des genres radicalement différents : le sublime et romantique The Lovers, et ce sommet insurpassable du wu-xia-pan, The Blade, monument de fureur et de violence, qui fut longtemps considéré comme son chant du cygne. A partir de là, la carrière de Tsui Hark allait décliner, en particulier avec son expérience américaine où il a tourné deux films pour Jean-Claude Van Damme. Heureusement, les années 2000 marqueront son retour en grâce…
The Blade est une énième version d’un mythe très présent dans le cinéma chinois depuis les années 60 : celui du chevalier manchot. Un mythe popularisé par toute une série de films, qui trouve son origine dans la littérature japonaise, mais que Hong-Kong s’est approprié au fil des décennies, avec des films tantôt sombres, tantôt loufoques. Le film de Tsui Hark en est sans doute la version ultime.
L’histoire se déroule dans le Moyen-Âge chinois, dans une époque d’insécurité et de violence. Dans la plus grande fabrique de sabres du pays, deux amis amoureux de la fille de leur patron vivent en paix, jusqu’à ce qu’ils assistent au meurtre sauvage d’un moine errant, battu à mort par des bandits sanguinaires qui sèment la terreur dans le pays. Peu après, l’un des deux jeunes hommes apprend que son père, mort alors qu’il n’était qu’un bébé, avait lui aussi été assassiné par l’un de ces bandits, tueur jugé invincible. Il prend la route, décidé à se venger. Après un premier combat particulièrement sauvage avec les bandits, il perd un bras. Laissé pour mort, il se réfugie dans une petite ferme isolée. De nouveau victime d’une attaque des bandits, il met au point une technique de kung-fu adaptée à sa condition de manchot…
Le film est parsemé de combats d’une violence assez incroyable, crue et hargneuse. Mais les images sont aussi d’une beauté sidérante, à la fois dans les scènes de combat, et dans les moments en creux. La scène d’ouverture, avec cette lumière presque magique tombant sur les lames des sabres, est l’une des plus belles que l’on ait pu voir dans le cinéma de Tsui Hark. Sublime image de paix et de quiétude, elle tranche évidemment avec la fureur de ce qui va suivre, comme le visage enfantin et doux de Chiu Man Chuk (que Tsui Hark avait révélé en lui confiant la lourde tâche de succéder à Jet Li dans le rôle du mythique Wong Fei-hong pour La Danse du Dragon, le quatrième volet de la saga Il était une fois en chine) tranche avec la rage qui l’anime.
Au sommet de son art, Tsui Hark signe un film dur et cruel, mais aussi profondément émouvant. Un chef d’œuvre.