La Prisonnière espagnole (The Spanish Prisoner) – de David Mamet – 1997
Grand auteur de théâtre (Glengarry ou American Buffalo), grand scénariste (on lui doit Le Verdict de Lumet, Les Incorruptibles ou encore Hannibal), David Mamet est donc également un grand cinéaste. Ces films précédents (Engrenages, surtout), l’avaient déjà laissé pressentir, mais ils étaient avant tout des films de scénariste. Ici, Mamet se révèle un cinéaste accompli, et son film est d’une élégance folle.
Côté scénario, on retrouve son goût pour les faux-semblants, les fausses pistes et les intrigues à tiroirs et à rebondissements. Il va même très loin dans ce thème, puisqu’il lui faut à peu près une minute douze pour créer une atmosphère de doute absolu. Qui dit la vérité ? Qui ment ? A cette dernière question, le spectateur, victime consentante de ce cauchemar éveillé, aurait bien tendance à répondre « tout le monde ». Car très vite, on sent que le mensonge est partout, que les apparences sont plus que jamais trompeuses.
Ça ne facilite pas la tâche du spectateur, qui tente désespérément de relier les fils plus ou moins lâches de cette intrigante intrigue. Mais c’est dans cette complexité, dans cette conscience que l’on a de se faire avoir par le scénariste-réalisateur, que le principal plaisir du film réside. Là et dans l’ambiance feutrée qui baigne sur tout le film, et qui en fait une œuvre unique.
La séquence d’ouverture est éblouissante : en quelques minutes, Mamet présente tous ses personnages, et met en place un climat de défiance et de faux-semblants dans un décor totalement inattendu, celui d’un village de vacances idyllique des Carraïbes. Il introduit aussi la formule secrète et mystérieuse inventée par le héros (Campbell Scott, parfait en monsieur tout le monde dont la vie devient un véritable cauchemar), formule dont on ne saura strictement rien si ce n’est qu’elle tient dans un cahier rouge précieusement gardé dans un coffre. C’est l’exemple-type du « macguffin » cher à Hitchcock : un objet quelconque qui n’a d’autre intérêt que de faire avancer l’intrigue (le plutonium des Enchaînés en est le meilleur exemple).
L’influence d’Hitchcock est d’ailleurs omniprésente dans La Prisonnière espagnole, l’un des plus bel hommage au cinéma hitchcockien. La composition des plans (le tunnel de Central Park par exemple), l’utilisation du fondu-enchaîné, le thème du faux coupable, ou encore la séquence du carrousel (une citation de L’Inconnu du Nord-Express)… Les clins d’œil au maître du suspense sont partout, mais n’étouffent pas le film, comme cela avait été le cas pour une poignée d’hommages hitchcockiens signés Brian De Palma.
Parce que la patte de David Mamet est également évidente, tout comme le plaisir qu’il prend à perdre le spectateur, à l’emmener exactement là où il veut, et à surprendre continuellement… Plaisir communicatif : c’est avec un large sourire que, sadique, on assiste au cauchemar de Campbell Scott, scientifique qui se laisse persuader que son patron (Ben Gazzara) essaye de l’entuber, qui finit par douter de son nouvel ami, un riche homme d’affaires rencontré par hasard (Steve Martin, formidable dans un rôle à contre-emploi), et qui trouve refuge auprès de sa secrétaire, secrètement amoureuse de lui (Rebecca Pidgeon, la femme de David Mamet).
Un bémol, quand même : la fin est franchement bâclée, et laisse un goût d’inachevé sur ce film brillant, élégant et constamment inventif.