
But Tom… Why ? Ben oui, Tom : pourquoi ? Pourquoi un film aussi long ? Et pourquoi un film aussi sinistre ? Après tout, ce n’est pas la première fois qu’Ethan a le monde à sauver. Mais jusqu’à présent, cet objectif fort louable était toujours au service du suspense et de l’efficacité pure, et s’effaçait constamment derrière l’humain. Mais là…
Pour ce huitième film qui devait être la deuxième partie du septième avec une sortie qui devait suivre de quelques mois seulement le précédent mais qu’on attend depuis deux ans à cause de la queue de comète du Covid et de la grève des scénaristes qui ont fait du tournage l’un des plus longs de l’histoire, avec pour conséquence de changer le titre, Dead Reckoning deuxième partie devenant The Final Reckoning… C’était quoi déjà le début de ma phrase ?
Ah oui : pour ce huitième film, sans doute le dernier, c’est comme si Cruise et son yes-man Christopher McQuarrie avaient voulu non seulement offrir des sorties dignes de ce nom à tous les personnages du film, mais aussi tisser des liens avec tous les films précédents. Un personnage secondaire devient ainsi pour une raison assez obscure le fils de Jim Phelps. Et je crois que c’est là qu’on m’a perdu, dans une réflexion hésitant entre le « hein ? Mais pourquoi ? » et le « n’importe quoi… ». Les deux options étant cumulables.
McQuarrie, dont on a du mal à imaginer qu’il a été le scénariste de Usual Suspects, signe ainsi un script assez inepte, dans lequel il fait entrer en forçant toutes ses idées, y compris les plus improbables (le fils de Jim Phelps ? Vraiment ?). Encore que « idées » semble un concept un peu exagéré, tant il recycle des scènes déjà vues, et souvent en mieux.
C’est ainsi qu’on a droit à une longue séquence sous l’eau (comme dans Rogue Nation), à une longue séquence de poursuite aérienne pour récupérer un petit objet (comme dans Fallout), à Tom Cruise courant dans des décors somptueux (comme dans tous les films)… et beaucoup, beaucoup d’autres clins d’œil aux précédents films de la saga, auxquels il est constamment fait référence.
Ça donne des idées discutables (le fils de Jim Phelps?), mais aussi d’autres plus sympas, comme le fait de faire d’Angela Bassett, qui fut patronne de la CIA, la nouvelle présidente des Etats-Unis. Ou, surtout, de faire revenir Donloe (Rolf Saxon), personnage gentiment moqué du premier film, en lui donnant enfin le beau rôle. Une belle manière, pour le coup, de boucler la boucle.
Pour le reste, McQuarrie fait le choix à peu près contraire de celui qui était au cœur de Rogue Nation, où il s’autorisait de réjouissantes facilités pour passer d’une scène d’anthologie à l’autre. Ici, le scénario indigeste est lourdement appuyé, plein de dialogues répétitifs qui ne sont faits que pour raccrocher le spectateur qui s’en fout à une histoire qui prend toute la place.
Une histoire (la fin du monde à portée de compte à rebours) qui prend le pas sur la meilleure idée du précédent film : l’intelligence artificielle comme grand méchant. De cette idée excitante et très dans l’air du temps, McQuarrie ne fait rien, rien d’autre qu’un constat final apocalyptique. Ce « méchant », pourtant, était l’occasion idéale de renouer avec ce qui a toujours fait la grandeur de la série : le masque, le double et le doute.
Mais soyons juste : il y a dans ce Final Reckoning parmi les plus grandes scènes d’action de ces deux dernières années, même s’il n’y a vraiment « que » deux morceaux de bravoure monumentaux (Ethan sous l’eau, Ethan dans le ciel). Tom Cruise accroché à un (non, deux) biplan en plein vol est une vision qui coupe le souffle. Evidemment, doit-on rajouter, tant c’est le minimum, désormais, qu’on attend de la série. Mais Cruise, 62 ans au compteur et un corps impressionnant, affiche aussi une (certaine) vulnérabilité plutôt bienvenue.
Même si elle trouve très vite ses limites. Curieusement, il y a toujours eu une sorte de vraisemblance dans les cascades les plus invraisemblables auxquelles il se livrait jusque là. Cette fois, et pour la première fois, il donne le sentiment d’aller trop loin. Comme s’il volait par moments, dans cette impressionnante séquence aérienne. Et comme si la pression immense des profondeurs de l’océan n’avait pas d’effet sur son corps, ou si peu.
Et puis, si impressionnantes soient-elles pour certaines, les scènes sont à peu près toutes trop longues. Y compris les scènes d’action, qui semblent ne jamais devoir se terminer. Curieux choix, comme si le cahier des charges faisait de la durée extravagante du film un impératif. Sans pour autant refermer les portes ouvertes avec le précédent film (que fait-on du traumatisme original d’Ethan, qui passe totalement aux oubliettes?), mais en remplaçant un personnage aussi passionnant qu’Ilse Faust (Rebecca Ferguson) par des seconds rôles nettement plus insipides (les réparties lourdingues en français de Paris-Pom Klementieff…).
Mais le plus dur à avaler dans ce huitième film, c’est l’insupportable sérieux et la gravité plombante de l’histoire. A côté de Final Reckoning, Fallout, déjà avare en humour, fait franchement figure de comédie burlesque. Ici, tout le monde se prépare à l’extermination de l’humanité, avec une noirceur qui sied mal à un film aussi spectaculaire. On a le droit de faire sérieusement un film sans se prendre à ce point au sérieux, non ?
Bien sûr, il y a de très grands moments. Et bien sûr, Final Reckoning sera sans doute le plus grand film d’action de l’année. Mais il marque surtout la limite d’une logique dans laquelle s’enferme Cruise depuis une douzaine d’années. Il est sans doute temps qu’il tourne la page de Mission : Impossible, et celle de McQuarrie pour retrouver enfin de grands réalisateurs. Bonne nouvelle, il vient de finir le tournage du prochain Inarritu, premier grand nom à son palmarès depuis… quinze ans.
Sans doute serai-je moins dur en revoyant le film dans quelques mois. Ou pas. Revoir les sept premiers films avant de découvrir Final Reckoning en salles m’a en tout cas conforté dans l’idée que la série a eu de très très grands sommets. Mon top, pour terminer…
En 1, le tout premier film, pour l’élégance et la précision de la mise en scène de De Palma, qui fait de cette grosse production une œuvre très personnelle sur le double et les faux-semblants. En 2, la stylisation si romantique de John Woo qui fait de Tom Cruise une incarnation idéale de sa vision du cinéma. En 3, Ghost Protocole, sorte d’idéal du cinéma d’action par un Brad Bird qui faisait ses premiers pas dans le cinéma live. Et puis Rogue Nation pour la scène de l’opéra, MI3 pour la course à Shanghai, Fallout pour son côté vintage… Que du bon, ou presque.