Play it again, Sam

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La Taverne de l’Irlandais (Donovan’s Reef) – de John Ford – 1963

Classé dans : 1960-1969,FORD John,WAYNE John — 15 août, 2010 @ 10:47

La Taverne de l'Irlandais (Donovan's Reef) - de John Ford - 1963 dans 1960-1969 la-taverne-de-lirlandais

C’est une comédie gentiment désuète que Ford nous offre là. Visiblement décidé à ne rien prendre au sérieux dans ce film, le réalisateur tente de retrouver la légèreté et le charme de L’Homme tranquille. On n’ira pas jusqu’à dire qu’il y parvient totalement, mais après un premier quart d’heure un peu poussif, on finit par plonger avec une certaine délectation dans cet univers typiquement fordien, où les hommes aiment boire et se battre, même s’ils ne savent plus pourquoi ils s’opposent. Les bagarres constantes entre John Wayne et Lee Marvin (qui se retrouvent un an après L’Homme qui tua Liberty Valance) forment une sorte de fil conducteur assez réjouissant au film.

Ford, d’ailleurs, s’est intéressé bien d’avantage aux rapports entre les personnages qu’à l’histoire, à laquelle on ne croit pas une seconde : une jeune femme de Boston arrive sur une île paradisiaque pour tenter de prouver que son père, qui vit là et qu’elle n’a jamais vu, ne mène pas une vie « conforme aux bonnes mœurs de Boston ». Bien sûr, il lui suffira de rencontrer ses demi-frères et demi-sœurs, et surtout John Wayne, ancien soldat installé sur l’île depuis la fin de la guerre, pour tomber sous le charme des lieux et de ce mode de vie si différent du sien. Dès les premières minutes, on devine que la jeune femme (interprétée par Elizabeth Allen, charmante mais loin, très loin de la flamboyante Maureen O’Hara) succombera au charme de Wayne (qui reconnaissait lui-même qu’il était trop vieux pour le rôle, mais sa présence était indispensable pour convaincre les décideurs de produire le film).

On n’y croit pas vraiment, mais cela n’a pas d’importance. Ce joli film à l’ancienne permet à Ford de clamer qu’il est toujours le même, et qu’il a toujours cette âme d’Irlandais qui aime les amitiés viriles, les bagarres de saloon, et les hommes qui savent imposer leur force aux femmes. La fin du film est d’ailleurs curieusement proche de celle de L’Homme tranquille, et serait inimaginable aujourd’hui. Fatigué de la répartie et de l’aplomb d’Elizabeth Allen, John Wayne l’empoigne, la fesse vigoureusement, puis l’embrasse avec fougue. Tout Ford et tout Wayne, quoi…

John Ford a toujours aimé revisité ses propres films : Le Fils du Désert citait Trois Sublimes canailles ; Les deux Cavaliers était une relecture de La Prisonnière du Désert ; What Price Glory ? était le remake d’un muet de Walsh auquel il avait participé… Avec La Taverne de l’Irlandais, il reprend de nombreux éléments de Hurricane, un film un peu oublié qu’il a tourné en 1937 : mêmes décors, mêmes personnages, même déchaînement des éléments… Vingt-six ans plus tard, on retrouve même Dorothy Lamour, qui jouait l’héroïne de Hurricane, et qui interprète ici le rôle secondaire mais haut en couleurs de Miss Lafleur. Autre « guest » présent dans les deux films : l’Araner, le voilier adoré de Ford. Les deux films ont bien des points communs, mais sont aussi très différents : La Taverne de l’Irlandais est une pure comédie, qui présente une vision idyllique de l’île.

Visiblement, Ford avait envie de renouer avec un cinéma plus léger, et de retrouver l’atmosphère détendue de ses tournages passés. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé : tous les participants ont raconté à quel point le tournage a été heureux. C’est en tout cas une parenthèse colorée entre deux films majeurs (et sombres) : L’Homme qui tua Liberty Valance et Les Cheyennes. C’est aussi un ultime sursaut d’insouciance et de jeunesse pour un cinéaste vieillissant, qui ne tournera plus que deux films, et qui fait ici ses adieux cinématographiques à John Wayne, son complice depuis près de quarante ans.

Indiana Jones et le Royaume du Crâne de Cristal (Indiana Jones and the Kingdom of the Crystal Skull) – de Steven Spielberg – 2008

Classé dans : 2000-2009,FORD Harrison,SPIELBERG Steven — 14 août, 2010 @ 3:42

Indiana Jones et le royaume du crâne de cristal

Dire qu’on attendait ce film avec impatience serait un euphémisme absolu. Depuis quinze ans, Harrison Ford, George Lucas et Steven Spielberg nous annonçaient que le scénario était prêt, que le tournage était imminent… Et puis rien… Alors forcément, quand on l’a annoncé une dernière fois, on attendait de voir pour y croire. Et puis on a vu. On a vu des images de tournage, forcément excitantes. On a vu une première image d’Harrison Ford en Indiana Jones, et là on s’est dit que, vingt ans après, il avait encore la classe, papy… Et puis on a appris que Karen Allen revenait dans le rôle de Marion, et là on s’est dit que waouh… Et puis on a vu la bande annonce, avec cet immense hangar qui nous replongeait d’un coup dans l’atmosphère des Aventuriers de l’Arche Perdue. Alors forcément, on avait hâte, et on avait conscience. Restait une épreuve, forcément risquée : voir le film.

Et on l’a vu. Trois fois déjà, pour être sûr de l’apprécier à sa juste valeur. Et alors ? Alors il y a deux films dans Indiana Jones et le Royaume du Crâne de Cristal : il y a la première demi-heure, et il y a le reste. Le reste, d’abord, est franchement décevant. Spielberg n’y est pour rien, d’ailleurs : très inventif sur le plan visuel (Spielberg n’est jamais aussi inspiré que quand il s’attaque au vrai cinéma populaire), il donne un rythme fou à un film qui, forcément, rempli son cahier des charges formidablement bien. Quelques séquences sont un peu molles du genou (le passage obligé du serpent, par exemple, ne restera pas dans les mémoires), mais c’est du vrai bon divertissement, avec des scènes d’action extraordinaires. Le principal problème, alors ? Il a un nom : George Lucas. Le producteur, qui n’a plus rien du génial artisan qu’il était au moment des Aventuriers de l’Arche perdue, a déjà plombé en partie son « autre » saga, Star Wars, avec une débauche d’effets numériques… Il n’est pas loin de recommencer avec Indiana Jones, ce qui est évidemment une erreur grossière, et en opposition avec l’esprit-même de cette série, qui rend hommage aux serials « bricolés » des années 30 et 40. Trop de numérique dans Indiana Jones, c’est aussi con qu’un exposé géopolitique dans James Bond. Et le problème, c’est que ça se voit très nettement dans quelques scènes d’action qui, du coup, ne dégagent pas cette impression de fraîcheur et de folie qui caractérisait les trois premiers volets.

Au rayon des (petites) déceptions, notons aussi le personnage incarné par Shia LaBeouf (qui n’y est pour rien d’ailleurs), dont l’alchimie avec Indy/Harrison Ford est loin d’être aussi enthousiasmante que celle entre Indy et son père (génial Sean Connery) dans La Dernière Croisade. Mais là, franchement, on chipote.

Je chipote d’autant plus que, avant cette heure et demie plutôt très sympathique, il y a la première demi-heure, qui est à classer dans le panthéon du cinéma spielbergien. Dès la première image (là aussi, un passage obligé : comme dans tous les volets de la franchise, le logo Paramount se fond dans un élément du décor ; ici : le monticule d’une taupe), Spielberg nous replonge dans une époque où il donnait ses lettres de noblesse au « pop corn movie ». A grands renforts de panoramiques magnifiques, de plongées-contre plongées étonnantes, avec une inventivité de chaque plan et un rythme ébouriffant, il nous ressuscite Indiana Jones, comme si les années n’avaient pas eu d’impact sur Harrison Ford, qui redevient celui qu’il était dans les années 80 dès qu’il enfile son fameux chapeau (dans un plan à montrer dans toutes les écoles de cinéma).

Face à lui, plus de Nazis, bien sûr : les années ont quand même passé, et on est désormais dans les années 50, en pleine guerre froide. Les méchants sont donc les Russes, et en particulier une femme officier droite dans ses bottes, incarnée avec un réjouissant second degré par Cate Blanchett, que l’on découvre dès cette première séquence. Mais que ce soit les Nazis ou les Russes, rien n’arrête Indy, qui finit par fausser compagnie à ses ennemis dans une poursuite en trois dimensions. Pas la 3D à la mode, avec des-lunettes-et-une-technique-géniale-qui-fait-qu’on-peut-oublier-d’avoir-un-scénario-on-s’en-fout-puisque-les-gens-viendront-quand-même-pour-voir-les-images-sortir-de-l’écran, mais une séquence au cours de laquelle Indy se déplace avec une aisance incroyable dans tous les sens : vers la gauche, la droite, le haut, le bas. Indy vole littéralement grâce à son fouet ; il chute de quinze mètres à travers une verrière ; court à dix mètres au-dessus du sol ; se balance en avant avant d’être propulsé en arrière ; il slalome, grimpe, saute… avant d’être éjecté à trois cents kilomètres-heure. Fin de la première séquence ? Pas tout à fait : il lui reste à être soufflé par une explosion nucléaire, et à admirer le champignon radioactif qui s’élève, dans un plan à couper le souffle.

Et là, c’est un autre film qui commence. Sympa et bien foutu certes, mais loin, très loin du vertige de cette première demi-heure d’anthologie.

* Voir aussi : Les Aventuriers de l’Arche perdueIndiana Jones et le Temple maudit, Indiana Jones et la Dernière Croisade et Indiana Jones et le cadran de la destinée.

Impitoyable (Unforgiven) – de Clint Eastwood – 1992

Classé dans : 1990-1999,EASTWOOD Clint (acteur),EASTWOOD Clint (réal.),WESTERNS — 14 août, 2010 @ 2:03

Impitoyable (Unforgiven) - de Clint Eastwood - 1992 dans 1990-1999 impitoyable

En cette bonne année 1992, cela faisait chaud au cœur de voir enfin les Oscars récompenser un grand film. Ce n’est pas si courant, l’Académie ayant recours au mauvais goût plus souvent qu’à son tour (pas besoin de chercher loin : cette même année, la statuette du meilleur acteur a échappé à Clint au profit d’Al Pacino pour Le Temps d’un week-end, qui n’est ni son meilleur film, ni sa meilleure prestation… mais il joue un aveugle, ce qui est le genre de trucs qui plaît bien aux votants). Bref, un grand film, signé par un cinéaste majeur enfin reconnu comme tel par son propre pays (Josey Wales, Honkytonk Man, Bronco Billy, Breezy, Chasseur blanc, cœur noir, Bird, les signes ne manquaient pas, pourtant, pour indiquer qu’Eastwood était un grand réalisateur dès les années 70)…

Mais oublions les Oscars, et replongeons-nous dans ce western crépusculaire dont on nous a dit et redit qu’il mettait un point final à la longue tradition du western. A vrai dire, le succès du film a surtout donné des idées à de nombreux cinéastes, et le genre, certes moribond depuis plusieurs décennies, a connu un nouveau souffle parfois enthousiasmant tout au long des années 90. Ce qui est vrai, c’est que Impitoyable est totalement dépouillé des ornements et du romantisme qui marquent le western depuis le temps du muet. Plus encore que John Ford avec L’Homme qui tua Liberty Valance, Eastwood démonte les mythes de l’Ouest sauvage un à un, avec une sorte de force tranquille impressionnante, et sans jamais forcer le trait.

Les images sont superbes, sans doute les plus belles qu’on ait pu voir dans le cinéma d’Eastwood. Mais elles sont aussi crues et froides, les gros plans mettant cruellement en valeur les rides des acteurs (à commencer par celles de Clint lui-même, dont le visage à lui seul porte toute la violence et la dureté de son passé). La manière dont le personnage de William Munny apparaît, père de famille vieillissant humilié par ses cochons, et incapable de monter à cheval ou d’utiliser son revolver, donne le ton : Eastwood ne se donne pas le beau rôle, pas plus qu’il ne va magnifier les autres personnages ou les situations. Quand Munny est au milieu des cochons, la boue n’a rien de glamour ; quand il tombe de cheval, c’est durement qu’il touche le sol. Plus tard, malade après avoir passé une nuit sous la pluie, c’est sans gloire et sans fierté qu’il rampera jusqu’à la sortie du saloon où Little Bill Daggett (Gene Hackman) se sera consciencieusement évertué à l’humilier.

Daggett est sans doute celui qui s’en sort mieux, dans le lot, même si sa fin n’a rien de glorieuse, et qu’il prend un plaisir visible à se défouler sur des hommes désarmés. Il est toutefois bien mieux traité que English Bob (Richard Harris), légendaire tueur d’Indien flanqué de son biographe officiel, et qui, après être apparu comme un pur héros de l’Ouest, est vite ramené (physiquement) au niveau du sol : battu et humilié, c’est piteusement qu’il quittera la ville. Le personnage de l’écrivain est particulièrement intéressant, car il symbolise mieux que quiconque le mythe de l’Ouest qui s’effondre, alors qu’il découvre que tout ce qu’il a écrit sur Bob est bien loin de la vérité, qui s’avère… moins héroïque. Dans l’Ouest sauvage, les duels à la John Wayne étaient visiblement plus rares que les exécutions dans le dos. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’Eastwood tient ce langage dans ses westerns, mais jamais il ne l’avait fait avec une telle force, et avec autant de dépouillement.

Dans Impitoyable, la violence n’a rien d’esthétique, et la mort ne vient pas facilement. Cette fois, c’est le Kid de Schofield (Jaimz Woolvett) qui en fera les frais. Lui qui s’inventait un passé de tueur sans pitié se rendra compte que tuer n’est ni facile à faire, ni encore moins facile à encaisser. Qu’il faut du temps pour se vider de son sang, et que ceux qu’on est amené à tuer ne sont pas des monstres sans visage humain. L’un au moins des deux cow-boys que Munny et ses comparses doivent exécuter n’est qu’un gamin qui s’est trouvé au mauvais endroit au mauvais moment. Sa mort derrière les rochers est une longue séquence particulièrement traumatisante.

Rien d’héroïque, donc, dans ce film constamment juste. Sans la froide exécution de son ami Ned (Morgan Freeman), Munny ne serait sans doute jamais revenu tuer Daggett. Ce n’est que par soif de vengeance (à moins qu’il ne s’agisse tout simplement d’une froide colère), et pas porté par un sens de l’honneur qui lui serait personnel, que Munny réapparaît alors, comme revenant des enfers, et qu’il redevient le tueur sans pitié qu’il était dans sa jeunesse. Et sa vengeance est une explosion de violence et de rage qui fait froid dans le dos.

Son ami et biographe Richard Schiekel raconte qu’Eastwood gardait le scénario d’Impitoyable depuis une dizaine d’années, pas seulement parce qu’il attendait d’avoir le bon âge pour le rôle (il a acheté les droits du script écrit par David Webb Peoples, scénariste de Blade Runner, au début des années 80, alors que l’option de Francis Ford Coppola avait posée venait d’expirer), mais aussi parce qu’il savait que le film lui assurerait succès et reconnaissance, si sa carrière venait à tourner en rond. Et au début des années 90, c’est exactement ce qui arrive. Bird et Chasseur blanc, cœur noir, ont été des échecs populaires « logiques », mais les films d’action qu’il a tourné à la même époque n’ont pas non plus rencontré leur public. Pink Cadillac, et c’est un cas unique dans sa filmographie, n’est même pas sorti dans les salles françaises. Quant à La Relève, qu’il tourne juste avant Impitoyable, c’est sans doute son plus mauvais film derrière la caméra.

Considéré comme fini par beaucoup, Eastwood connaît une véritable résurrection grâce à Impitoyable, qui marque le début de la partie la plus passionnante de sa carrière. Désormais, il sera totalement libre de faire ce qu’il veut, et les deux décennies qui suivent seront magnifiques.

• La Warner a édité un DVD collector très recommandable, dans lequel on retrouve un portrait de Clint filmé par Richard Schiekel, un très beau making of, et surtout un épisode de la série télévisée Maverick, datant de 1959, et dans lequel Clint Eastwood (qui s’apprêtait à commencer le tournage d’une autre série de western, Rawhide, dont il tiendra la vedette pendant sept ans) joue le méchant de service. Cet épisode marque sa première collaboration avec James Garner, la star du show, qu’il retrouvera quarante-et-un ans plus tard pour Space Cow-Boys.

Cœurs en lutte / Quatre hommes pour une femme (Kämpfende Herzen / Die Vier um die Frau) – de Fritz Lang – 1921

Classé dans : 1920-1929,FILMS MUETS,LANG Fritz — 14 août, 2010 @ 9:35

Cœurs en lutte / Quatre hommes pour une femme (Kämpfende Herzen / Die Vier um die Frau) - de Fritz Lang - 1921 dans 1920-1929 curs-en-lutte

C’est une nouvelle fois à Patrick Brion et à son indispensable Cinéma de Minuit que l’on doit la toute première diffusion télévisée de ce film qui a longtemps été réputé perdu, et dont une copie a été retrouvée par hasard au Brésil. Les intertitres originaux, en allemands, n’existent d’ailleurs plus : ils ont été reconstitués à partir des intertitres en portugais, tandis que la pellicule a été (très joliment) restaurée.

Lorsqu’il réalise Die Vier um die Frau (ou quel que soit le titre qui lui sera donné par la suite), Lang n’est pas encore considéré comme un cinéaste majeure, même s’il a déjà à son actif Les Araignées, qui avait connu un très gros succès. Il enchaînera avec Les Trois Lumières et Dr. Mabuse, qui assoiront définitivement sa réputation. Mais ce film, son septième, révèle déjà un immense talent pour le cadrage et la mise en scène (il est passionnant d’observer le moindre figurant : aucun ne reste sans rien faire à l’écran ; il est évident que Lang prête une grande attention au moindre détail, pour que chacun de ses plans soit dynamique et vivant), et davantage encore pour la narration.

Car Lang a toujours été un grand cinéaste de la narration. Un vrai cinéaste « populaire », qui s’est emparé tout au long de sa carrière des « genres » cinématographiques (le film noir, le film d’aventures, le western, la science fiction, le serial…) en se les appropriant sans jamais niveler par le bas. Car Lang fait confiance en l’intelligence du spectateur, ce qui est particulièrement frappant dans ce Cœurs en lutte. Difficile en effet de comprendre où nous conduit le réalisateur durant la première demi-heure du film, tant il multiplie les pistes et les personnages.

On a donc un notable berlinois, marié à la femme la plus courtisée de la ville, courtier à la bourse, qui s’encanaille la nuit venue en se livrant au trafic de bijoux. Lors d’une réunion clandestine, il rencontre par hasard un homme qu’il reconnaît pour l’avoir vu sur une photo envoyée à sa femme. Il décide de le suivre et de lui tendre un piège, persuadé qu’il est l’amant de sa femme. Mais l’homme en question est le frère jumeau de l’homme de la photo, qui était effectivement l’amant de la jeune femme avant son mariage avec le courtier… Vous suivez ?

Le scénario, complexe et malin (il est écrit par Lang avec son épouse The Von Harbou) joue avec les codes du théâtre de boulevard (il est d’ailleurs tiré d’une pièce à succès), avec le mari jaloux, les quiproquos, la femme finalement fidèle. Dans l’esprit, on est pourtant très loin du marivaudage habituel, et l’ambiance est plutôt au drame. Cette œuvre de jeunesse est en tout cas passionnante et particulièrement vive. Et c’est fascinant de voir un grand cinéaste naître sous nos yeux…

Les Cavaliers (The Horse Soldiers) – de John Ford – 1959

Classé dans : 1950-1959,FORD John,WAYNE John,WESTERNS — 13 août, 2010 @ 6:30

Les Cavaliers (The Horse Soldiers) - de John Ford - 1959 dans 1950-1959 les-cavaliers

Les Cavaliers a été, au moins pendant un temps (celui de mon adolescence), l’un des Ford les plus diffusés à la télévision. Et pourtant, j’ai l’impression que c’est l’un des plus mal compris. Parfois méprisé, souvent traité avec indifférence, ce western tardif, le premier tourné par Ford après La Prisonnière du Désert, souffre sans doute de la comparaison avec ce qui reste l’un des films les plus riches et aboutis du cinéaste. Mais il n’est définitivement pas le film va-t-en-guerre sans imagination qu’on nous présente trop souvent. Et non, John Wayne n’interprète pas comme on l’a un peu trop vite décrété un héros sans faille toujours prêt à faire le coup de feu. A vrai dire, la vérité me semble être totalement opposée avec ces jugements…

Bien sûr, The Horse Soldiers est avant tout un film d’aventures, avec ce qu’il faut de cavalcades, de fusillades, de suspense, de rebondissements et d’humour. Bref, un vrai film grand public qui n’a rien perdu de son efficacité, un demi siècle après sa sortie. Mais le film, qui marque aussi les retrouvailles de Ford avec la cavalerie après sa fameuse trilogie (Le Massacre de Fort Apache, La Charge héroïque et Rio Grande), possède aussi un sous-texte qui apparaît clairement dans de nombreuses séquences : c’est une charge contre l’idiotie et l’aveuglement de nombreux chefs de guerre. A bien des égards, le film apparaît comme une œuvre antimilitariste, ce qui en fait un film atypique de la part d’un cinéaste qui s’est personnellement engagé sur le front, durant la Seconde Guerre Mondiale et la guerre de Corée.

Et le personnage de Wayne lui-même ne cache pas son écœurement face aux sacrifices inutiles dus à des batailles imbéciles imposées par des stratèges planqués loin du front. La grande scène de bataille dans les rues de la ville est particulièrement marquante. John  Wayne est à l’opposée de tout ce qu’on a dit de lui pour ce film, et apparaît comme un spectateur impuissant dans ce qui est pourtant le moment fort du film. Il serait peut-être temps de réévaluer ce film qui n’est sans doute pas un Ford mineur.

Le film possède une gravité assez inattendue dans ce genre de production, et le sentiment étrange qu’il laisse à la fin n’est sans doute pas une volonté pure du cinéaste. C’est sur le tournage des Cavaliers qu’un des cascadeurs a trouvé la mort, plongeant Ford dans la dépression et l’alcool, et le poussant à ne pas tourner la grande bataille qui devait clore le film. Cet incident tragique est à l’origine de cette fin abrupte que l’on connaît, qui en a laissé plus d’un sur sa fin, mais qui me semble convenir parfaitement à ce que dit le film.

N’oublions pas, tout de même, que Les Cavaliers est aussi un vrai film de divertissement, avec un face à face assez musclé entre Wayne et William Holden, et un atout charme qui n’en manque pas : Constance Towers, en sympathisante sudiste, apporte une grande énergie et beaucoup d’humour au film. Mais l’innocence et l’insouciance qu’elle incarne pendant la majeure partie du film ne survivront pas aux horreurs de la guerre. Non, Les Cavaliers n’est pas le petit western sans ambition que l’on croit…

L’Aurore (Sunrise) – de F.W. Murnau – 1927

Classé dans : 1920-1929,FILMS MUETS,MURNAU Friedrich W. — 13 août, 2010 @ 5:48

L'Aurore (Sunrise) - de F.W. Murnau - 1927 dans 1920-1929 laurore

Il avait sans doute raison, François Truffaut, lorsqu’il disait de L’Aurore que c’était le plus beau film du monde… Il aurait aussi pu ajouter que Murnau est le plus grand réalisateur du monde. Si Griffith a inventé le langage cinématographique, Murnau a inventé la poésie cinématographique. En Allemagne, il avait déjà réalisé des monuments : Nosferatu, Tartuffe, Faust et surtout Le Dernier des Hommes. Mais pour ses premiers pas à Hollywood, où on lui a fait un pont d’or pour qu’il vienne travailler, il signe un film au-delà de tous les superlatifs.

L’histoire est assez simple : un homme, tenté par les charmes d’une séductrice, pense à tuer sa fiancée, avant d’avoir des regrets et de vouloir la reconquérir. Mais il y a dans L’Aurore une richesse infinie qui permet de l’aimer toujours plus à chaque nouvelle vision. Impossible, aussi, de classer le film dans une catégorie précise : film noir, histoire d’amour, suspense, comédie, drame… le film aborde tous ces genre, dans des ruptures de ton parfois brutales, qui représentent parfaitement l’état d’esprit du jeune héros, interprété par l’un des acteurs fétiches de John Ford, George O’Brien : le désir, la pulsion de mort, le regret, la tendresse, le bonheur, la culpabilité…

Les premières séquences évoquent ce qui sera appelé une dizaine d’années plus tard « le film noir ». On en retrouve toutes les caractéristiques : la petite ville de province un peu paumée, le jeune héros naïf, fasciné par la vamp venue de la ville et dont l’extrême liberté l’attire, et la douce fiancée prête à mourir pour son amour. Même visuellement, tous les codes du genre sont déjà là : les ombres menaçantes, les paysages de marais baignés dans la brume, le héros manipulé qui marche lourdement vers son destin (O’Brien avait les pieds lestés de plombs pour lui donner cette démarche inoubliable lorsqu’il pense tuer l’innocente Janet Gaynor)… Toute cette première séquence, oppressante et visuellement époustouflante, cite avant l’heure les grands films noirs qui seront tournés quinze ans plus tard, de La Griffe du Passé à Pêché mortel en passant même par La Nuit du Chasseur. Murnau serait-il le vrai inventeur du film noir ?

Mais si le cinéaste pose les bases d’un pur thriller, c’est pour mieux s’en détacher. Et il le fait par une longue séquence d’une beauté à couper le souffle, un long mouvement ininterrompu qui part du cœur des marais pour se terminer au cœur de la ville, une course en avant désespérée et silencieuse (et pas seulement parce qu’on est dans un film muet) au cours de laquelle l’homme, pétri de remord et d’amour cherchera avec l’ardeur du désespoir à trouver le regard de la femme dont il se rend enfin compte qu’elle vaut mieux que toutes les séductrices trop fardées de la ville. Dans cette course, la civilisation qu’ils vont devoir affronter pour se retrouver apparaît comme par miracle, par le biais d’un tramway qui serpente dans les bois, apparition surréaliste qui conduit les deux jeunes gens dans l’effervescence de la ville, décor oppressant et plein de dangers, qui finira par rapprocher le couple qui se retrouvera dans une étreinte  magnifique qui les coupera de leur environnement (sensation renforcée par une technique de surimpression restée célèbre). Seuls au monde, les deux amoureux font enfin la paix sur les bancs d’une église…

Car le film est, comme ça, moraliste et bourré de bons sentiments. Les femmes fardées de la ville représentent le pêché, alors que la simplicité de la vie à la campagne est érigée en modèle. Naïf, peut-être, mais beau à pleurer.

Et encore, on n’en est alors qu’à la moitié de l’histoire. Là où les autres cinéastes auraient trouvé une conclusion parfaite à un film déjà riche en rebondissements, Murnau rebondit encore. Ce qui l’intéresse, toujours, c’est de montrer à l’image ce qui se passe dans la tête de ses deux héros. Heureux ils sont, heureux le spectateur doit être : les séquences qui suivent sont un grand tourbillon festif. Et ce n’est pas tout encore, car pêché il y a eu, et châtiment il doit y avoir…

Trop pour un seul film ? Non, car l’inspiration de Murnau n’est jamais prise en défaut. Constamment inventif, il ne tombe jamais dans la surenchère gratuite. Chacun de ses plans est sublime, mais le moindre détail a un sens. En 1927, alors que le muet vivait ses dernières heures, Murnau signait le film ultime, une œuvre qui résume à elle seule tout ce que le cinéma a de plus beau.

• Une édition collector indispensable a été éditée chez Carlotta, dont on ne dira jamais assez de bien.  Cette très belle édition contient notamment un documentaire qui recrée, grâce au scénario et à de nombreuses photo, croquis et documents de tournage, Four Devils, le film que Murnau a tourné après L’Aurore et qui est réputé perdu. Le film est l’un des plus grands fantasmes des cinéphiles, qui rêvent de le voir réapparaître un jour…

She’s so lovely (id.) – de Nick Cassavetes – 1997

Classé dans : 1990-1999,CASSAVETES Nick — 13 août, 2010 @ 3:51

She's so lovely (id.) - de Nick Cassavetes - 1997 dans 1990-1999 shes-so-lovely

Sean Penn qui déclare son amour à Robin Wright sous la pluie battante : cette scène reste pour moi l’une des plus sublimes tournées dans les années 90. Il y a dans She’s so lovely une simplicité, une honnêté, voire une naïveté qui m’ont toujours bouleversé.

Eddie est un type un peu paumé, bouffé par l’alcool des accès de violences qu’il ne contrôle pas, mais qui vit une histoire d’amour passionnée avec Maureen, qui attend un bébé. Un soir, Maureen s’ennuie alors qu’Eddie enchaîne les verres dans les bars. Elle accepte l’invitation d’un voisin (James Gandolfini, avant sa période Soprano), qui tente de la violer. Lorsqu’il l’apprend, Eddie pête les plombs… Il passera les dix années suivantes dans un centre de détention. Lorsqu’il en sort, Maureen est devenue l’épouse rangée de Joy (John Travolta), et vit dans une grande maison bourgeoise.

Le film est clairement divisé en deux parties : avant et après. D’une époque à l’autre, tout a l’air d’avoir changé : les rêves de jeunesse se sont envolés, la vie dissolue et les galères d’hier se sont transformés en souvenirs chargés de nostalgie… Et puis finalement, on se rend compte que rien n’a changé. Le désespoir des deux amants était déjà présent AVANT. Il l’est toujours APRÈS. Simplement, il se dissimule d’une autre manière. Finis les drogues, l’alcool et les excès, la maturié impose de la retenue, des sacrifices, et un certain contrôle de soi… C’est en tout cas ce que semble incarner John Travolta, dans un rôle aussi court que marquant. Maureen et Eddie essayent de se plier, de rentrer dans le moule, mais à quoi bon… Ils ne sont pas faits pour notre société. Ce ne sont pas des rebelles, non, leur monde est simplement ailleurs, et ils sont seuls à y vivre. Pas « contre » la société, mais en marge.

L’amour que ces deux-là se porte est d’une pureté absolue, et c’est magnifique.

John  Cassavetes, qui a écrit le scénario, devait le porter à l’écran, déjà avec Sean Penn, dans les années 80. Après sa mort, le comédien a également pensé à le réaliser lui-même. Finalement, c’est le fils de Cassavetes qui s’y colle, offrant à Penn l’un de ses plus beaux rôles, qui lui valut d’ailleurs le Prix d’interprétation au festival de Cannes.

Le Faucon maltais (The Maltese Falcon) – de John Huston – 1941

Classé dans : * Films noirs (1935-1959),1940-1949,BOGART Humphrey,BOND Ward,HUSTON John — 13 août, 2010 @ 2:02

Le Faucon maltais (The Maltese Falcon) - de John Huston - 1941 dans * Films noirs (1935-1959) le-faucon-maltais

Bien sûr, c’est un classique absolu, la meilleure adaptation du roman de Dashiel Hammett, le film qui a fait de Bogart un mythe vivant… Mais une fois qu’on a dit tout ça, on est loin d’avoir rendu l’hommage qui lui convient à ce chef d’œuvre qui reste, soixante-dix ans après sa sortie, la meilleure transposition à l’écran du fameux style « hard boiled » des romans de Hammett.

L’histoire est complexe, et n’a finalement que peu d’intérêt. Le détective Sam Spade reçoit la visite d’une jeune femme qui l’engage pour une enquête de routine. Archer, l’associé de Spade, s’en charge, mais il est assassiné. Le détective comprend vite que la jeune femme au nom imprononçable (Brigid O’Shaughnessy) cache bien des secrets. Elle et d’autres individus peu recommandables sont en fait sur la trace d’une mystérieuse statue de faucon qui représente une fortune immense…

Dès son premier film derrière la caméra (il était jusqu’alors un scénariste réputé), John Huston signe une œuvre visuellement exceptionnelle, où les ombres et les hors-champs sont merveilleusement utilisés. Mais en grand amoureux de littérature qu’il est, il s’attache surtout à respecter l’esprit du roman original (ce que n’avaient pas fait les précédentes adaptations), ce qui signifie une violence de ton inouïe. Il faut voir le sourire sadique de Bogie alors que, le poing fermé, il s’apprête à frapper Joel Cairo, génialement interprété par Peter Lorre. La caméra de Huston suit avec attention ce long mouvement qui n’en finit pas, Spade/Bogie semblant savourer avec délectation la terreur qu’il inspire à Cairo/Lorre. Le coup de poing qui suit apparaît presque comme une délivrance pour ce dernier.

Dans ce film, pas de place pour les sentiments. Cairo, justement, qui apparaît comme le plus émotif de tous les personnages, n’inspire que du mépris à tous ceux qui le côtoient. Brigid (Mary Astor, vedette depuis la fin du muet) et l’énorme Gutman (indispensable Sydney Greenstreet, qui commençait ici une longue collaboration avec Peter Lorre) sont eux prêts à tout pour arriver à leurs fins. Quant à Spade, il est sans doute l’un des personnages les plus complexes de l’histoire du film noir. Il utilise les femmes et n’hésite pas à les « jeter » lorsqu’elles deviennent trop pressantes (la manière dont il traite la veuve d’Archer, avec qui il avait une aventure, est d’une cruauté extrême). Mais d’un autre côté, il se révèle inflexible devant l’idée qu’il se fait de la justice. Les rapports qu’il entretient avec la police (l’un d’eux est interprété par Ward Bond, acteur fétiche de Ford et second rôle incontournable de l’époque) sont à la fois basés sur un grand respect… et sur une virilité à toute épreuve !

Et puis, surtout, il y a le cynisme hallucinant avec lequel il fait abstraction, sans la moindre hésitation, de ses sentiments personnels lorsqu’il s’agit de châtier la coupable. Il l’aime, mais elle mérite la prison. Et le regard paniqué de Mary Astor — l’unique mouvement de sincérité de son personnage — ne changera rien. Dur, cruel, inflexible, Spade lâche alors une tirade qui met le spectateur KO, quelque part entre une déclaration d’amour et une exécution froide : « I’ll be waiting for you. If they hang you, I’ll always remember you ».

Avec Huston, qu’il retrouvera pour quelques-uns de ses plus grands rôles, Bogie a trouvé celui qui, après des années de panouilles et de films oubliables, a su tirer le meilleur de lui. Avec Le Faucon Maltais, avec ses plans extraordinaires en contre plongée qui transforment Spade en icône, avec ses dialogues fabuleux (écrits par Huston), Bogart devient un mythe en l’espace de deux heures. Tant pis pour George Raft, à qui le rôle était destiné, mais qui a refusé de tourner avec un réalisateur débutant (il a aussi refusé High Sierra, et refusera également Casablanca… ce qui explique peut-être le relatif anonymat dans lequel l’histoire a plongé Raft, alors que Bogart restera à jamais l’un des grands mythes du 7ème art). Le Faucon Maltais, c’est « the stuff the dreams are made of »

 

• Les éditions Warner ont sorti il y a quelques années une magnifique édition collector en deux DVD, qui propose notamment une séance typique des années 40, avec courts métrages, dessins animés, bandes annonces et actualités. Indispensable pour les nostalgiques de l’âge d’or d’Hollywood.

La Cible humaine (The Great Flamarion) – de Anthony Mann – 1945

Classé dans : * Films noirs (1935-1959),1940-1949,MANN Anthony — 13 août, 2010 @ 1:14

La Cible humaine (The Great Flamarion) - de Anthony Mann - 1945 dans * Films noirs (1935-1959) la-cible-humaine

Voilà typiquement le genre de films que le DVD a permis de redécouvrir. Pas un chef d’œuvre, certes : Anthony Mann, qui était alors un tout jeune réalisateur, avec seulement quelques petites productions aujourd’hui oubliées, fera bien mieux dans la série noire au cours de la seconde moitié de la décennie, avec quelques bijoux secs et nerveux qui feront de lui l’un des rois du polar, avant d’être celui du western dans les années 50.

Sur le fond, The Great Flamarion est tout à fait classique. Un homme revenu des femmes après une histoire d’amour que l’on devine douloureuse (on ne saura rien de son passé), se laisse séduire par une jeune femme au visage d’ange, qui le poussera au meurtre avant de l’abandonner. Bref, un point de départ que l’on retrouve dans beaucoup de films noirs de l’époque, y compris dans La Rue Rouge, le chef d’œuvre que Fritz Lang tourne la même année avec Edward G. Robinson, Joan Bennett et Dan Duryea. Ce dernier est également à l’affiche du film de Mann, et comme c’est souvent le cas, il interprète le compagnon de la vamp. Mais une fois n’est pas coutume, cet habitué des rôles de salauds joue un type certes imbibé d’alcool, mais attachant. Ce qui ne l’empêchera pas de connaître un sort aussi funeste que dans la plupart de ses films…

Duryea est excellent dans ce rôle en demi-teinte. Mais c’est bien sûr Erich Von Stroheim qui retient toute l’attention. Le cinéaste maudit, qui était alors devenu un second rôle très recherché aux Etats-Unis comme en France, apparaît dans la première partie du film dans son éternel personnage d’ancien officier de l’armée raide comme la justice et aussi avenant qu’un bouquet de barbelés. Mais peu à peu, son armure craque, et finit par disparaître totalement, révélant un personnage fragile et fleur bleue (si, si). Jamais, sans doute, Von Stroheim ne s’est autant dévoilé que dans ce film… Sa composition, en tout cas, est en tout point parfaite, ce qui n’est pas vraiment le cas de Mary Beth Hughes, qui n’a pas, loin s’en faut, la séduction perverse d’une Joan Bennet.

Qu’importe d’ailleurs. Les personnages sont moins importants que l’atmosphère que Mann parvient à créer dans les coulisses de ces music halls où se situe l’action du film : Von Stroheim, alias « le grand Flamarion », est un tireur d’élite, artiste vedette d’un spectacle à succès. Le plus intéressant et le plus réussi, dans ce film, c’est justement la manière dont le réalisateur filme les coulisses. La séquence d’ouverture est en cela un grand moment de cinéma : alors qu’un coup de feu éclate derrière la scène, et que la panique gagne l’ensemble du théâtre, on voit une ombre se glisser subrepticement à travers les couloirs, pour se réfugier au milieu des éléments de décors qui surplombent la scène, et d’où il observe l’arrivée de la police et les réactions de la foule et des artistes. C’est Von Stroheim, bien sûr, totalement muet jusqu’à présent. Et la manière dont il est filmé, ombre planant sur la scène, est déjà la marque d’un très grand cinéaste.

Invictus (id.) – de Clint Eastwood – 2009

Classé dans : 2000-2009,EASTWOOD Clint (réal.) — 13 août, 2010 @ 10:05

Invictus (id.) - de Clint Eastwood - 2009 dans 2000-2009 invictus

Comment Clint Eastwood a-t-il pu réussir ce film ? Il y a dans le scénario d’Invictus une telle envie de démontrer, une telle volonté d’édifier Mandela en figure presque christique, que le film aurait dû sombrer dans le panégyrique. Mais non. Eastwood n’a à ce point plus rien à prouver, à ce stade de sa carrière, qu’il se moque éperdument des figures imposées. Aux grandes scènes « historiques », aux grands discours, Eastwood préfère les moments en apparence plus anodins, sans grande importance dans le déroulement de l’histoire. C’est ce qui fait le sel de la plupart de ses films (c’est particulièrement frappant dans Jugé Coupable), et c’est bien le cas ici. Les plus belles séquences sont celles que d’autres auraient évacué en quelques secondes, à commencer par l’entraînement dans les bidonvilles, une longue séquence muette et baignée par le soleil, simplement magnifique. On sent que c’est ce genre de scènes, cette confrontation entre les noirs très pauvres et les blancs très privilégiés qui a inspiré Eastwood.

Pour autant, Clint ne filme pas les séquences de rugby par-dessus la jambe (comme il avait littéralement expédié celles de boxe dans Million Dollar Baby). Filmées à hauteur d’homme, ces scènes sont même particulièrement belles et réalistes. Pour peu, on sentirait la sueur. D’ailleurs, Invictus peut être considéré comme le premier vrai « film de sport » d’Eastwood, qui n’avait jamais témoigné d’un amour extrême pour ce sous-genre cinématographique. A une différence prêt : généralement, le sport permet à un personnage de se dépasser et de renaître meilleur. Ici, c’est tout un pays qui surmonte la honte et la haine grâce au rugby. La démonstration pourrait être édifiante, elle est constamment juste, grâce à l’infinie délicatesse du cinéaste Eastwood, qui se sort avec brio des scènes les plus imbuvables sur le papier : la complicité naissante entre un policier blanc visiblement peu tolérant et un petit garçon noir en marge de la finale ; le respect qui finit par s’installer entre les garde du corps de Mandela et ceux de De Klerk…

Beau et délicat, Invictus est à peine gâché par quelques écarts assez incompréhensibles d’Eastwood, tenté à deux reprises de créer un faux suspens qui n’a pas grand intérêt. Il n’y avait nul besoin de montrer cette camionnette menaçante, et encore moins ce pilote d’avion suspect, pour faire sentir que le pays est encore loin de la réconciliation, et que les tensions existent.

Pas de quoi bouder son plaisir, l’émotion est bien là, et jamais où on l’attend vraiment.

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