Play it again, Sam

tout le cinéma que j’aime

Le Juge Thorne fait sa loi (Stranger on horseback) – de Jacques Tourneur – 1955

Classé dans : 1950-1959,CARRADINE John,TOURNEUR Jacques,WESTERNS — 13 mars, 2025 @ 8:00

Le Juge Thorn fait sa loi

Une durée réduite idéale pour un complément de programme (1h05), un procédé couleurs discutable (l’Ansco Color, ses sautes de tons et ses teintes passées), et une histoire très simple (un juge itinérant qui tient à traduire en justice le fils problématique du potentat local)… Ce western a tout d’un film bis comme on en tournant en série à l’épique. De là à dire que Tourneur fils est dans le creux de la vague…

Eh bien il y a un pas qu’il serait indécent de franchir. Certes, Le Juge Thorne… est une petite production fauchée. Et certes, Tourneur fait avec les moyens qu’il a. Mais le film, sans atteindre les sommets de ses séries B fantastiques ou de ses films noirs, fait partie des westerns les plus intenses de Tourneur, grâce à des tas de petits détails enthousiasmants.

Autour de Joel McCrea (qu’il dirige la même année dans Wichita), acteur toujours parfait, qui est donc parfait en juge itinérant qui débarque dans une contrée de l’Ouest encore dépourvue de loi, gravitent plusieurs personnages qui, tous, flirtent avec les stéréotypes, en y ajoutant une bonne dose de nuances. Ce qui change tout, et ce qui donne quelques très beaux moments.

On peut aussi citer les regards goguenards du shérif (Emile Meyer), aux ordres mais ravi de voir le juge bousculer le soi-disant ordre établi. Ou le « colonel » joué par John Carradine, notable local corrompu, mais dont la position est inhabituellement complexe (il est d’ailleurs absolument formidable, Carradine). Ou le puissant potentat lui-même, John McIntire, dont on devine très vite la grandeur cachée.

Les personnages féminins ne sont pas inintéressants sur le papier, mais ils ne sont pas gâtés par une distribution de second plan. Dans le rôle a priori très riche de la nièce du potentat, Miroslava s’avère une actrice bien peu emballante. Côté parité, le constat est plutôt amer : Le Juge Thorne… est avant tout un film d’hommes.

Aude-là des limites techniques du film, liées à une production modeste, c’est bien là le principal défaut de ce western qui réussit, à partir d’une histoire très classique, à être très original, et très séduisant.

Elle et lui (An affair to remember) – de Leo McCarey – 1957

Classé dans : 1950-1959,McCAREY Leo — 1 mars, 2025 @ 8:00

Elle et Lui 1957

Le monde se divise en deux catégories, Tuco : ceux qui préfèrent le Elle et Lui de 1939, et ceux qui préfèrent le Elle et Lui de 1957… Le premier est un chef d’œuvre. Celui-ci est mieux. Dans la série des autoremakes, celui de Leo McCarrey est une sorte de phase indispensable, un sommet de romantisme (et de drôlerie, au passage). Bref : une merveille.

Pourquoi ? Le rythme, la musique, les couleurs chaudes, les personnages, et Cary Grant, dont j’ai l’impression de découvrir lentement, et tardivement, l’étendue du talent, jusqu’à penser qu’il pourrait bien être le plus grand acteur de l’histoire d’Hollywood. C’est excessif ? Peut-être, mais je viens de voir Elle et Lui, alors…

Il est en tout cas exceptionnel, dans sa manière de vouloir garder sa superbe en toute circonstance, qu’il s’avoue son amour pour cette femme si loin des séductrices auxquelles il est habitué, qu’il embrasse cette grand-mère aimée dont il sait qu’il ne la reverra pas, ou qu’il feigne la colère en se livrant comme jamais… L’humanité et la fragilité qu’il laisse transparaître derrière une façade si maîtrisée sont bouleversantes.

Deborah Kerr n’est pas mal non plus, dans ce qui semble bien être le rôle de sa vie (elle en a quelques-uns de franchement mémorables, pourtant), pétillante et émouvante en jeune femme qui n’avait assurément pas prévu de tomber amoureuses du séducteur le plus en vue du bottin mondain de New York.

La rencontre se fait sur un bateau de croisière, et c’est sur cette bulle coupée du monde que commence le film, par une longue séquence (la moitié du métrage, à vue de nez) de pure romance, légère, enthousiasmante, et dont tous les tracas du « vrai monde » sont tenus à l’écart.

La partie new-yorkaise du film résonne avec cette longue première partie, parce qu’elle semble devoir tenir la romance à distance indéfiniment. Ne comptez pas sur ce blog pour dévoiler la conclusion, le rôle joué par l’Empire State Building ou par la « French Riviera ».

Mais Elle et Lui, deuxième version, est de ces films qu’on voit et revoit, qui accompagnent tout au long d’une vie. Mieux qu’un chef d’œuvre : un film majeur. The stuff the Great Hollywood is made of…

Le Chœur de Tokyo (Tokyo no korasu) – de Yasujiro Ozu – 1931

Classé dans : 1930-1939,FILMS MUETS,OZU Yasujiro — 28 février, 2025 @ 8:00

Chœur de Tokyo

Ozu aime le cinéma américain. Il aime King Vidor, et il aime La Foule, chef d’œuvre sorti en 1928, grand drame social flirtant avec la comédie qui met en scène un homme se débattant dans un monde du travail particulièrement fermé. C’est pile le thème de ce Chœur de Tokyo, très beau film qui permet à Ozu d’affirmer son style et ses obsessions : la confrontation du moderne et du traditionnel, les cheminées et les fils électriques omniprésents, le linge qui sèche…

Et, surtout, la grandeur des petites attentions humaines, la beauté de l’amour marital et filial, et ce bonheur qui se trouve dans les petites choses du quotidien. Chœur de Tokyo est à la fois un drame social, et une ode à la simplicité et aux petits bonheurs de la vie. Un vrai Ozu, donc.

La manière dont le film est construit est particulièrement originale. Non seulement parce qu’Ozu ne choisit pas entre le drame et la comédie, mais aussi parce que son film est en fait une succession de longues séquences, comme autant de chapitres narrant les déchéances et la rédemption de son héros.

Tokihiko Okada, que l’on découvre en étudiant vaguement rebelle dans une étonnante séquence d’introduction, pur moment de comédie dont on se demande ce qu’elle vient faire là. Si ce n’est mettre en parallèle l’insouciance de la jeunesse étudiante, et les tracas financiers et professionnels dans lesquels on retrouve ensuite le héros.

La deuxième séquence est tout aussi étonnante, alternant le pur comique (les efforts que déploient les employés du bureau pour ouvrir leur enveloppe de prime en toute discrétion) et le drame central : le licenciement « héroïque » du héros, qui prend fait et cause pour un collègue plus vieux viré injustement. Son face à face avec son boss prend les allures d’un duel… à l’éventail, dans un passage plein de poésie et d’humour.

Tout le film est à l’avenant, regorgeant de belles trouvailles narratives pour entremêler les sourires et les grimaces, jusqu’à cette très belle conclusion, où l’avenir et la rédemption ressemblent curieusement à un brutal retour en arrière. Où l’optimisme et l’amertume ne font plus qu’un.

Le Pôle Express (The Polar Express) – de Robert Zemeckis – 2004

Classé dans : 2000-2009,DESSINS ANIMÉS,FANTASTIQUE/SF,ZEMECKIS Robert — 27 février, 2025 @ 8:00

Le Pôle Express

Au milieu des années 2000, Robert Zemeckis s’est pris de passion pour la motion capture, qu’il découvre pour ce Pôle Express et qu’il continuera d’explorer avec ses deux films suivants, La Légende de Beowulf et Le Drôle de Noël de Scrooge. Entre Seul au monde en 2000 et Flight en 2012, il n’a même rien tourné d’autre, aussi étonnant que cela puisse paraître.

On sait l’attirance qu’a Zemeckis pour les défis techniques, et les nouvelles technologies. Revoir Le Pôle Express vingt ans après sa sortie rappelle aussi à quel point les nouvelles technologies les plus novatrices ont une fâcheuse tendance à devenir des technologies vieillissantes et dépassées. Bref : le film, d’un strict point de vue technique et esthétique, a pris un sacré coup de vieux.

Ajoutez à ça un Tom Hanks motion-capturé qui joue à lui seul les trois quarts des rôles, et un côté « grand huit » un peu facile, destiné à mettre en valeur la 3D pré-Avatar à laquelle Zemeckis s’essaye également… Le Pôle Express ressemble souvent d’avantage à une attraction à grand spectacle qu’au film de Noël qu’il est au fond.

Sur le fond, donc, le film est plutôt très réussi. A travers cet improbable voyage nocturne vers un Pôle Nord fantasmé, à bord d’un train magique réunissant les enfants qui commencent à douter de l’existence du Père Noël, ce sont les tourments d’un enfant qui sort de son innocence virginale que met en scène Zemeckis.

Les rencontres que fait le jeune héros à bord de ce train symbolisent ces doutes, ces espoirs et ces tourments : le contrôleur (Tom Hanks) bien sûr, sorte de maître de cérémonie de ce voyage introspectif, et surtout le hobo (Tom Hanks aussi), plus mystérieux et plus ambivalent, une sorte de personnification de la rudesse de la vie qui s’ouvre à l’enfant.

Dans la dernière partie du film, Zemeckis est tiraillé entre son véritable thème (la fin de la prime innocence) et le côté « film de Noël familial », qui s’impose dans un final spectaculaire mais assez classique. La morale de Noël est sauve, et on se dit que Zemeckis se tire plutôt bien de ce numéro d’équilibriste autour du secret le mieux gardé de la petite enfance…

Les Vacances de M. Hulot – de Jacques Tati – 1953

Classé dans : 1950-1959,TATI Jacques — 26 février, 2025 @ 8:00

Les Vacances de monsieur Hulot

Plus de dix ans pour se forger un personnage… et voilà que Tati, triomphal après son premier long métrage, décide de changer de cap, rompant avec le facteur de Jour de fête, peut-être trop rural, trop méridional, pas assez universel. Place donc à monsieur Hulot, qui pourrait être le cousin très éloigné du précédent, dont il garde une certaine candeur, et surtout la maladresse chronique.

Il n’y a pas que le personnage qui évolue d’ailleurs : l’univers même de Tati prend définitivement place dans Les Vacances…, moins porté sur le gag pur, frôlant l’abstraction dans un déluge d’humour décalé, de visions poétiques autour de Hulot, lunaire et inadapté socialement, dont chacune des apparitions amène immédiatement de la vie.

S’il fallait une image pour résumer Les Vacances de monsieur Hulot, ce serait peut-être cette petite lucarne qui s’éclaire en toute quiétude dans les combles, tandis que les grandes baies vitrées du rez-de-chaussée s’animent au son des querelles déclenchées par un simple geste innocent.

C’est ça, Hulot : l’incarnation même de la bienveillance, de l’innocence, qui au fond ne comprend pas grand-chose à ce qui l’entoure, et ne comprend même pas qu’il comprend pas. Un personnage lunaire qui, dès cette première apparition, trouve sa place dans le panthéon de la comédie, au côté d’un Chaplin par exemple, qui l’a tant inspiré à ses débuts, et dont il se détache pour crée son propre cinéma.

C’est aussi une merveille de construction, qui résume en une heure trente toute l’ambiance d’une certaine France, celle des vacances à la mer, des rencontres d’un été, des liens qui se nouent et se défont. Une tranche de vie irrésistible, drôle, et dont émane une poésie rare.

Femmes et voyous (Hijosen no onna) – de Yasujiro Ozu – 1933

Classé dans : * Polars asiatiques,1930-1939,FILMS MUETS,OZU Yasujiro — 25 février, 2025 @ 8:00

Femmes et voyous

Dans sa période muette, Ozu a souvent signé des films de genre (comédie ou polar) très nourris du cinéma hollywoodien d’alors. Femmes et voyous est, dans cette veine, l’une de ses plus belles réussites, une plongée dans l’« underworld » des mauvais garçons, dont les détails réalistes évoquent aussi bien Les Nuits de Chicago que Scarface, sortis peu avant.

Mais Ozu n’est ni Von Sternberg, ni Hawks. Et déjà à cette époque où son univers se construit encore, c’est l’humanité de ses personnages qui l’intéressent. Des personnages qui, déjà, arrivent à la fin d’une période de leur vie, appréhendant d’abandonner ce qu’ils ont toujours connu.

Ce que ces voyous commettent comme délits, Ozu s’en cogne. De leur quotidien, il ne filme que les moments de camaraderie, faisant de ces petits gangsters des espèces de gamins pas totalement sortis de l’enfance, refusant le monde des adultes, et ne gagnant quelques sous que pour pouvoir traîner en sirotant un café…

Le drame vient d’une rencontre, avec la jeune sœur d’un nouveau compagnon du gang. Belle, touchante, simple, et honnête, travailleuse, elle vient bousculer les certitudes du jeune chef de bande (Joji Oka), tout troublé par cette apparition si pure, mais aussi de sa petite amie, fille de la rue qui se met à rêver d’une vie de femme mariée.

C’est Kinuyo Tanaka, grande star de l’époque et partenaire d’Ozu tout au long de sa carrière. L’actrice apparaît telle qu’on la connaît, en jeune employée de bureau un peu effacée et très convoitée. Mais cette première impression ne tarde pas à voler en éclat, la belle menant par ailleurs une vie délurée. Tenues affriolantes, sourire carnassier, pistolet à la main, Tanaka telle qu’on ne l’a jamais vue…

Le polar n’est qu’un prétexte, même si la fuite finale est une merveille de mise en scène, dans des ruelles désertes. Ozu filme surtout les visages pris par le doute et la douleur. Et les pièces de vie, dont les objets semblent porter en eux l’âme de ceux qui y vivent. C’est Ozu en construction, mais c’est déjà Ozu, et c’est très beau.

Force of Nature (id.) – de Michael Polish – 2020

Classé dans : 2020-2029,ACTION US (1980-…),POLISH Michael — 24 février, 2025 @ 8:00

Force of nature

Entre la fin des années 1980 et le début des années 1990, Mel Gibson était avec Bruce Willis l’incarnation la plus parfaite d’un certain cinéma d’action. C’est triste de se le rappeler… Willis poussé à la retraite pour raisons médicales après une fin de carrière catastrophique, Gibson aurait pu assurer à lui seul l’héritage de ces glorieuses (si, si) années. Mais non.

Blacklisté pour ses propos et dérives en tous genres (homophobes, racistes, antisémites), l’acteur Gibson surnage depuis… plus de vingt ans. Ne gardant la tête hors de l’eau que grâce à de rares (et guère spectaculaires) coups d’éclat, devant ou derrière la caméra, l’ancienne star rêve d’un retour en grâce avec un cinquième épisode de L’Arme fatale qu’il évoque depuis des années, mais dont on ne voit rien venir.

En attendant, il enchaîne les rôles, souvent secondaires, dans des films qui passent le plus souvent inaperçus. Tiens… choisissons-en un au hasard. Ce Force of Nature, par exemple, dans lequel il apparaît tardivement avant de disparaître prématurément. L’histoire n’est pas plus bête qu’une autre : en voulant évacuer un immeuble dans une ville balayée par un ouragan, un jeune flic tombe sur des tueurs surarmés…

On passera sur les facilités énormes du scénario, qui fait de tous les habitants dudit immeuble des maillons essentiels du drame (violent) qui se noue. Ces facilités auraient pu accoucher d’une sorte de synthèse d’action comme Tsui Hark a pu en signer à une époque. Et la comparaison n’est pas anodine : les fusillades et chassé-croisé qui se succèdent dans les coursives et les différents étages de cet immeuble déserté évoque furieusement son fameux Time and Tide.

Comparaison évidemment cruelle, avec une conclusion sans appel : ce Force of Nature est une petite production très anodine, filmée de la même manière qu’elle est interprétée, c’est-à-dire sans inspiration, et sans autres aspérités que celles d’un Mel Gibson buriné et durci par le temps. C’est peu.

Jour de fête – de Jacques Tati – 1949

Classé dans : 1940-1949,TATI Jacques — 23 février, 2025 @ 8:00

Jour de fête

Jacques Tati a de la constance. Jour de fête, son premier long métrage, il semble l’avoir préparé depuis plus de dix ans, depuis Soigne ta gauche, court métrage dans lequel apparaissait déjà le personnage du facteur (qu’il n’interprétait pas lui-même). Après la guerre, c’est avec L’Ecole des facteurs qu’il renoue avec le cinéma. Cet autre court étant une ébauche de Jour de fête, qu’il tourne l’année suivante.

On retrouve même des scènes entières de ce court métrage dans Jour de fête, plusieurs gags parfois littéralement copiés-collés, comme ce haillon arrière d’un camion transformé en bureau mobile pour un Tati facteur pressé.

Il a de la constance, donc, et un univers qui ne ressemble à aucun autre. Dépassant l’influence de Chaplin, qui marquait ses débuts, il s’impose dès ce premier long en observateur fin et précis, qui sait comme personne capter les petits travers de tout un chacun, en l’occurrence les habitants d’un petit village très rural du centre de la France.

Sainte-Sévère, village qui semble oublié par le temps, où Tati s’est réfugié pendant la guerre, et dont il transforme les habitants en acteurs de son film, renforçant ainsi le sentiment que l’on a d’être entraîné dans une vraie fête de village, avec toute sa vie, et toute sa simplicité.

François, le facteur joué par Tati, fait figure de fil rouge dans ce film sans enjeu dramatique sérieux, mais qui porte un regard tendre et parfois grinçant sur ses personnages, à l’image de cette vieille villageoise qui observe et commente tout ce qui se passe.

Pas d’enjeu dramatique, si ce n’est l’arrivée de la modernité dans ce village d’un autre temps. Ou plutôt, l’évocation de l’arrivée de la modernité, à travers la projection d’un film présentant les nouvelles méthodes des facteurs américains, qui poussent François à forcer l’allure pour être à la hauteur, avec un résultat spectaculaire… et discutable.

Irrésistible, en tout cas, Tati joue de son allure dégingandée, s’amuse avec le son (des dialogues parfois marmonnés, une rencontre soulignée par les voix sortant d’un western projeté…), filme les gags sur la longueur…

Même vu dans sa version en noir et blanc (Tati voulait le film en couleurs, mais le procédé utilisé s’est révélé inutilisable, en tout cas jusqu’en 1995), Jour de fête est une merveille, qui réussit l’exploit d’être d’une grande finesse, absurde, inventive. Un vrai classique.

L’Ecole des facteurs – de Jacques Tati – 1947

Classé dans : 1940-1949,COURTS MÉTRAGES,TATI Jacques — 22 février, 2025 @ 8:00

L'Ecole des facteurs

Dans les années 1930, Jacques Tati avait fait des débuts remarqués (et très formateurs) au cinéma, élan stoppé net par la seconde guerre mondiale. Tout en restant une vedette en vue du music-hall après 1940, il a dû attendre la fin de la guerre pour faire son retour à l’écran. D’abord en apparaissant dans deux films de Claude Autant-Lara (Sylvie et le fantôme et Le Diable au corps). Puis, enfin, en réalisant seul pour la première son propre court métrage.

Et c’est comme s’il reprenait très exactement là où il s’était arrêté une décennie plus tôt : en reprenant des motifs et des situations de Soigne ta gauche, le court qu’il avait écrit et qu’il avait interprété sous la direction de René Clément. Il avait d’ailleurs été question que Clément, qui venait de devenir un cinéaste important grâce à La Bataille du Rail, réalise ce nouveau court. C’est finalement Tati lui-même qui s’y colle, et ça change tout.

Ces précédents courts métrages portaient en germe le génie d’un cinéaste en devenir. Celui-ci va au-delà : ce n’est plus un film plein de promesses, mais déjà l’œuvre géniale d’un cinéaste à l’univers singulier, et très affirmé. Jalon essentiel de la filmographie de Tati, L’École des facteurs n’est pas un simple brouillon de Jour de fête, son premier long, mais plutôt une sorte d’introduction, au rythme incroyable et fourmillant de trouvailles comiques.

C’est un véritable feu d’artifices que nous offre Tati avec ce personnage de facteur, marmonnant ses rares répliques avec un accent impossible, pédalant droit comme un i mais avec une grâce de danseur, et multipliant des situations et les bons mots irrésistibles. Qu’il franchisse les barrières d’un passage à niveaux, qu’il course son vélo mû par sa propre énergie, ou qu’il fasse virevolter son sac en bandoulière, il est irrésistible dans ce petit chef d’œuvre, qui sera à l’origine deux ans plus tard d’un grand chef d’œuvre.

Lost Highway (id.) – de David Lynch – 1997

Classé dans : 1990-1999,LYNCH David,POLARS/NOIRS — 24 janvier, 2025 @ 10:10

Lost Highway

Décidément, je ne me remets pas de la mort de David Lynch. Après m’être replongé dans les méandres de Twin Peaks et de Mulholland Drive, il était temps d’ajouter une entrée supplémentaire à ce blog, en revoyant ce Lost Highway qui reste l’une des expériences les plus absolues, les plus marquantes, de ma vie de cinéphile. A vrai dire, il m’a fallu attendre… le retour de Twin Peaks pour ressentir quelque chose de semblable.

C’est dire l’importance que revêt David Lynch, et le vide sidéral que sa mort laisse, dans un cinéma américain au-delà de moribond. Penser qu’on ne verra jamais de onzième long métrage de Lynch, alors qu’on n’est pas à l’abri d’un seizième (j’ai compté) film de Michael Bay a quelque chose de profondément déprimant. C’est bien simple : c’est déprimé que je m’installe et lance le blu ray de Lost Highway.

Et là, la magie opère. Il ne faut pas longtemps pour retrouver les sensations éprouvées au cinéma il y a vingt-huit ans. La fascination exercée par les lignes jaunes de la route qui défilent dans la nuit au son de David Bowie. De tous les trips cinématographiques, celui-ci est peut-être le plus radical. La plongée est en tout cas profonde, brutale, et traumatisante.

On a souvent dit de Lost Highway qu’il était une sorte de brouillon pour Mulholland Drive, qui lui serait supérieur en tous points. Comme Les Affranchis par rapport à Casino, disons. Mais chez Lynch comme chez Scorsese, le brouillon a un caractère brut et une urgence que je place au-dessus de tout. Et Lost Highway est un chef d’œuvre, finalement moins opaque qu’exceptionnellement conscient. Je m’explique…

A-t-on suffisamment dit que Lost Highway était (je m’avance) le plus grand film du monde sur les violences faites aux femmes ? Deux décennies avant me-too, et alors que l’expression « crime passionnel » était encore en vigueur, David Lynch nous plonge avec ce film dans l’esprit d’un homme qui a tué sa femme. Et qui, dans le couloir de la mort, se projette dans une version fantasmée de ce qu’il a vécu, de son point de vue malade : la femme est le danger.

Et ce danger, Lynch le filme avec fièvre et avec une gravité stupéfiante, dans une première partie qui flirte avec le film d’horreur, sans jamais s’éloigner de son vrai sujet : la terreur qui s’installe dans un couple, avec des scènes « conjugales » parmi les plus effrayantes qu’on n’ait pu voir. Cette première partie est parfaitement linéaire et compréhensible, jusqu’au basculement, radical, comme Lynch en a le secret.

Là, c’est une hallucinante plongée dans l’esprit de cet homme qui se poste en victime que filme Lynch, nous emmenant très loin dans ce cauchemar éveillé, multipliant les images inoubliables. Au cœur de ce trip traumatisant, Patricia Arquette trouve le rôle de sa vie, troublante et bouleversante dans le double-rôle de la femme martyr et d’une vamp fantasmée. A l’inverse, il faut deux acteurs pour projeter l’homme et son double : Bill Pullman (qui sortait d’Independance day, c’est dire le chemin) et Balthazar Getty.

La distribution est incroyable (de Richard Pryor à Marylin Manson en passant par Robert Blake, Gay Busey, Robert Loggia ou le fidèle Jack Nance), la musique est carrément dingue, et le film est un chef d’œuvre, l’un des sommets (le sommet?) de David Lynch, cinéaste immense pour l’éternité.

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