Le Barrage de Burlington (River Lady) – de George Sherman – 1948
Décidément, George Sherman est un réalisateur qui mériterait d’être réévalué, ce que le DVD pourrait bien rendre possible : les récentes sorties de Universal (Bandits de grands chemins, La Fille des prairies et Le Grand Chef), Artus (The Lady and the Monster) et ce River Lady dans la collection Western de Légende de Sidonis contribuent en tout cas à révéler le grand talent de cet artisan très efficace que je considérais jusqu’à présent comme un yes-man sans grande personnalité.
Avec River Lady, c’est une nouvelle fois un western de haute tenue, et très original, que signe Sherman. L’intrigue adapte un thème traditionnel du genre (l’affrontement des riches propriétaires et des modestes fermiers) et le transpose dans un contexte rarement utilisé à l’écran : l’univers dur et viril des bûcherons qui passent huit mois de l’année dans les bois à abattre et débiter les arbres avant de les convoyer au fil de la rivière vers la ville.
Les dix premières minutes du film sont quasi-documentaires (même si l’exactitude historique n’est pas le but de Sherman et de ses producteurs), et passionnantes, avec une très belle photographie qui rappelle l’excellente Fille du Bois maudit d’Hathaway. Les personnages de l’histoire ne sont pas encore introduits, mais déjà on sent la sueur et l’atmosphère virile du film se met en place. Le héros, d’ailleurs, interprété par un Rod Cameron parfait dans un rôle fait pour lui, est un homme taillé dans la pierre : un rude bûcheron aux poings comme mes cuisses, fier et modeste, désireux de vivre sa vie à sa manière, et de ne rien devoir à quiconque.
Pas même la belle Yvonne de Carlo, à tomber par terre évidemment, riche propriétaire d’un tripot qui rêve de devenir une femme puissante et respectée, au côté de son Rod Cameron de fiancé. Le gars n’a pas les mêmes envies qu’elle ? Mais Yvonne sait ce qu’elle veut, et pousse son homme à prendre la direction d’une petite société, dont le président (l’excellent John McIntire) a une fille fort charmante (Helena Carter) qui préférerait séduire le rustre bûcheron plutôt que de mener une vie de petite fille gâtée…
C’est un film d’hommes, avec des coups de poings bien envoyés, des beuveries mémorables, et un « méchant » bien méprisable (Dan Duryea). Pourtant, les personnages les plus forts sont les personnages féminins, qui sont la véritable âme du film. Dans un film aussi efficace dans l’action pure que lorsqu’il aborde des thèmes plus « politiques » (les petites sociétés forcées de créer la première coopérative pour faire face au puissant syndicat), la manière dont ces personnages féminins sont écrits et filmés est étonnamment fine et complexe.
Helena Carter, qui trouve ici l’un de ses plus beaux rôles, donne une profondeur et une vérité inédite à un rôle issu d’une longue lignée : celle des filles de bonne famille qui rêvent de s’encanailler. Elle est à la fois touchante, drôle et séduisante, même si la dernière partie du film semble la mettre un peu de côté. Dommage…
Même un second rôle aussi anecdotique que Ma Dunnington (jouée par ….), tenancière d’un bar peu recommandable, parvient à exister en quelques scènes seulement, et peu de dialogues.
Mais la vraie star du film (la plus grande star Universal de l’époque), c’est bien sûr Yvonne de Carlo, magnifique actrice dans tous les sens du terme, qui trouve ici l’occasion de jouer sur des registres très différents. Arrogante et ambitieuse, Sequin est aussi une romantique à la fois fière et triste. Irrésistible quand elle chante, sublime quand elle réalise ce qu’elle perd, Yvonne de Carlo n’a pas le beau rôle dans l’histoire. Mais elle est filmée magnifiquement, et habite littéralement le film.