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Archive pour la catégorie 'par réalisateurs'

Sherlock Holmes et l’arme secrète (Sherlock Holmes and the secret weapon) – de Roy William Neill – 1942

Posté : 20 juillet, 2025 @ 8:00 dans * Espionnage, * Films noirs (1935-1959), 1940-1949, NEILL Roy William, Sherlock Holmes | Pas de commentaires »

Sherlock Holmes et l'arme secrète

«Cette forteresse, construite par la nature, cette parcelle bénie, cette terre, ce royaume, cette Angleterre… » Sans vouloir spoiler, cette par cette tirade patriotique énamourée que s’achève ce nouvel épisode de la série des Sherlock Holmes, reconvertie dans l’effort de guerre. Ceci pour rappeler que, après deux épisodes inauguraux plutôt fidèles à l’œuvre de Conan Doyle, la série s’est transformée en saga de propagande pour soutenir l’effort de guerre.

A l’époque, cela devait faire son petit effet, de la même manière que Basil Rathbone déclamant ses tirades holmesiennes avec une gravité profonde devait emporter immédiatement l’adhésion des spectateurs. 80 ans plus tard, les bombes ne tombent plus sur Londres, et la dimension patriotique de la chose n’ont clairement plus le même effet. D’où le sentiment très mitigé que procure ce nouvel épisode.

Sur le fond, le patriotisme héroïque du film renvoie clairement et durement à une époque révolue (et c’est une bonne chose), et sonne bien maladroitement quand on le voit avec un regard d’homme du XXIe siècle. Sur la forme, la série a beau avoir un petit côté routinier, elle réserve son lot de beaux moments, séquences très efficacement construites, et pleines de suspense.

On hésiterait presque à raconter l’histoire, tant la série s’enferme dans un modèle narratif sans grande surprise. Holmes, super agent british, réussit grâce à son génie à extrader un scientifique dont l’invention pourrait changer le court de la guerre. Oui, comme à peu près tous les épisodes de la série.

Mais formellement, le film est très réussi. Il s’ouvre même par une longue séquence remarquable dans laquelle Neill filme très efficacement les décors de Suisse, et les dangers qui s’y nichent. Mais le meilleur, c’est sans doute le retour à Londres, dont le réalisateur ne filme qu’une rue plongée dans l’obscurité et jonchée de débris des bombardements. La rue étant, bien sûr, Baker Street.

Malgré la gravité trop systématiquement affectée de Basil Rathbone, malgré la prestation très, très en retrait de Nigel Bruce en Watson, cet opus remplit sa mission, avec quelques belles surprises comme le retour de Moriarty, l’ennemi de toujours. La rencontre des deux icônes ne fait certes pas les étincelles attendues, mais quand même…

Je rentre à la maison – de Manoel De Oliveira – 2001

Posté : 19 juillet, 2025 @ 8:00 dans 2000-2009, DE OLIVEIRA Manoel | Pas de commentaires »

Je rentre à la maison

Il n’y a qu’un jeune homme pour signer un film si délicat et si vivant sur la vieillesse et la mort qui guette. J’ai nommé : Manoel de Oliveira, 93 ans, et en plein temps dans la période la plus active de sa carrière. Un phénomène, à la longévité inédite, et qui tournera jusqu’à l’âge de 104 ans. Ce qui n’est pas rien. Et ce qui rend son entrée si tardive sur ce blog encore plus impardonnable.

Je rentre à la maison est un film d’une étonnante fraîcheur, l’œuvre d’un cinéaste qui maîtrise parfaitement son art, réflexion fascinante sur le temps qui passe, à travers le quotidien sans fioriture d’un comédien réputé, joué par Michel Piccoli. Ce qui, il est vrai, contribue en grande partie à la réussite du film : que Piccoli soit juste n’est pas un scoop. Il l’est, donc. Mais la grandeur de son interprétation va bien au-delà.

Piccoli, devant la caméra de De Oliveira, sème le trouble sur la dimension autobiographique du rôle. Ce personnage d’acteur vieillissant qu’il incarne, qui commence en jouant Le Roi se meurt sur scène (avec Catherine Deneuve), pour finir en jouant le Ulysses de Joyce au cinéma (devant John Malkovich), n’est-ce pas une sorte de condensé de l’acteur Piccoli dans toute sa richesse et dans toute son aura ?

L’acteur est en tout cas une incarnation parfaite de ce que le cinéaste raconte : un homme en action qui réalise qu’il n’a pas eu le temps, et qui s’efface peu à peu, comme une annonce de sa propre disparition. Dans plusieurs scènes clés, De Oliveira filme Piccoli en cachant son visage à la caméra : dos tourné, ou plongé dans la pénombre d’un clair-obscur… L’acteur amorce sa disparition à venir pendant que le monde continue autour de lui…

Cette idée du temps qui s’envole prend toute sa dimension après la première séquence, ce long extrait de la pièce de Ionesco que joue la troupe : lorsque le comédien apprend la mort dans un accident de sa femme, de leur fille et de leur gendre. Et lorsqu’il réalise que son petit-fils n’a désormais plus que lui dans la vie. Ce drame est filmé avec une économie de moyen remarquable, comme la porte d’entrée vers le toboggan de la fin de vie…

Après cette séquence inaugurale, De Oliveira filme la vie dans toute sa dimension hasardeuse : des errances dans les rues de Paris, des moments d’insouciance avec l’enfant… Il filme aussi le temps qui passe inexorablement, avec des routines qui se répètent inlassablement : un café pris tous les jours à la même heure, à la même table ; une photo que l’on regarde systématiquement après que l’enfant a quitté la maison… De véritables rituels dont la répétition a quelque chose d’inéluctable.

Alors oui, c’est triste et mélancolique. Mais Je rentre à la maison est aussi un film beau, plein de vie et d’enthousiasme, dont on jurerait qu’il est l’œuvre d’un cinéaste en pleine maturité artistique. Ce qui est vrai : malgré son grand âge, De Oliveira tournera encore dix longs métrages, soit une partie importante de sa filmographie. Un phénomène, décidément.

L’Amour et la bête (The Wagons roll at night) – de Ray Enright – 1941

Posté : 18 juillet, 2025 @ 8:00 dans 1940-1949, BOGART Humphrey, ENRIGHT Ray, SIDNEY Sylvia | Pas de commentaires »

L'Amour et la bête

Mais qui donc trouvait les titres français à cette époque ? Traduire le très évocateur The Wagons roll at night par le ridicule L’Amour et la bête devrait relever du crime de haute trahison, ou de quelque chose dans cet esprit. Cette bête transcription passe en tout cas complètement à côté de l’essentiel – l’évocation du monde constamment mouvant du cirque – pour ne retenir que les péripéties : une histoire d’amour, et des bêtes.

Des lions, en l’occurrence, toujours là pour faire avancer l’histoire, installer les enjeux, et amener les drames. Le premier moment fort ne manque ni d’originalité, ni d’efficacité, ni même (et c’est plus rare dans une telle séquence) d’humanité. Un lion s’est échappé de sa cage et rode dans la petite ville où le cirque s’est arrêté. Il entre dans une petite épicerie où le serveur fait preuve d’un courage inattendu.

L’épicier qui va voir sa vie bouleversée par cet acte de courage non prémédité, c’est Eddie Albert, acteur sympathique qui incarne un personnage sympathique, et qui est le véritable héros de ce film porté par deux grandes stars, dont les noms s’affichent en grand devant le sien au générique : un Humphrey Bogart en pleine mythification (le film est tourné entre High Sierra et Le Faucon maltais), et une Sylvia Sidney qui brûle les derniers feux de sa très grande période.

La principale limite du film repose sans doute dans cette dernière phrase : le film de Ray Enright ne s’intéresse au fond qu’à l’histoire d’amour entre le jeune épicier devenu dompteur de cirque et la sœur de son patron (Bogart – le patron, pas la sœur), reléguant les personnages de Bogie et Sidney aux rôles de faire-valoir. Or : le gars est brave et sympathique, d’une pureté à toute épreuve. Sans la moindre aspérité, tout comme la sœur évoquée.

En ne s’intéressant qu’à ce couple assez mièvre, le film passe un peu à côté de l’essentiel : soit le patron du cirque, aveuglé par son dégoût de sa propre condition de circassien, et le couple qu’il forme avec la diseuse de bonne aventure incapable de lire son propre avenir. Deux personnages un peu cassés, qui dissimulent (mal) leur mal-être derrière une façade très maîtrisée, incapables au fond de s’aimer correctement.

Certes, l’histoire d’amour des deux jeunots est mignonette, jusque dans leur habitude de se déclarer leur flamme sans finir leurs phrases. Mais bien palôte à côté des tourments de leurs deux aînés. Il y a donc une vraie frustration. Pour Sylvia Sidney surtout. Si la présence de Bogart s’impose dans la plupart de ses scènes, elle ne s’impose vraiment que dans de rares et brefs moments (celui, surtout, où elle comprend qu’elle s’est méprise sur les sentiments du jeune homme, déchirant).

Le film est sympathique et plaisant, là où il aurait pu être puissant et passionnant. Et dans L’Amour et la bête, finalement c’est la bête qui convainc le plus. Les scènes avec les fauves sont de loin les plus enthousiasmantes, les plus originales, les plus percutantes, et celles qui sonnent le plus « vrai ». Ce qui semble confirmer que Ray Enright est un réalisateur pour le moins compétent. Qui est ici passé à côté d’un film vraiment réussi.

Hugo Cabret (Hugo) – de Martin Scorsese – 2011

Posté : 17 juillet, 2025 @ 8:00 dans 2010-2019, SCORSESE Martin | Pas de commentaires »

Hugo Cabret

Et si Hugo Cabret était le premier volet d’une trilogie qui se compléterait avec Babylon et The Fabelmans : trois sublimes chants d’amour pour le cinéma, dont la raison d’être et la grandeur reposent sur ce seul axiome : un amour immodéré pour le cinéma, comme un art qui transcende la vie. Et a sans aucun doute changé celle des réalisateurs qui signent ces trois films.

Dans la filmographie de Martin Scorsese, Hugo Cabret ne ressemble à aucun autre film. Dans la brillante séquence d’ouverture, avec cette caméra hyper mobile qui se faufile entre les rouages d’horloge et les coursives de cette gare parisienne, on peine même à reconnaître la signature du cinéaste. Sa patte, son style, son rythme même, sont comme boostés par le projet du film : nous replonger dans les origines du cinéma.

En adaptant le roman jeunesse de Brian Selznik, Scorsese réinvente son propre rapport au cinéma. Il n’a évidemment pas connu les débuts du « cinématographe », ni n’a pu rencontrer Méliès. Mais il partage avec ce dernier l’émerveillement, cette première projection qui a changé une vie. Pour Méliès, ce fut celle du Salon Indien en décembre 1895. Pour Scorsese, qui l’a souvent raconté, ce fut Duel au soleil et les lettre de sang se détachant sur le soleil. Mais c’est une autre histoire.

Pour cette déclaration d’amour au cinéma, Scorsese nous plonge dans le Paris de la fin des années 20 , ou du début des années 30. Un Paris fantasmé (ça fait penser à Amélie Poulain, m’a glissé ma moitié dans les premières minutes du film), jamais réaliste, qui évoque aussi la ville selon Tim Burton, mais très loin du New York cher à Scorsese. A ceci près qu’on sent aussi la fascination que ce Paris là exerce sur Scorsese.

Paris, comme le symbole des débuts du cinéma. Paris, comme la ville où a eu lieu la première projection publique, où George Méliès a tourné les centaines de films qui ont fait du cinématographe le septième art, et où il est tombé dans un oubli total après la première Guerre mondiale, se retrouvant à vendre des jouets dans une gare. C’est là qu’on le découvre, bougon et mystérieux, sous les traits idéaux de Ben Kingsley.

Mais le film s’appelle Hugo Cabret : c’est donc l’histoire d’Hugo Cabret. Ou plutôt l’histoire d’un enfant que le cinéma sauvera, ou qui utilisera le cinéma pour sauver ce qui doit l’être. Ou l’histoire de l’enfance en général, et de son rapport à l’imagination. Dans Hugo, comme dans Babylon, comme dans Fabelmans, il y a quelque chose du paradis perdu : celui d’une certaine innocence liée aux premiers temps, ceux du cinéma ou de sa découverte. C’est beau, et déchirant.

« Je pensais que le bibliothécaire serait le méchant », me lance mon fils de 13 ans. Ce qui se conçoit : il a reconnu en lui Saroumane et le Comte Dooku (oui, Christopher Lee). « En fait, il n’y en a pas? » Ben non. « C’était incroyable ». Ben oui… Il y a dans ce Paris de carte postale une galerie de personnages qui ne demandent qu’à être réparés : des laissés pour compte, des inadaptés, des nostalgiques… des hommes et des femmes parfois ridicules, toujours touchants, qui passent à côté de leur vie, et qu’un petit déclic va révéler à eux mêmes.

On a rarement (jamais?) vu Scorsese aussi tourné vers la vie, vers l’élan vital. Comme si l’amour inconditionnel qu’on lui connaît pour le cinéma trouvait ici sa forme la plus pure, la plus élémentaire. De son unique film vraiment familial, Scorsese fait l’un de ses chefs d’œuvres les plus lumineux, et l’une des plus déchirantes des déclarations d’amour au cinéma, et à sa mémoire.

Un mot, pour finir… Découvrir ce film, à côté duquel je passe bizarrement depuis sa sortie en salles, grâce à un DVD acheté dans la librairie de l’Institut Lumière à Lyon, ça a quelque chose d’assez beau je trouve.

LIVRE : Rue du Premier-Film – de Thierry Frémeaux – 2024

Posté : 16 juillet, 2025 @ 8:00 dans FILMS MUETS, FREMEAUX Thierry, LIVRES, LUMIERE Louis et Auguste | Pas de commentaires »

LIVRE Rue du Premier-Film

Rue du Premier-Film, c’est la rue qui borde l’Institut Lumière à Lyon, là même (mais la rue portait alors un autre nom) où les frères Lumière ont posé leur caméra pour la toute première fois, pour filmer les ouvriers sortant de leur usine. Et les majuscules et le tiret sont importants, comme le souligne un Thierry Frémeaux qui nous invite à une visite très intime de ce lieu magique qu’il dirige, en grand amoureux du cinéma et en grand passeur qu’il est.

Le livre est d’abord une commande, de l’éditrice Alina Gurdiel, pour la très belle collection qu’elle dirige chez Stock : « Ma nuit au musée ». Le principe est simple et enthousiasmant : pour chaque livre, elle demande à un auteur de passer une nuit seul dans un musée de son choix, et d’en tirer un livre totalement libre. Ses coups de cœur, ses souvenirs, les réflexions que la cohabitation avec les œuvres et l’intimité du lieu peut lui inspirer.

Thierry Frémeaux le dit : il aurait pu choisir un musée à l’autre bout du monde (sans doute l’éditeur lui aurait-il payé le voyage!). Il préfère rester « chez lui », dans cet Institut Lumière où il a son bureau et sa vie, et qu’il connaît sans doute mieux que quiconque. L’exercice frôle parfois l’autopromotion. « Frôle », seulement, parce que ce qui peut d’abord ressembler à un auto satisfecit dénué de modestie se révèle rapidement un grand et beau chant d’amour à ce lieu chargé d’histoire.

Et c’est très beau de voir cet homme, à la tête de la plus belle institution dédiée au cinéma de patrimoine et du grand festival de cinéma du monde (Cannes, évidemment), garder un enthousiasme d’enfant en arpentant les couloirs chargés d’histoire de cette belle maison, tout en livrant des souvenirs personnels. Et finalement, c’est presque un autoportrait de cinéphile qui se dégage de cette errance nocturne, marquée par la vision de quelques films.

D’ailleurs, comment ne pas être séduit par les rêveries d’un homme qui vite Ozu et Bergman, et s’enthousiasme de la magie qui se dégage des images tournées par Lumière. Me voilà sous le charme de ce livre tout en liberté, comme je l’ai été de la découverte de l’Institut Lumière il y a quelques semaines. Comme un prolongement du plaisir lyonnais.

Le Grand Chantage (Sweet Smell of Success) – d’Alexander Mackendrick – 1957

Posté : 15 juillet, 2025 @ 8:00 dans * Films noirs (1935-1959), 1950-1959, CURTIS Tony, LANCASTER Burt, Mackendrick Alexander | Pas de commentaires »

Le Grand Chantage

Y a-t-il déjà eu dans le cinéma américain de pires ordures que J.J. et Sidney, les « héros » de Sweet Smell of Success (titre si brillamment cynique) ? Sans doute, mais aucun ne s’impose avec évidence en revoyant ce chef d’œuvre d’Alexander MacKendrick ? Pas vraiment l’homme d’un film, MacKendrick, puisqu’on lui doit quelques classiques britanniques dans la lignée de Tueur de dames. Mais quand même : il y a dans ce film profondément noir et profondément américain quelque chose d’unique.

Comme la participation musicale très jazzy d’Elmer Bernstein, le film semble quasi improvisé, tant il s’inscrit dans une forme de cinéma vérité, qui épouse le rythme de la ville (New York, la nuit, la foule) et de ses deux personnages principaux, purs produits de cette cité en perpétuel mouvement, qui n’appartient qu’aux plus rapides, et aux plus impitoyables.

Ainsi soit-il. J.J. Hunsecker, le tout-puissant magnat de la presse qu’incarne Burt Lancaster (également producteur), l’a compris depuis longtemps : il a le pouvoir, il en use et en abuse, et le grand Burt l’interprète avec une raideur et une morgue qui glacent le sang. Sidney Falco l’a compris aussi, mais il n’est que le larbin de J.J., mentor écrasant dont il accepte toutes les humiliations, puisqu’elles vont le conduire au sommet.

C’est l’un des plus grands rôles de Tony Curtis, quasiment de tous les plans. Curtis, que sa rencontre avec Burt Lancaster conduit dans une autre dimension après des années de vedette d’aventure pour la Universal. L’année précédente, les deux ont déjà joué ensemble dans Trapèze. L’année suivante, Curtis enchaînera avec Les Vikings, puis La Chaîne, puis Certains l’aiment chaud. On appelle ça une apogée. Et même si elle ne dure qu’une poignée d’années, elle est de celles que l’immense majorité des acteurs rêvent de connaître.

Bref : Tony Curtis est extraordinaire dans le rôle de cet attaché de presse près à toutes les compromissions pour tutoyer les puissants, pour obtenir les miettes que Hunsecker/Lancaster daigne lui laisser. Un type d’autant plus pathétique que son humanité est toute proche, rudement mise à l’épreuve au fil de ses renoncements.

A quel moment est-il le plus pitoyable? Lorsqu’il révèle malgré lui la grandeur d’un journaliste qui refuse de céder à son chantage au risque de tout perdre ? Lorsqu’il s’assoit en quelques secondes sur son dégoût de lui-même pour sacrifier un homme pour son seul profit ? Lorsqu’il « offre » à un puissant la jeune femme trop pulpeuse qui était venue chercher du réconfort auprès de lui ? Pitoyable, odieux, et pourtant humain.

Si le film est si fort, si beau, c’est aussi parce que MacKendrick ne condamne pas ses personnages. Leurs actes s’en chargent fort bien pour eux. Mais que Sidney s’enfonce dans un jusqu’au-boutisme mortifère, ou que J.J. se condamne à une solitude inéluctable et absolue, et on ne peut s’empêcher de ressentir un profond sentiment de gâchis, et même de tristesse.

C’est la grandeur de ce film très beau et très noir, qui reste constamment humain. Ça, et la forme très jazzy que lui donne MacKendrick, filmant l’effervescence de la nuit new-yorkaise comme peu avant lui. Un grand film qui est aussi une fascinante virée nocturne. Indémodable, et en bien des points indépassable.

Blue Collar (id.) – de Paul Schrader – 1978

Posté : 14 juillet, 2025 @ 8:00 dans 1970-1979, POLARS/NOIRS, SCHRADER Paul | Pas de commentaires »

Blue Collar

Paul Schrader, la petite trentaine, vient de signer quelques scénarios très marquants, dont celui de Taxi Driver bien sûr, lorsqu’il passe pour la première fois derrière la caméra. Et c’est une claque. Blue Collar, film noir et pamphlet social, impose d’emblée la puissance d’un grand scénariste qui est aussi un grand cinéaste.

Blue Collar part d’une humiliation : celle que subissent au quotidien trois ouvriers, qui décident de cambrioler le siège de leur syndicat, mais ne trouvent qu’un registre qui va leur faire rêver du meilleur, et leur apporter le pire.

Ce qui frappe dans un premier temps, c’est la manière dont Schrader filme l’usine, décor principal du film : une usine de construction automobile à Detroit où les ouvriers, mal payés, sont contraints d’accepter les difficiles conditions de travail, les humiliations des patrons, et le cynisme de syndicats corrompus, pour simplement payer leurs factures.

Le thème n’est ni nouveau, ni original. Mais la manière dont Schrader l’aborde, le réalisme et la vérité qu’il donne à ce microcosme, sont impressionnants. Il suit essentiellement trois personnages, trois amis inséparables aux caractères très différents : le jouisseur, le discret et la grande gueule. Dans l’ordre : Yaphet Kotto, Harvey Keitel et Richard Pryor.

Trois grands acteurs, qui tout en incarnant les « types » qu’ils représentent, apportent une profondeur et des fêlures intenses à leurs personnages. Pryor, surtout, est formidable dans le rôle de cet écorché fort en gueule, loin, très loin de son emploi habituel. Deux acteurs noirs et un acteur blanc, donc, ce qui aura son importance…

Grand film social, Blue Collar est aussi un grand film noir, dont l’ambiance paranoïaque démontre la cinéphilie de Schrader (on sent l’influence de classiques comme Je suis un évadé dans la dernière partie). Un film comme une gifle, aussi, dont on devine qu’il a influencé à son tour un cinéaste comme Spike Lee dans sa manière d’aborder la question raciale. Et dans ce domaine, Schrader ne se fait guère d’illusion…

Son film, malgré quelques pointes d’humour absurdes (les masques qu’arborent les trois amis lors de ce qui est le casse le plus pourri de l’histoire du casse), est d’un pessimisme à peu près parfait, s’inscrivant dans l’esprit dans la lignée des grands films paranoïaques de l’après-Watergate. Ou fu film noir classique avec des « héros » fucked-up de tous les côtés, dont tous les tentatives de s’extirper de leur condition semblent vouer à l’échec.

Le film raconte rien moins que la disparition de la solidarité de classe, au profit d’un individualisme cynique et destructeur. Ce n’est pas très joyeux, mais c’est une sacrée claque, la naissance d’un cinéaste qui, même dans les pires moments, restera toujours intéressant, pour le moins.

La Manière forte (The Hard Way) – de John Badham – 1991

Posté : 13 juillet, 2025 @ 8:00 dans 1990-1999, ACTION US (1980-…), BADHAM John | Pas de commentaires »

La Manière forte

On ne dira pas que ce blog n’est pas éclectique : passer de Yasujiro Ozu à John Badham, quand même… Eh bien, passer de l’un à l’autre, ou plutôt de l’autre l’un, c’est faire un bon de 35 ans dans le parcours cinéphilique de votre serviteur. Avant de considérer le réalisateur des Sœurs Munakata comme le plus grand cinéaste de tous les temps, il fut un temps, justement, où Badham était l’un des noms les plus stimulants pour moi.

Quelques décennies plus tard, lui semble être resté coincé dans cette période de la fin des années 80 et du début des années 90, durant laquelle il a signé quelques-uns de ses films les plus marquants (du Prix de l’Exploit à Meurtre en suspens en passant par Comme un oiseau sur la branche et quelques autres), période que sa postérité n’a pas vraiment dépassé : que reste-t-il de lui aujourd’hui, si ce n’est son nom à l’affiche de La Fièvre du samedi soir ?

C’est un peu injuste, parce que Badham, qui m’impressionnait alors par la générosité et l’inventivité de sa mise en scène, n’est certes pas un auteur majeur, mais il est effectivement un artisan très efficace, dont le cinéma est généreux, souvent bien au-delà de ce qu’on attend d’un réalisateur de sa stature. Il y a du rythme dans ses films, mais aussi un petit grain de folie, des cadrages hyper dynamiques, et mine de rien un vrai style toujours au service de l’efficacité.

La Manière forte est un exemple aussi bon qu’un autre. Michael J. Fox, tout juste sorti de Retour vers le Futur, incarne une star hollywoodienne qui s’incruste dans le quotidien d’un flic dur à cuire joué par James Woods, pour s’imprégner de sa personnalité dans l’espoir de décrocher le rôle qui va changer son image trop lisse…

Ou comment, quelques années avant Last Action Hero, s’emparer des codes du buddy movie traditionnel pour les détourner, s’en amuser… tout en les respectant. Apposer un genre à un film est souvent très réducteur. La Manière forte est, très clairement, une comédie policière. Une comédie, et un film policier, donc. Vrai flic (Woods joue heavy très premier degré), vraie enquête, vrai tueur en série (Stephen Lang, futur méchant d’Avatar), vrai suspense.

Et au milieu de ce film tourné comme un polar noir : la star, Michael J. Fox, comme sorti d’un autre film, dont la seule présence sert de contrepoint jubilatoire au côté sombre de l’histoire et de l’enquêteur. Comédie, et polar, ou ni vraiment l’un, ni vraiment l’autre. En tout cas, un pur Badham dans le ton, qui repose peut-être sur cette capacité à garder une ligne claire et une certaine légèreté, dans un environnement sombre.

Ce qui n’est pas une analyse en profondeur de l’œuvre de Badham : plutôt une vision rétrospective de ce qui m’a tant plu chez ce réalisateur oublié. Il n’est ni Ozu, ni même McTiernan, mais un réalisateur populaire de second plan qui gagnerait à être redécouvert, qui mérite mieux en tout cas que l’oubli dans lequel il est très vite tombé, et que d’autres réalisateurs de la même trempe mais moins méritants (Richard Donner par exemple) n’ont pas subi.

Les Sœurs Munakata (Munakata Kyōdai) – de Yasujiro Ozu – 1950

Posté : 12 juillet, 2025 @ 8:00 dans 1950-1959, OZU Yasujiro | Pas de commentaires »

Les Sœurs Munakata

Dès les premières images, il y a quelque chose d’un peu différent dans ce Ozu de l’après-guerre, l’un des premiers de sa très grande période, qui commence l’année précédente avec Printemps tardif, pour se poursuivre jusqu’à son tout dernier film, Le Goût du Saké. Et ce quelque chose d’un peu différent tient en une question : où donc sont les poteaux téléphoniques, les fils aériens ?

Il y en aura bien quelques-uns, plus tard dans le film, ainsi que des trains, et tous ces éléments si incontournables dans l’œuvre d’Ozu. Mais dans les premières images, point. Au contraire, c’est un Japon comme épargné par le temps, par la modernité et par la guerre encore très récente qui nous apparaît, comme le symbole d’une paix que les personnages, le cinéaste, et même les spectateurs essaient de retenir.

C’est le cas du personnage joué par Chishu Ryu, acteur précieux, qui n’a ici que quelques scènes, tout en tenant un rôle central. Il est le père des deux sœurs du titre, dont l’aînée apprend qu’il est touché par une maladie qui le condamne à court terme. Mais lui, plutôt que renoncer aux vices auxquels il doit sa maladie, mais aussi ses plaisirs, préfère s’y réfugier, refusant de tourner le dos à ces plaisirs.

Le film n’est pas pour autant passéiste. Nostalgique, oui : le passé et le souvenir sont omniprésents, pour le meilleur et pour le pire. Pour le pire d’abord, avec le poids de la guerre dont personne ne parle jamais vraiment, mais que l’on sent constamment à travers l’homme qu’a épousé la fille aînée de Chishu Ryu, jouée par la grande Kinuyo Tanaka. Une femme attachée aux valeurs ancestrales, qui a préféré épouser cet homme rendu aigri par la guerre et sa difficulté de trouver du travail, plutôt qu’attendre celui qu’elle aimait vraiment.

Le film repose en grande partie sur les différences qui opposent cette grande sœur trop sage, et sa cadette (Hideko Takamine, une habituée du cinéma de Naruse) plus moderne et plus exubérante, peu désireuse de se marier, elle, mais qui comprend que son aînée et celui qu’elle a aimé autrefois sont toujours profondément amoureux l’un de l’autre.

L’opposition entre la tradition et la modernité, thème si cher à Ozu, prend une forme inattendue ici, avec ces deux sœurs qui se chamaillent sur la question de savoir laquelle des deux est dans le vrai. « La vérité est ce que l’on est au fond de soi », résume avec sagesse le décidément très grand Chishu Ryu, dans une scène d’une étrange beauté, où le père et sa fille cadette tentent de dialoguer avec des oiseaux sur le perron de la maison traditionnelle.

Il y a beaucoup de moments comme celui-ci, comme hors du temps. Des images de pure quiétude, d’une douce nostalgie finalement très proche des grands films à venir d’Ozu. Mais il y a aussi de brutales ruptures de ton, qui amènent le film, dans sa seconde moitié, dans une noirceur assez inhabituelle chez Ozu, plus radicale encore que dans Une femme dans le vent, le cinéaste abordant frontalement le thème des violences conjugales dans une scène glaçante.

Mais il y a surtout de la vie, et une tendresse extrême qui entoure ce duo de sœur, si différentes et pourtant si proches. Le film est l’un des plus sombres d’Ozu. Paradoxalement, c’est aussi l’un de ses plus apaisés dans ce qu’il montre du Japon de l’après-guerre.

Leila et ses frères (Leila’s brothers) – de Saeed Roustayi – 2022

Posté : 11 juillet, 2025 @ 8:00 dans 2020-2029, ROUSTAYI Saeed | Pas de commentaires »

Leila et ses frères

Le cinéma iranien est décidément d’une vivacité incroyable. Incroyable, parce qu’être réalisateur sous le régime des mollahs demande un courage hors du commun, si on a l’ambition d’être libre. Mohammad Rasoulof le sait bien, qui a dû fuir le pays après le tournage des Graines du figuier sauvage. Saeed Roustayi aussi, qui a été condamné à six mois de prison (ainsi que son producteur) pour avoir refusé de « corriger » Leila et ses frères. Qui de fait a été interdit de sortie en Iran.

A travers l’histoire de Leila et ses quatre frères, c’est la société iranienne que filme Roustayi, dans ce qu’elle a de plus aliénante, brutale et corrompue, mais aussi dans les rêves et aspirations qui peuvent y naître. Il y a même un côté « comédie humaine » dans cette fratrie dont tous les membres ont un caractère bien différent, et dont la pierre angulaire et Leïla, meneuse réduite au silence et à l’invisibilisation dans une société qui ne laisse aucune place aux femmes.

Dans le rôle de Leila, Taraneh Alidoosti est merveilleuse, mélange de détermination et de révolte, mais aussi de fragilité et d’intranquillité. Une jeune femme tiraillée entre sa soif de liberté et son amour pour une famille constamment tentée par la fidélité aux règles d’une société qui la rejette, elle, en tant que femme. C’est puissant et déchirant, à l’image de celui des frères qui semble le plus ouvert au changement, et qui se révèle aussi le plus attaché à la figure du père.

Figure étonnante : ce père manipulateur, menteur, castrateur, est aussi étonnamment attachant, parce que pathétique. Sa révolte à lui ne repose au fond que sur son désir d’avoir lui aussi sa place parmi les puissants de cette société de caste et de patriarcat. C’est dire que le chemin est rude pour Leila la révoltée, et pour ses frères pas tout à fait aussi révoltés.

Le film passionne par la peinture toute en nuances de ses personnage, mais aussi par la manière dont le cinéaste nous plonge au cœur du monde du travail (la scène d’ouverture est fascinante, dans une usine qui s’arrête de fonctionner), dans la structure familiale la plus intime (et dysfonctionnelle), mais aussi dans des lieux de vie collective très codifiés, autour de la prière, d’un veuvage ou d’un mariage très privilégié.

L’état des lieux est édifiant, et le film une merveille de maîtrise, d’intensité et d’émotion. Saeed Roustayi, qui avait déjà réalisé le très remarqué La Loi de Téhéran, n’a que 35 ans, et s’impose déjà comme l’un des cinéastes à suivre (et pas seulement venus d’Iran). Son prochain film, Woman and Child, a été présenté au dernier festival de Cannes. On a hâte…

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