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Archive pour la catégorie 'par réalisateurs'

L’Atlantide (Antinea, l’amante della città sepolta) – d’Edgar G. Ulmer (et Giuseppe Masini, et Frank Borzage) – 1961

Posté : 22 décembre, 2024 @ 8:00 dans 1960-1969, BORZAGE Frank, MASINI Giuseppe, ULMER Edgar G. | Pas de commentaires »

L'Atlantide 1961

Frank Borzage est tombé malade quelques jours seulement après le début du tournage, remplacé par le pas manchot Edgar G. Ulmer (seul crédité au générique) et par l’inconnu de mes services Giuseppe Masini. Et je ne sais pas trop ce qu’il faut en penser : regretter qu’il n’y ait pas derrière la caméra un cinéaste à l’univers aussi fortement romanesque que Borzage, ou se réjouir que son immense carrière ne se termine pas officiellement par ce film d’aventure que j’aurais sans doute trouvé trépidant à 11 ans, devant la télé familiale ?

Ne refaisons pas l’histoire… Cette énième adaptation du roman de Pierre Benoît (après celle de Feyder et celle de Pabst quand même, comment rivaliser…), modernisée et mise au goût du jour atomique de ce début des années 1960, est un film d’aventure comme on en tournait alors des dizaines, une espèce de grosse production fauchée pas si mal fichue, mais au scénario vraiment impossible.

Un exemple de dialogue, juste pour le plaisir. « Je ne veux pas mourir », lance une jeune femme avec beaucoup d’esprit. « Ce serait une injustice… tu es trop jolie », rétorque le jeune premier dont elle est tombée amoureuse. Autrement dit : si tu avais été moche ma grande, tu n’aurais qu’à prendre sur toi et te laisser mourir bien gentiment. Et sachant que l’élégant jeune homme qui lance cette réplique s’appelle Jean-Louis Trintignant, voilà une bonne raison de voir le film. Au second degré.

L’histoire, on la connaît : des Européens perdus dans le désert se retrouvent par hasard dans la cité perdue mythique de l’Atlantide, faux paradis et vraie dictature dont ils réalisent bientôt qu’ils sont prisonniers. Seule nouveauté : l’explosion imminente d’une bombe atomique, ce coin paumé du désert ayant été choisir pour un essai qui promet d’éradiquer pour de bon cette cité disparue.

Pas si mal fichue, donc, parce qu’on ne s’ennuie pas vraiment : le rythme est impeccable, et la séquence de la tempête est même franchement tendue, et très joliment éclairée (par Enzo Serafin, chef op de Rossellini pour Voyage à Rome ou d’Antonioni pour Chronique d’un amour), baignée d’un bleu profond et dramatique.

Mais que le scénario est poussif, bourré de détails très cons. Un exemple, encore : pour sauver un homme en train de se noyer dans 10 centimètres d’eau cinq mètres plus bas, Trintignant, courageux, demande à son pote de le suspendre en le tenant par les chevilles. Si. La mise en scène, visiblement très partagée entre les trois réalisateurs qui se sont succédé, ne sauve pas toujours la situation. On parle de ce plan cadrant un tout jeune Gian Maria Volonte à travers les jambes de son adversaire ?

Reste le plaisir de découvrir une authentique curiosité, dont Trintignant n’a pas dû beaucoup se vanter dans les décennies qui ont suivi. Et d’ajouter une pierre, certes mineure, à la découverte des filmographies de Borzage (qui avance) et d’Ulmer (qui piétine).

L’Homme le plus laid du monde (The Way of the Strong) – de Frank Capra – 1928

Posté : 21 décembre, 2024 @ 8:00 dans * Films de gangsters, 1920-1929, CAPRA Frank, FILMS MUETS | Pas de commentaires »

The Way of the Strong

En commençant son film par une course-poursuite pleine de rythme et de fureur, Capra donne le ton de ce film, qui doit plus à la mode du film de gangsters (très en vogue depuis le Underworld de Josef Von Sternberg) qu’à l’émergence de son propre style, déjà tangible dans The Matinee Idol, sa précédente réalisation.

The Way of the Strong n’est pas un Capra classique, pas tel qu’on l’imagine. Mais un film auquel le cinéaste apporte un ton singulier, un mélange d’humour et de gravité, et cette extraordinaire maîtrise du rythme qui est son indéniable marque.

Son héros s’appelle Handsome Williams. Mais, ironiquement, il est d’une laideur repoussante. Il est aussi un bootlegger en guerre ouverte avec le chef d’un autre gang de trafiquants, dont il vole toutes les cargaisons avec un plaisir sadique.

Mais l’homme est aussi transi d’un amour secret pour une belle violoniste aveugle, qui se retrouve prise au cœur de cette guerre de gangs, mais aussi d’une rivalité entre Handsome et son protégé, beau gosse lui, qui tombe également amoureux de la belle aveugle.

Le film n’a pas l’âpreté réaliste d’Underworld. Du vrai monde, Capra ne filme finalement pas grand-chose, résumant son univers à deux repères de contrebandiers et à leurs habitués, ne montrant rien du monde extérieur, si ce n’est quelques plans de rues et routes désertes, ou fréquentées par des policiers.

Et, donc, cette jeune femme aveugle ballotée d’un gang à l’autre, d’un amoureux à l’autre, d’un repère à l’autre, centre d’intérêt constamment tiraillée, incarnation du rythme même de ce film mené sans temps mort.

Capra a déjà fait plus personnel, sans même parler de ses nombreux chefs d’œuvre à venir. Mais ce n’est pas une raison pour négliger ce film, lui-même tiraillé entre le mélo et le film noir, avec même des tentations de comédie malgré un final rudement dramatique, porté surtout par un Mitchell Lewis d’une intensité folle dans le rôle de Handsome, brute étonnamment émouvante.

Sherlock Holmes à Washington (Sherlock Holmes in Washington) – de Roy William Neill – 1943

Posté : 20 décembre, 2024 @ 8:00 dans * Films noirs (1935-1959), 1940-1949, NEILL Roy William, Sherlock Holmes | Pas de commentaires »

Sherlock Holmes à Washington

Après avoir quitté le XIXe siècle pour participer à l’effort de guerre (à partir de La Voix de la Terreur), Holmes et Watson quittent l’Angleterre pour cette nouvelle enquête, cinquième épisode de la longue série de films portés par Basil Rathbone et Nigel Bruce.

Direction Washington, donc, pour un grand voyage transatlantique à la recherche d’un mystérieux document dont dépend le sort du monde, et surtout d’une amitié anglo-américaine, seul rempart contre le totalitarisme.

Il y a un immense penchant bi-patriotique dans ce film qui participe à l’effort de guerre, et qui ne fait pas dans la dentelle, notamment dans sa manière de présenter les symboles de la démocratie américaine, le Lincoln Memorial ou le Capitol.

Pourtant, le film est passionnant. Ni novateur, ni vraiment surprenant, mais réalisé avec une grande efficacité par Roy William Neill, qui fait des merveilles de ses contraintes de production : un budget sans doute pas extensible, et un format minimal d’à peine plus d’une heure. L’obligation d’aller à l’essentiel, de faire concis et percutant.

La première séquence est particulièrement réussie : ce long prologue plein de suspens qui noue le drame, avant l’apparition des deux héros. C’est même un modèle de précision et de concision dans les espaces exigus d’un avion, et surtout d’un train, pour une séquence d’une grande efficacité. La suite est un peu plus convenue, mais c’est du pur cinéma du rythme, pas hyper ambitieux, mais très divertissant.

Men at work (id.) – d’Emilio Estevez – 1990

Posté : 19 décembre, 2024 @ 8:00 dans * Thrillers US (1980-…), 1990-1999, ESTEVEZ Emilio | Pas de commentaires »

Men at work

Tout cinéphile a-t-il une année fondatrice de sa cinéphilie ? Pour moi, c’est 1990. 14 ans, une passion qui prend son essor, l’envie de tout voir, tout découvrir, les heures plongé dans les magazines de cinéma… Et depuis, un lien presque intime avec tout film de cette période, y compris ceux que je n’ai fait que fantasmer alors, et depuis lors.

C’est le cas de Men at work, jamais vu jusqu’à présent, mais qui fait pourtant partie de mon univers cinéphilique depuis plus de trente ans. Parce qu’il date de 1990, et que les photos dans les magazines, la bande annonce et tout ce que j’ai pu en lire ou en voir restent imprégnés dans la partie socle cinéphilique de mon cerveau.

Longue intro, oui, et toujours pas un mot sur le film lui-même. Mais il y a une raison à ça : j’ai bien plus à dire sur les raisons qui me donnaient envie de le voir que sur le film à proprement parler, dont le vague intérêt repose sur cette particularité : les deux héros, joués par les frangins Charlie Sheen et Emilio Estevez, sont des éboueurs. Ce qui, dans le cinéma américain (ou de n’importe quel pays d’ailleurs), est rare.

Pour le reste… Emilio Estevez, acteur sympathique mais un peu fade des années 80, est un scénariste et un réalisateur au talent discutable, qui semble totalement en roue libre avec ce film, faux polar qui commence comme un thriller vaguement politique (un élu est assassiné parce qu’il voulait dénoncer un scandale environnemental) qui tourne vite à la comédie, et même à la grande farce cartoonesque.

Dans cette histoire totalement idiote, les deux frangins trouvent un cadavre dans un baril, le gardent avec eux plutôt que de prévenir la police, font équipe avec un vétéran du Vietnam complètement ravagé, prennent en otage un livreur de pizzas, réalisent des pièges lance-merde, affrontent des méchants flegmatiques et des policiers hystériques…

Bref : du grand n’importe quoi, jamais excitant, jamais vraiment drôle, et baignant dans une musique électro-pourrie très 80s. Mais bon, c’est 1990. Et ça fait bien plaisir d’ajouter ça à ce blog. C’est bizarre, un cinéphile.

La 25e heure / 24 heures avant la nuit (25th hour) – de Spike Lee – 2002

Posté : 15 décembre, 2024 @ 8:00 dans 2000-2009, LEE Spike | Pas de commentaires »

La 25e heure.jpg

C’est le premier film important tourné à New York après les attentats du 11 septembre 2001, et ça n’a rien d’anodin. Spike Lee, grand cinéaste new-yorkais au même titre que Scorsese ou Woody Allen, capte les mutations de cette ville qu’il a si souvent filmée, l’ambiance si particulière, et ce Ground Zero que les engins continuent à déblayer jour et nuit, sous les fenêtres de l’appartement luxueux de l’un des personnages.

Il n’est jamais directement question des attentats dans La 25e heure (rebaptisé 24 heures avant la nuit pour des problèmes de droits). Pourtant, leur souvenir plane constamment sur ce beau film, qui s’ouvre d’ailleurs sur la fameuse skyline, deux colonnes de lumière remplaçant les tours jumelles dans une image qui prend aux tripes, et qui installe une atmosphère lourde et déchirante.

Rien à voir avec l’histoire, donc, si ce n’est qu’il est question d’un monde qui s’effondre : celui de Monty (Edward Norton, magnifique), petit dealer à qui il reste 24 heures de liberté avant d’aller purger la peine de sept ans de prison à laquelle il a été condamné. Sept ans, toute une vie… Et ce n’est pas le moindre mérite de Spike Lee que de mettre du poids derrière cette durée : sept ans de prison, c’est long.

Et 24 heures, c’est court, pour mettre ses affaires en ordre, et quitter comme il faut les personnes qui comptent vraiment : sa petite amie dont il se demande si ce n’est pas elle qui l’a dénoncé, son père avec qui il a du mal à échanger, et ses deux amis d’enfance dont il s’est pourtant éloigné en choisissant sa vie de trafic. 24 heures pour les retrouver tous, et mieux pouvoir leur dire au-revoir.

La 25e heure est une merveille, dont j’ai toujours pensé (alors et depuis) que c’était le chef d’œuvre de Spike Lee. Son Carlito’s Way à lui, une sorte de miracle de cinéma, dont le mouvement et le ton s’épousent parfaitement pour donner corps au désespoir, aux regrets et à la soif de vie du personnage principal, et de ses proches, dans des virées nocturnes et diurnes déchirantes.

Au passage, Spike Lee confirme qu’il est, outre un cinéaste au style très affirmé et immédiatement identifiable, un grand directeur d’acteur. Rosario Dawson a rarement été aussi bien que dans le rôle de la petite amie qui prend les soupçons contre elle comme une double peine. Barry Pepper est d’une intensité folle en trader carnassier qui cache sa douleur derrière une façade d’arrogance.

Philip Seymour Hoffman impressionne en prof frustré qui se laisse déborder par une élève trop jeune et trop femme à la fois. Et Brian Cox est bouleversant dans le rôle de ce père maladroit qui ne sait comment retenir son fils. Les scènes qu’ils partagent sont peut-être les plus belles de ce film qui porte en lui tous les regrets du monde, un grand cri étouffé face à l’ampleur du gâchis.

Terminator : Dark Fate (id.) – de Tim Miller – 2019

Posté : 14 décembre, 2024 @ 8:00 dans 2010-2019, ACTION US (1980-…), FANTASTIQUE/SF, MILLER Tim | Pas de commentaires »

Terminator Dark Fate

Terminator, premier du nom, a révélé un cinéaste, James Cameron. Terminator 2 a révolutionné le cinéma hollywoodien à grand spectacle. Et depuis trente ans que Cameron est passé à autre chose, la série n’a cessé de se chercher, d’hésiter sur la voie à suivre, et même de faire demi-tour, passant de la suite-remake vaguement parodique (Terminator 3) au dynamitage en règle (Genysis), essayant même de se passer de Schwarzenegger, de toute façon occupé par sa carrière de gouverneur (Renaissance). Sans jamais convaincre.

Voir James Cameron revenir aux affaires, avec ce sixième film basé sur une histoire qu’il a imaginée, avait de quoi redonner un peu d’optimisme aux fans de la première heure. Le fait que Linda Hamilton reprenne son rôle de Sarah Connor aussi, tant elle était l’âme des deux premiers films. Quant à la volonté de tirer un trait sur les trois suites tournées depuis 1991… eh bien pourquoi pas !

L’histoire, d’ailleurs, en vaut une autre (on sent l’enthousiasme ?). Le danger Skynet écarté, on découvre que, l’homme étant indécrottable, il va quand même créer des machines qui finiront par prendre le pouvoir et à exterminer une grande partie de l’humanité. On apprend aussi qu’un espoir renaîtra grâce à une personne qui saura mobiliser les survivants. Les robots du futur envoient donc un Terminator (encore plus sophistiqué que les précédents, évidemment) pour dézinguer le futur sauveur. De son côté, la rébellion envoie un super-soldat. La routine, quoi.

On serait même dans un remake quasi parfait de l’original s’il n’y avait… Sarah Connor et le T1000 qui se joignent à la fête : Linda Hamilton et Schwarzenegger en personne, vieillis mais toujours coriaces, hantés par des années de combats pour la première… et par une vie de famille inattendue pour le second (oui, oui, c’est dire si la machine est proche de l’homme).

L’histoire n’apporte rien d’autre qu’une nouvelle occasion de relancer la machine, pour pouvoir espérer de nouvelles suites et de nouvelles rentrées d’argent. Ce qui ne serait pas si grave si Tim Miller apportait quelque chose. Le réalisateur a de l’imagination pour filmer des scènes d’action toutes plus démesurées les unes que les autres, reconnaissons lui ça, avec efficacité, et avec une certaine lisibilité de l’action, ce qui n’est pas si courant.

Mais ces scènes d’action gavées d’effets numériques envahissants ressemblent à toutes celles de l’immense majorité des blockbusters actuels : un déluge d’effets numériques envahissants, auquel il manque la patte d’un vrai cinéaste, l’aspect rugueux et tangible des premiers opus. Un réalisateur aussi puissant que James Cameron donc, voire même un solide artisan comme Jonathan Mostow (T3). Et si, quand on n’avait rien à dire, rien de neuf à ajouter, le mieux était juste de passer à autre chose…

La plus précieuse des marchandises – de Michel Hazanavicus – 2024

Posté : 13 décembre, 2024 @ 8:00 dans 2020-2029, DESSINS ANIMÉS, HAZANAVICUS Michel | Pas de commentaires »

La Plus précieuse des marchandises

Serge Hazanavicus a une propension assez réjouissante à ne jamais être là où on l’attend. Refusant de se laisser enfermer dans des cases trop faciles, il n’a cessé de prendre le contre-pied de lui-même, fuyant les comédies-pastiches après OSS 117 et sa suite, ou une carrière américaine toute tracée après les Oscars de The Artist.

Et il parvient encore à nous surprendre, en se lançant dans le film d’animation. Et dans le conte. Et dans le récit de la Shoah. Autant dire que l’ambition est grande. Et le résultat est beau, sincère, humble, et d’une délicatesse qui n’étonnera pas les admirateurs du cinéaste, confronté comme tant d’autres avant lui à la même problématique : comment représenter la Shoah.

La forme du conte, avec la belle voix off de Jean-Louis Trintignant (dans son tout dernier rôle au cinéma), permet à Hazanavicus de viser l’abstraction, en ne montrant des camps d’extermination que des visages émaciés, des regards hallucinés, et des visions cauchemardesques. Littéralement : comme sorties des rêves horrifiés de ceux à qui on a tout pris.

Jean-Claude Grumberg, dont la famille a été décimée dans les camps de la mort, a écrit le conte. Hazanavicus le porte à l’écran avec un grand respect, et avec la volonté de mettre en valeur la dignité de ses personnages, qu’il a lui-même dessinés dans une sorte d’épure qui colle parfaitement au ton du film.

Le conte, donc, une sorte de contre-pied au Petit Poucet, cette histoire idiote… « Où a-t-on vu des parents abandonner un enfant parce qu’ils n’avaient pas de quoi le nourrir », ironise la voix de Trintignant. Là aussi, un pauvre bûcheron et une pauvre bûcheronne, une forêt, un enfant perdu… Mais cet enfant, c’est un bébé lancé d’un train fonçant vers la mort par un père désespéré.

C’est un « sans-cœur », comme les appellent les gens d’ici, dans ce film où le mot « Juif » n’est jamais prononcé. Un sans-cœur recueilli par pauvre bûcheronne, mais dont pauvre bûcheron ne veut pas, jusqu’à ce qu’il découvre qu’il a un cœur. Le conte est bouleversant, révoltant, et beau, dans ce qu’il dit de l’autre, de la différence, de l’attention.

La Plus précieuse des marchandises est un film dur, cruel, mais aussi plein de vie. Et Hazanavicus réussit le miracle de ne jamais être larmoyant. Pas facile, avec une telle histoire. Cette délicatesse constamment tenue, et l’élégante épure des dessins et de l’animation, en font une belle et grande réussite.

La Maman et la Putain – de Jean Eustache – 1973

Posté : 10 décembre, 2024 @ 8:00 dans 1970-1979, EUSTACHE Jean | Pas de commentaires »

La Maman et la Putain

Faut avouer, l’idée de se lancer dans un film de 3h40 essentiellement basé sur des réflexions plus ou moins existentielles autour d’un triangle amoureux, en 16 mm et en noir et blanc… a priori, ça n’est pas ce qu’il y a de plus excitant pour se délasser après une longue journée de boulot. Mais bon, c’est Eustache, c’est son premier (très) long métrage de fiction, il y Jean-Pierre Léaud et Bernadette Lafont, et la réputation de dingue que traîne depuis des décennies ce film qui fut longtemps très difficile à trouver.

Ma découverte du cinéma d’Eustache étant chronologique, La Maman et la Putain était de toute façon la prochaine étape. Alors lançons-nous… Eh bien il faut à peu près 3 minutes 30 pour être emporté par les déambulations et les réflexions d’Alexandre, cet oisif revendiquant son refus de se plier aux codes sociaux, son dégoût du travail et des couples bien installés. Jean-Pierre Léaud, plus fascinant que jamais, plus juste et profond, aussi.

Son phrasé si particulier est pourtant poussé à l’extrême, déroutant même durant ces premières 3 minutes 30, comme si Eustache l’avait incité à surjouer cette manière languide et récitante de parler. Cette impression semble d’ailleurs confirmer par les seconds rôles, eux aussi extrêmes dans cette manière si Nouvelle Vague de dire son texte. Texte paraît-il très écrit par un Eustache, auteur total de son film.

C’est sans doute l’une des raisons pour lesquelles La Maman et la Putain est un film si fascinant. Il donne le sentiment d’être un autoportrait de Jean Eustache lui-même, de ses anecdotes de vie et de ses réflexions sur le monde, les rapports humains, le mouvement de libération des femmes, la lumière dans les restaurants, la température idéale de la nourriture, le mariage et le cinéma… Comme si, dans ce film très bavard, très écrit et très maîtrisé, il avait voulu donner une forme aux pérégrinations de son esprit.

Le résultat est fascinant, bouillonnant, euphorisant ou agaçant, mais toujours passionnant. La durée du film faisait peur ? C’est cette durée même qui donne son poids à ce film qui à la temps de nous emporter loin, très loin dans la complexité de l’âme et des rapports humains, avec ces trois personnages si différents, et si étonnants, proposition cinématographique presque inédite par sa durée, sorte de fresque mentale intimiste d’une profondeur et d’une justesse absolues.

Léaud, qu’Eustache avait déjà dirigé dans son moyen métrage Le Père Noël a les yeux bleus, est exceptionnel dans le rôle d’Alexandre, tête à claque et beau parleur, dont la liberté revendiquée a un côté jusqu’au-boutiste presque désespéré. Le couple qu’il forme avec Bernadette Lafont, autre grande figure des débuts de la Nouvelle Vague, a une gueule folle. Dans le rôle de Marie, cette trentenaire dont l’apparence hyper sexuée cache une sensibilité à fleur de peau, elle est magnifique, troublante et touchante comme c’est pas possible.

Et il y a Veronika, la blonde faussement renfermée, dont la liberté de ton est comme une grenade dégoupillée : le rôle d’une vie pour Françoise Lebrun, à qui reviennent les dialogues les plus crus, et le monologue le plus mémorable, à la fin du film : long soliloque qui sonne comme un cri de désespoir, et dont la crudité même souligne avec cruauté le besoin de tendresse. Ce moment nous laisse, comme Alexandre et Marie, sidérés.

Le film est extrêmement dialogué. A propos de ce film, Jean Eustache disait qu’il préférait « filmer le récit de l’action que l’action elle-même ». Pourtant, La Maman et la Putain n’est pas que récit, n’est pas que dialogues. Il y a aussi beaucoup de regards, beaucoup de gros plans sur des visages. Et une importance paradoxale de la musique, dans un film dénué de tout accompagnement sonore autre que les sons produits devant la caméra.

Il faut dire que les personnages passent beaucoup de disques. De la musique populaires, toujours, de Mozart à Edith Piaf, que les trois héros écoutent assis sur un lit, le regard dans le vide, la musique habillant leur spleen dans de longs plans fixes, qui sont parmi les plus beaux du film. Des moments de pure grâce, que l’on doit à un cinéaste en état de grâce. On sent que j’ai aimé ?

Leurs enfants après eux – de Ludovic et Zoran Boukherma – 2024

Posté : 9 décembre, 2024 @ 8:00 dans 2020-2029, BOUKHERMA Ludovic, BOUKHERMA Zoran | Pas de commentaires »

Leurs enfants après eux

La comparaison de cette adaptation du prix Goncourt Nicolas Mathieu avec L’Amour ouf semble inévitable selon à peu près tous les critiques de cinéma. N’ayant pas vu l’énorme succès de Gilles Lellouche, je me permets d’éviter cette comparaison inévitable. De la même manière, n’ayant pas lu le roman de Nicolas Mathieu (mais que fais-je de mes soirées ?), je ne jugerais pas de la qualité de l’adaptation.

Le film, donc, et rien que le film. Un bien beau geste, à vrai dire, que ce portrait d’une époque à laquelle les frangins réalisateurs en étaient encore au biberon ou aux biscuits humides. Un film générationnel, presque, taillé pour des spectateurs de ma génération : celle qui avait 14 ans au début des années 1990, et qui a fait la fête avec tous les Français ce soir du 12 juillet 1998, sans pourtant aucun signe avant-coureur d’une quelconque passion pour le football…

Bref, il est question d’adolescence et d’une époque comme en suspens, qui plus est dans une région elle aussi en suspens : une vallée boisée de l’Est de la France, sinistrée par la fermeture des hauts fourneaux, qui cherche à se réinventer avec une piste de ski d’été… Le temps suspendu : l’adolescence, donc, à travers le parcours d’Anthony, joué par la grande révélation du Règne animal Paul Kircher, incarnation presque jusqu’au-boutiste de l’ado, jusqu’à l’acné envahissante.

L’histoire se déroule sur quatre étés fondateurs pour l’ado, que l’on voit se transformer subrepticement tout en restant foncièrement le même : 1992, 1994, 1996 et 1998, et autant d’étapes pour les relations fondatrices du jeune Anthony. Le coup de foudre qu’il éprouve pour « Stéph », cette fille « tellement belle » d’un milieu social bien plus élevé que le sien. L’animosité menaçante qui l’oppose à Hacine, le bledard qui se rêve en nouveau Scarface. Et ses liens si compliqués avec son père alcoolique et sa mère fanée avant l’heure.

Dans le rôle des parents, Ludivine Sagnier et Gilles Lellouche sont formidables. Parce que même si le film est entièrement construit autour de la trajectoire d’Anthony (bien plus que le roman, paraît-il), le titre lui-même souligne la place de ces parents, pas vieux mais plus jeunes pour autant, qui réalisent que c’est au tour de leur rejeton de découvrir les choses, de vivre intensément. Résignés, qu’ils sont. Ils sont justes, touchants, et parfois bouleversants, à l’image de ce moment où le père surprend le regard plein de jugement de ce fils à qui il n’a jamais su parler.

Ce fils qui vit son adolescence d’une manière, tout de même, particulièrement extrême, guidé par une sorte d’instinct mortifère qui semble mener le film vers le drame le plus profond, et la violence la plus radicale. Et c’est là qu’intervient un personnage qui semble simplifié à l’extrême par rapport au roman : Hacine, confiné au rôle de Némésis d’Anthony, grenade dégoupillée que l’on sent constamment sur le point d’exploser.

C’est pourtant lui qui, dans la dernière partie, passionne le plus. Là, il incarne à lui seul la complexité de cet âge de transition, à la fois la violence des passions et la naissance de la résignation. Et on se dit qu’il aurait mérité mieux que ce rôle un peu sacrifié, une place plus centrale. Parce que dans cette dernière partie, le couple impossible n’est plus celui que l’on imaginait jusque là. Dans une virée nocturne à moto, ce duo là est aussi troublant que touchant.

Le Cochon – de Jean Eustache et Jean-Michel Barjol – 1970

Posté : 8 décembre, 2024 @ 8:00 dans 1970-1979, BARJOL Jean-Michel, DOCUMENTAIRE, EUSTACHE Jean | Pas de commentaires »

Le Cochon

Il manquait un snuff movie sur ce blog, non ? Le genre y fait enfin son entrée grâce à ce film, sans aucun doute le plus gore de ces pages. Cinq minutes à peine après le début du film, les cris de la victime, que l’on sait condamnée sans aucune chance de s’en sortir, sont franchement glaçants. Et le sang qu’y gicle de sa plaie profonde nécessite un cœur bien accroché. Le cadavre étant ensuite soigneusement écorché et dépecé, l’épreuve à laquelle est soumise le spectateur est encore loin d’être terminée.

Le spectateur cinéphile est décidément un animal bien curieux, capable, pour aller au bout d’une intégrale, de s’enquiller un documentaire rural filmant au plus près la mise à mort et le découpage… d’un cochon. Nous sommes dans une ferme française à l’ancienne. Nous sommes surtout dans la filmographie la plus obscure de Jean-Eustache, ici dans la veine ethnographique de La Rosière de Pessac.

Pas de voix off, pas d’enjeu dramatique à proprement parler (le seul suspense disparaît avec le cri du cochon), mais la vision directe et dénuée de tout jugement de deux réalisateurs, Eustache et Jean-Michel Barjol, qui filment chacun de leur côté les différentes étapes de ce qui est alors une tradition ancestrale encore très ancrée dans les campagnes : cette mise à mort et la préparation des morceaux de viande (140 kilos… tout est bon, dans le cochon) par les paysans du coin réunis pour l’occasion.

Sans aller jusqu’à se laisser aller à un quelconque enthousiasme, ces 50 minutes de film sont assez passionnantes dans ce qu’elles montrent d’une époque aujourd’hui (à peu près) révolue : à la fois le manque total de considération pour la souffrance du pauvre cochon, mais aussi la solidarité et la convivialité de ce monde paysan à l’ancienne, qui fait peu de cas des règles d’hygiène (tout est fait sur la paille ou sur la table), mais beaucoup de la chaleur humaine.

La beauté du film réside d’ailleurs dans les détails : une vieille femme qui part à la cueillette, un chien qui guette attiré par le sang, un paysan fier de son coup de couteau, un autre entonnant une chanson à boire avec un grand sourire. Une vie d’un autre temps, pas si lointain, dont Barjol (issu d’un milieu paysan) et Eustache (urbain pur et dur) sont les témoins sensibles et honnêtes.

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