Play it again, Sam

tout le cinéma que j’aime

Archive pour la catégorie 'OZU Yasujiro'

Le Goût du Saké (Sanma no aji) – de Yasujiro Ozu – 1962

Posté : 13 décembre, 2018 @ 8:00 dans 1960-1969, OZU Yasujiro | Pas de commentaires »

Le Goût du saké

Jusqu’au bout, Ozu sera resté fidèle aux thèmes qui hantent son cinéma depuis les années 20 : le contraste omniprésent entre la tradition et la modernité, avec l’arrivée de la culture américaine qui vient bouleverser ce Japon encore si attaché à cette tradition dans ce qu’elle a de plus séduisant, mais aussi de plus inhumain.

Dès les premières images, on retrouve dans Le Goût du Saké cette petite musique envoûtante qu’on aime tant chez Ozu. Cette douce mélancolie aussi, cette bienveillance de chaque instant, et cet acteur merveilleux, Chishu Ryu, que l’on a vu vieillir devant la caméra d’Ozu durant trois décennies.

Dans la vie de son personnage, petit employé modeste aux journées parfaitement réglées, comme dans le cinéma d’Ozu d’ailleurs, rien ne semble avoir changé depuis des décennies. Sauf que si, il y a ces petits détails parfois à peine perceptibles : cette fille qui a grandi sans qu’on s’en aperçoive vraiment, la retraite qui approche sans qu’on s’y soit préparé, ou encore cette modernité environnante qui, mine de rien, ont fait de cet homme et de sa maison à l’ancienne des sortes de fantômes d’un ancien temps.

Et lorsque les enfants quittent ces belles maisons traditionnelles, chaleureuses et accueillantes, c’est pour aller s’installer dans des tours de bétons post-guerre mondiale. Tout un symbole pour cet homme qui n’a pas pris le temps de mesurer le temps qui passe, et qui réalise qu’il est temps pour sa fille de trouver un mari, et pour lui de se retrouver seul. La fin d’une époque.

Alors évidemment, il y a de tristesse et de la mélancolie. Mais il y a aussi une pudeur et une élégance de chaque instant. Et une manière très personnelle pour Ozu de souligner la vie qui passe et que rien ne n’arrête par la multiplication de plans où la profondeur de champs est soulignée par des couloirs, des allées, des cadres dans le cadre. Visuellement, c’est magnifique. Beau et émouvant, un bien beau film pour clore une immense carrière.

Récit d’un propriétaire (Nagaya shinshiroku) – de Yasujiro Ozu – 1947

Posté : 7 novembre, 2014 @ 2:06 dans 1940-1949, OZU Yasujiro | Pas de commentaires »

Récit d’un propriétaire

Premier film tourné par Ozu après une interruption de plusieurs années due à la guerre, Récit d’un propriétaire est une œuvre au ton singulier, à part dans sa filmographie.

Reprenant sa thématique des Gosses de Tokyo, il signe ce qui ressemble au premier abord à une sorte de farce à la fois tendre et légère. Il y a une vraie dérision presque comique dans la manière dont il filme la cohabitation forcée entre un gamin perdu et l’une des locataires qui l’ont recueilli. Partant à la recherche du père dont on ne sait s’il a perdu ou abandonné son fils, elle tente de le semer pour se débarrasser de cet encombrant cadeau du ciel…

Mais la tendresse et l’amour maternel ne sont jamais loin chez Ozu. Avec même une vraie cruauté, face au sort réservé au gamin, à sa solitude. On se déplace beaucoup dans ce film, on sourit beaucoup, on chante, même, lors d’une soirée entre voisins qui apparaît comme une parenthèse joyeuse et nostalgique. Pourtant, en filigrane, il y a cette évocation d’un Japon qui ne se relève pas encore de la guerre.

Les maisons sont des bicoques perdues dans des terrains vagues, les personnages portent des vêtements élimés, la nourriture est chère et rare, les enfants ne jouent pas aux jeux de leur âge, et les papas sont absents…

Ozu, pourtant, affiche un vrai optimisme dans ce film. Face aux épreuves, la solidarité est certes relative (surtout au début, lorsque chacun se rejette la garde de ce gamin perdu) mais existe bien. Et de cette situation naît une vocation de mère, et l’espoir pour un enfant sans avenir… Une étincelle qui illumine ce film court et précieux.

Printemps tardif (Banshun) – de Yasujiro Ozu – 1949

Posté : 26 août, 2014 @ 4:06 dans 1940-1949, OZU Yasujiro | Pas de commentaires »

Printemps tardif

L’attachement à la figure du père est une nouvelle fois au cœur de ce film d’une beauté à la fois simple et déchirante du grand Ozu. Avec, déjà, Chishu Ryû et Setsuko Hara, les futurs interprètes de Voyage à Tokyo, respectivement père veuf et vieillissant, et fille trop attachée à la vie avec lui pour envisager sereinement de se marier… Rien de plus : juste les quelques mois qui séparent l’enfant de la femme, et la difficulté de rompre ce lien filial qui suffit au bonheur de la jeune femme…

Ce n’est que le troisième film d’Ozu depuis la longue interruption durant la guerre. Le Japon qu’il y montre n’est plus tout à fait le même que lors de ses débuts. La tradition est toujours là : les rituels du thé et (et surtout, ici) du saké sont plus importants que jamais, dans ces intérieurs qui semblent ne porter aucune trace de la décennie qui vient de s’écouler. Mais rien n’est plus tout à fait comme avant. Des publicités pour Coca, des panneaux de circulation en miles, des enfants qui jouent au base-ball, des voitures américaines qui conduisent des mariées très traditionnellement vêtues, et puis des divorces et des remariages, qui ne choquent plus grand monde…

C’est un pays en pleine mutation que filme mine de rien le cinéaste, à travers le portrait de cette jeune femme elle aussi à la croisée des chemins. Une jeune femme qui n’aspire qu’à conserver, ou retrouver, l’harmonie de son enfance. Au détour d’un dialogue, et malgré le sourire éclatant qu’elle arbore constamment, en tout cas dans la première partie du film, Ozu nous glisse à l’oreille qu’elle a été malade, peut-être gravement, souffrant vraisemblablement des privations de cette guerre qu’on n’évoque qu’avec une légèreté apparente. Est-ce pour cela qu’elle est la dernière de ses camarades de lycée à se marier, certaines de ses amies ayant déjà quatre enfants, d’autres en étant à leur deuxième mariage…

L’arrière-plan historique n’est pas anodin. Pourtant, c’est une histoire universelle qu’Ozu raconte : celle d’un père et de son enfant à l’aube de l’âge adulte. Et on sent bien l’admiration qu’a Ozu (qui, lui, n’a jamais quitté le foyer parental) pour ce père, dont il fait un homme totalement tourné vers le bonheur de sa fille, feignant une quasi-indifférence à l’idée de son départ. Parfois un peu maladroit, lorsqu’il suit les conseils de sa sœur (ou est-ce sa belle-sœur ?) pour inciter sa fille à se marier. Parfois presque comique, lorsqu’il tente d’interroger sa fille sur ses relations avec un jeune homme. Et puis soudain bouleversant et héroïque lorsque, le devoir accompli, il se retrouve seul…

Avec cette histoire d’une simplicité confondante, Ozu signe un film superbe et plein de vie. Des petits riens du quotidien, le cinéaste fait des moments forts et intenses. Comme souvent dans son cinéma, l’émotion émerge de recoins totalement inattendus. Un plan sur le père et la fille assistant à une représentation de théâtre nô, le regard du père face au fou-rire de sa fille, une intimité qui se noue autour d’une table basse… Et derrière tout ça, l’imminence du départ, inéluctable et déchirant.

• Le film figure dans le coffret que Carlotta a consacré à Ozu, avec quatorze de ses films.

Histoires d’herbes flottantes (Ukikusa monogatari) – de Yasujiro Ozu – 1934

Posté : 21 août, 2014 @ 1:57 dans 1930-1939, FILMS MUETS, OZU Yasujiro | Pas de commentaires »

Histoires d’herbes flottantes

Le cinéma d’Ozu est décidément un bonheur de chaque instant. Quelle beauté, encore, que ce film tardivement muet (le cinéaste ne passera au parlant qu’avec Le Fils unique, deux ans plus tard), où les relations filiales, que l’on retrouve tout au long de son œuvre, sont une nouvelle fois complexes et bouleversantes.

Cette fois, c’est dans un milieu artistique qu’il connaît bien qu’il situe son histoire. Le héros est un petit comédien sans grand talent, chef d’une troupe itinérante que le train ramène, après quatre ans d’absence, dans un petit village où elle doit s’installer pour un temps. Ce village, Kihachi, le chef de troupe, le connaît bien : c’est là que vit son ancienne maîtresse, qu’il avait rencontrée lors d’une tournée il y a bien longtemps de cela, et avec qui il a eu un enfant. Ce dernier a grandi, est un étudiant plein d’avenir, et pense que son vrai père est mort : Kihachi ne serait qu’un oncle un peu inconsistant que l’on est toujours heureux de revoir…

Les retrouvailles entre l’acteur vieillissant et son ancienne maîtresse, qui évoquent leur fils en buvant du saké (les traditions japonaises sont toujours très présentes chez Ozu, comme un contrepoint à la modernité et à l’occidentalisation de la société), est une merveille. Glissant doucement de l’ivresse des retrouvailles la conscience douloureuse de la longue absence, la caméra d’Ozu scrute les visages et y décèlent des trésors de souffrance, chez cet homme qui ne peut qu’observer de loin en loin ce fils aimé grandir loin de lui…

Ozu donne une image sans complaisance du théâtre, ôtant toute dimension romantique à cette troupe dont le quotidien semble n’être fait que d’ennui et d’attentes interminables. Surtout, il oppose la condition d’homme de troupe aux aspirations de père de famille. La vie facile que Kihachi a sans doute choisie s’est transformée en une vie de sacrifice, que les trop longues absences ont rendu insupportables.

Les moments que le jeune homme passe avec son « oncle » n’en sont que plus précieux. Père et fils qui pêchent côte à côte dans le fleuve… Une scène simple et touchante qui renvoie à un autre film de Ozu, Il était un père.
Le film est une splendeur, terriblement émouvant et émaillé de fulgurances de mise en scène, comme cette dispute entre l’acteur et sa maîtresse officielle séparés par un épais rideau de pluie. Comme souvent chez Ozu, le décor et les objets jouent un rôle important dans le langage cinématographique. Cette constante troupe son apogée lors d’une séquence en apparence anodine, entre le fils de l’acteur et la jeune fille, comédienne elle aussi, dont il est tombé amoureux…

Alors que le jeune couple est côte à côte, insouciant, la soudaine apparition d’un train (figure récurrente dans le cinéma de Ozu), vient les tirer de leur rêverie, rappelant la jeune actrice à la réalité, et à l’imminence du moment où elle devra reprendre la route avec la troupe. Cette séquence, rythmée par les rails et la présence du vélo du jeune homme, éléments de décors qui semblent éloignés les amants l’un de l’autre, est d’une intelligence narrative et d’une beauté impressionnantes. Un chef d’œuvre, dont Ozu signera lui-même un remake en 1959, Herbes flottantes.

• Le film figure dans le formidable coffret DVD édité chez Carlotta, dans une version sans accompagnement musical. Un étrange choix éditorial, mais qui ne gâche en rien le plaisir immense que procure le film.

Il était un père (Chichi ariki) – de Yasujiro Ozu – 1942

Posté : 22 mai, 2014 @ 2:00 dans 1940-1949, OZU Yasujiro | Pas de commentaires »

Il était un père

Ozu signe une œuvre magnifique sur les liens entre un fils et son père. Un film d’une douceur extrême dominé par un sentiment d’amour filial éperdu d’une pureté et d’une beauté qui déchirent le cœur.
Après la mort de l’un de ses élèves lors d’un voyage scolaire, un professeur démissionne et se retire dans sa province natale. Il envoie son jeune fils, âgé d’une dizaine d’années, étudier dans la grande ville, tandis que lui retrouve un travail qui lui permet d’assumer l’éducation de son fils. Les années passent, et le fils n’a qu’un rêve : vivre avec son père.

Ozu a sans doute mis beaucoup de lui-même dans ce film, s’inspirant visiblement de sa propre expérience : son père l’avait envoyé étudier à Kyoto lorsqu’il avait 10 ans, et le jeune Yasujiro est resté en pension pendant dix années, ne retrouvant le cercle familial que lorsqu’il a eu 21 ans. Cet éloignement a-t-il eu une influence sur l’univers de Ozu, le cinéaste de la famille ? Il en a en tout cas eu un pour ce film, entièrement basé sur cette relation filiale à distance, qui est aussi l’histoire d’un passage : celui de l’enfance à l’âge adulte.

Cette relation père-fils est bouleversante, alors même que Ozu semble tout faire pour éviter l’émotion trop facile, et les rebondissements romanesques. La mort même de l’étudiant, pourtant tragique et à l’origine de cet éloignement, est ainsi filmé avec une pudeur et une économie de moyens étonnants : une série de plans quasi muets, qui se clôt par une vue de l’embarcation retournée sur le lac.

De la même manière, le père et son fils sont filmés avec une sublime simplicité, qui souligne constamment la pureté de leur amour. Lorsque ces deux-là son ensemble, le temps semble s’arrêter autour d’eux : les scènes de pêche à la ligne le montrent bien, symboles même de l’innocence perdue de l’enfance pour ce fils qui grandit loin de son père.

A grand coup d’ellipses audacieuses, Ozu filme le poids du temps qui passe, cruel lorsqu’il se met entre le père et son fils. Avec toujours ces plans sur des objets quotidiens qui soulignent la fugacité de ce qui se passe, et l’inéluctabilité de la fin.

Le film raconte une vie de sacrifice, celle d’un père qui cherche constamment à s’effacer pour laisser son fils trouver sa place dans la société, alors que ce fils ne vit que dans le souvenir de son enfance insouciante auprès de ce père qu’il chérit et idéalise sans doute, comme il idéalise ces parties de pêche éphémères. L’amour et la douleur ne sont jamais très loin, dans ce qui est sans doute l’une des œuvres les plus personnelles et les touchantes d’Ozu.

• Beaucoup de bonus passionnants pour ce film qui fait partie du coffret de 14 films d’Ozu édité chez Carlotta : des présentations et analyses par la traductrice Catherine Cadou, le critique Jean-Michel Frodon et le spécialiste Jean Douchet. A voir aussi, un beau portrait de Chisu Ryu, l’acteur fétiche d’Ozu, le père d’Il était un père.

La Danse du Lion (Kagamijishi) – de Yasujiro Ozu – 1935

Posté : 22 mai, 2014 @ 1:57 dans 1930-1939, COURTS MÉTRAGES, OZU Yasujiro | Pas de commentaires »

La Danse du Lion

Influencé par le cinéma américain à ses débuts, Ozu n’en est pas moins un cinéaste purement japonais qui a toujours inscrit ses films dans la culture de son pays. En 1935, il a déjà une solide carrière derrière lui, mais reste toujours fidèle au muet, contrairement à la plupart de ses compatriotes.

Ce court métrage semble être sa première incursion dans le cinéma « parlant » (il faudra attendre l’année suivante et Le Fils unique pour qu’il signe son premier long parlant). Musical, plutôt, puisqu’il s’agit de la « captation », comme on ne disait pas encore, de la « Danse du Lion » interprétée par Kikugorô Onoe VI, présenté comme l’acteur de kabuki le plus talentueux de sa génération.

Ozu ne s’est pas contenté de poser sa caméra au fond du théâtre : il y a là un vrai travail de cadrage et de montage pour communiquer le rythme du spectacle. La beauté de la danse et le talent de kikugorô Onoe sont assez difficiles à saisir pour un regard occidental peu habitué à ce genre de spectacle. Mais l’étrangeté des images et le rythme de la musique fascinent.

La voix off qui présente l’acteur-danseur et évoque la richesse de son art contribuent aussi à la réussite en mettant joliment dans l’atmosphère, introduisant peu à peu le personnage principal par une longue série de plans sur le théâtre vide, suivi de l’artiste « en civil » sur le point de se maquiller, le visage grave et impénétrable. Un témoignage étonnant et précieux.

• Le court métrage figure en bonus dans le coffret de 14 films d’Ozu édité récemment chez Carlotta.

Où sont les rêves de jeunesse ? (Seishun no yume imaizuko) – de Yasujiro Ozu – 1932

Posté : 21 mai, 2014 @ 5:19 dans 1930-1939, FILMS MUETS, OZU Yasujiro | Pas de commentaires »

Où sont les rêves de jeunesse

Encore une merveille signée Ozu, mais cette fois sur un ton de comédie, plutôt rare dans la filmographie du grand cinéaste japonais. Les thèmes qu’il aborde à cette période de sa carrière sont bien là : la filiation, la difficulté de trouver sa place dans une société en crise, le Japon entre tradition et modernité inspirée de l’Occident…

Il y a bien un peu de cette amertume que rencontrent souvent ses personnages, obligés de confronter leurs rêves de jeunesse aux réalités de la société (voir le magnifique Le Fils unique, par exemple). Mais l’amertume est cette fois un passage obligé vers un avenir conforme à ce que les personnages attendent. Ozu, ici, se montre volontiers potache (les tricheries durant l’examen) et léger, à défaut d’être insouciant.

Optimisme, légèreté et humour… Un cocktail auquel Ozu apporte une belle vivacité, avec une mise en scène d’une précision, d’une fluidité et d’une intelligence hors du commun. Comme Une femme de Tokyo, l’édition du film que propose Carlotta est vierge de tout accompagnement musical, et ce silence total souligne l’extraordinaire dynamisme de cette mise en scène parfaitement maîtrisée.

On y retrouve aussi l’influence, très présente avant guerre chez Ozu, du cinéma américain, à travers des affiches de film, et surtout un mode de vie que les jeunes personnages s’approprient avec délectation : des bières bues dans une réplique d’un café hawaïen, des étudiants en tee-shirts… Visiblement fasciné par cette imagerie qui rompt avec les vieilles traditions, Ozu confronte cette jeunesse américanisée aux traditions que représente une vieille baronne, dans une scène inspirée par le burlesque, au cours de laquelle notre héros repousse sans ménagement les avances d’une jeune et belle héritière…

Ce nouveau mode de vie, c’est le symbole de l’insouciance de la vie estudiantine, que le jeune héros doit quitter pour reprendre les rênes de l’usine familiale à la mort de son père. Cette insouciance qu’il cherchera à retrouver, en embauchant ses anciens camarades, puis en retrouvant une jeune serveuse qu’il a connue au lycée. Mais peut-il retrouver ce qui n’existe plus ? Etudiants, ils étaient tous égaux : l’héritier sûr de lui et insouciant comme l’orphelin bosseur et conscient que son avenir dépend de son diplôme. Mais dans la vraie vie, l’un est patron, l’autre est employé.

Tous finiront par se retrouver (autour d’un autre symbole américain : le base ball). Mais entre-temps, Ozu aura retrouvé sa veine tragique et critique lors d’une séquence déchirante, montrant la colère et l’incompréhension du jeune patron face à son ami, totalement soumis et asservi, prêt à sacrifier celle qu’il aime pour ne pas perdre ce travail dont dépend sa vie. Une parenthèse bouleversante dans un film qui, tout de même, met du baume au cœur.

• Le film fait partie de l’indispensable coffret de 14 films que Carlotta vient de consacrer à Ozu, avec de nombreux bonus : des analyses de plusieurs films, des documentaires, et même deux courts métrages tournés par le cinéaste dans les années 30.

Le Fils unique (Hitori musoko) – de Yasujiro Ozu – 1936

Posté : 3 mai, 2014 @ 5:03 dans 1930-1939, OZU Yasujiro | Pas de commentaires »

Le Fils unique

Comme Chaplin, Ozu est resté fidèle au cinéma muet plusieurs années après l’avènement du parlant. Ne croyant pas vraiment à cette nouvelle technique, dans un premier temps, il y vient tardivement, la même année que Les Temps modernes, qui marque les premiers pas de Chaplin dans le parlant. Avec, curieusement, un thème pas si lointain : la difficulté pour l’homme de trouver sa place dans une société marquée par l’industrialisation. Mais avec un regard ironique sur ce cinéma parlant que découvrent les personnages dans un cinéma qui projette La Symphonie inachevée, un film allemand de Willi Frost devant lequel s’endort la villageoise vieillissante en visite à Tokyo.

C’est l’histoire d’une mère, veuve et courageuse, et de son fils, qu’elle accepte d’envoyer au lycée pour qu’il réussisse à Tokyo, loin de leur village de montagne. Après douze ans de sacrifices pour payer les études de son fils, elle le retrouve finalement, et découvre qu’il mène une existence très modeste, ayant abandonné toute volonté de réussir et de « devenir quelqu’un ».

Tout le cinéma d’Ozu est là : ses plans fixes, ses cadrages magnifiques et son incroyable sens du montage. Avec une nouveauté de taille, quand même : le son, qu’il utilise avec beaucoup d’économie, et d’une manière souvent inattendue. Outre les dialogues (rares), le son sert beaucoup à mettre en valeur le hors-champs, particulièrement important dans ce film : l’épouse qui sanglote sans qu’on la voit, les bruits des usines qui rappellent constamment la pauvreté…

Ses thèmes récurrents sont présents aussi : les relations filiales, le poids du passé, celui de la société, ou encore le poids des études, passage obligatoire dont dépend toute la vie des jeunes Japonais, et sur lesquels reposent tous les espoirs, tous les rêves.

Il est question de rêves perdus, de fantasmes déçus. « Tu es déçue ? » demande le fils à sa mère à propos de la vie qu’il mène, dans une scène sublime les montrant se promenant dans le triste paysage d’un terrain vague autour d’une usine d’incinération de déchets. Perdus au milieu d’un étrange no man’s land, et soudain si proches.

Tokyo n’est décidément pas la ville qu’elle avait imaginée. Pas non plus celle qu’avait imaginée le brillant instituteur de leur village, parti à la capitale pour grimper dans la hiérarchie, et qui a dû se résoudre à cuisiner de la viande dans un boui-boui paumé.

La grande ville qui tue les rêves et nie les personnalités ? Pas si simple. Ozu ne montre de Tokyo que quelques plans en contre-plongée (le regard d’une touriste qui découvre le gigantisme et les grandes constructions en cours) et surtout le quartier excentré dans lequel vit le fils avec sa petite famille, plus proche d’un village pauvre et traditionnel que d’une capitale. Le cinéaste n’accable jamais la ville. Ce n’est pas elle que blâme la mère, mais ce fils pour lequel elle a tout sacrifié, et qui baisse les bras alors qu’il n’est qu’au début de sa vie.

Un reproche d’abord silencieux, mais qui finit par éclater alors que la mère et le fils retrouvent une intimité que les années d’éloignement avait estompée. C’est poignant, d’une élégance folle, d’une délicatesse infinie. Magnifique, quoi…

• Le film fait partie du coffret de 14 films que Carlotta vient de consacrer à Ozu, avec de nombreux bonus, notamment une longue évocation de ce film par Jean-Jacques Beinex.

Une femme de Tokyo (Tokyo no onna) – de Yasujiro Ozu – 1933

Posté : 11 avril, 2014 @ 1:55 dans 1930-1939, FILMS MUETS, OZU Yasujiro | Pas de commentaires »

Une femme de Tokyo

« On n’en tirera pas un scoop » lance un journaliste, cynique. Effectivement, le drame que raconte Ozu dans ce film court et poignant n’a rien d’exceptionnel, comme le souligne d’ailleurs le titre du film, on ne peut plus sobre. C’est presque le titre d’un manifeste : Ozu ne filme pas des gens hors du commun, mais une poignée de personnages qui mènent des vies modestes et rangées, travaillant ou étudiant pour trouver leur place dans une société modernisée en apparence, mais toujours hyper codifiée.

Un jeune homme, étudiant, vit au côté de sa sœur, employée de bureau unanimement saluée, jeune femme courageuse qui travaille le soir en tant qu’assistante d’un professeur. C’est en tout cas ce que tout le monde croit, jusqu’au jour où la rumeur désigne la jeune femme comme étant l’une des hôtesses d’un cabaret louche. En d’autres termes, cela signifie pute, et cette révélation (qui s’avère véritable) entraîne l’inéluctable drame, qui laisse un sentiment de gâchis sans nom.

Avec ce petit film qui dure à peine plus de trois quarts d’heure, Ozu signe mine de rien un grand film politique, un plaidoyer pour une certaine ouverture d’esprit, et contre d’antiques codes d’honneur que sa belle anti-héroïne, sublime dans le chagrin (un rien sadique, ça, non ?), qualifiera in fine de lâcheté. Un cinéaste ouvertement marqué marqué par la culture occidentale, particulièrement l’influence du cinéma américain (certains des personnages vont d’ailleurs voir la comédie Si j’avais un million au cinéma).

Cette société japonaise avec ses traditions encore vivaces, d’où peut découler le plus absurde des drames, Ozu en fait quelque chose d’étrangement figé. Personne ne semble construire quoi que ce soit ici, ou attendre quoi que ce soit. L’avenir n’est abordé que comme un vague rêve, lorsque le jeune homme évoque ses études en cours. Pas de couple, pas même de parents : juste des frères et sœurs qui vivent ensemble, sans autre ouverture aux autres, et dont les destins n’ont aucune incidence sur la marche de la ville… Les dernières images du film, montrant les journalistes quittant la scène du drame en parlant de tout autre chose, sont en cela particulièrement cruelles.

Sur le DVD édité par Carlotta, ce film muet est présenté sans accompagnement musical, ce qui pose parfois des problèmes de rythme pour certains films. Au contraire ici, l’absence totale de son souligne la force des images (et le dynamisme du montage), avec des cadrages qui utilisent merveilleusement les gros plans et les plans plus larges, donnant une importance constante à des objets de la vie quotidienne, repères immuables quel que soit le drame qui se joue. Merveille de mise en scène, Une femme de Tokyo est un mélo d’une cruelle beauté.

• Le film fait partie de l’indispensable coffret de 14 films que Carlotta vient de consacrer à Ozu, avec de nombreux bonus : des analyses de plusieurs films, des documentaires, et même deux courts métrages tournés par le cinéaste dans les années 30.

123
 

Kiefer Sutherland Filmographie |
LE PIANO un film de Lévon ... |
Twilight, The vampire diari... |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | CABINE OF THE DEAD
| film streaming
| inderalfr