La Charge des Tuniques Bleues (The Last Frontier) – d’Anthony Mann – 1955
A quoi c’est dû, quand même… A cause d’une jaquette hideuse (celle de la collection « Western Classics » de Columbia), voilà que ce western pourtant signé Anthony Mann, et jamais vu, traînait dans mes étagères depuis Noël. Il était temps, donc, surtout que ce Mann-là, comme à peu près tous ses films d’ailleurs, est une merveille.
Le thème est « mannien » par excellence, avec ce personnage de Victor Mature, trapeur qui a toujours vécu au plus près de la nature dans un Ouest encore très sauvage, et qui est confronté brutalement à la civilisation, à ses tentations, à ses dangers, et à ses contraintes.
La patte de Mann est là, omniprésente : cette façon unique de filmer la nature, en jouant avec ses courbes, sa profondeur, ses mouvements. Ce Mann-là est au tournage en extérieur ce que le Mann des années 2000 (Michael) est au numérique : un génie absolu. Personne, sans doute, n’a ce talent pour intégrer les acteurs dans le paysage. Il l’avait fait avec Stewart dans L’Appât de manière quasi-expérimental. Il le fait ici avec Mature en étant constamment au service de l’histoire.
Et en réservant quelques surprises étonnantes et passionnantes, à l’image de cette première rencontre des « blancs », Victor Mature et James Whitmore en habits de trappeurs, avec les Indiens, vêtus de chemises à carreaux et visiblement plus familiers de la civilisation. Cette scène fascinante ne ressemble à aucune autre et suffit à planter le contexte : ces trappeurs qui vivent en accord avec les Indiens depuis toujours, et cet équilibre remis en cause par l’arrivée des soldats qui menace le mode de vie de ce peuple…
Mann évite consciencieusement tout manichéisme. L’officier du fort est une ordure, certes, mais guidé par ce qu’il considère être son devoir. Et son second est un homme bon et profondèment honnête. Quant au trappeur Mature, représentant d’une harminie révolue, il se glisse avec difficulté mais volonté dans son nouveau costume de militaire « civilisé ». L’acteur trouve là l’un de ses très grands rôles (avec le Doc Holiday de My Darling Clementine), touchant et très convainquant en « ours des bois » qui cherche gagner son droit d’accès à la société.
Visuellement, le film est une splendeur, d’une richesse immense. Que ce soit dans les séquences du fort ou dans celles des expéditions extérieures, dans les moments intimes ou dans les morceaux de bravoure, Mann rappelle constamment la présence de la nature et ses rapports conflictuels avec l’homme. Deux scènes sont particulièrement impressionnantes dans ce registre : celle où Mature retrouve les soldats en déroute dans les sous-bois plongés dans l’obscurité, et celle de l’embuscade dans une clairière entourée par un danger mortel dissimulé parmi les arbres. Du grand Mann.