Frontière chinoise (7 women) – de John Ford – 1966
Etrange année, quand même, qui a vu deux des plus grands géants du 7e Art tourner leurs derniers films : Chaplin avec La Comtesse de Hong Kong, et Ford avec ce 7 women qui en a dérouté plus d’un à sa sortie, du côté du public comme de la critique. C’est pourtant sur une pure merveille que Ford termine sa carrière, lui qui, diminué physiquement, aurait pu s’arrêter sur un échec : celui de Young Cassidy dont il quittera le tournage après deux semaines seulement.
Heureusement, il lui restait suffisamment de santé, et d’envie, pour se lancer dans un projet qui semble pourtant loin de son cinéma : l’adaptation d’une nouvelle, l’histoire d’un petit groupe de femmes blanches qui vivent isolées dans une mission en Chine, loin de leur civilisation, et entourées de dangers. Une histoire de femmes ? C’est presque une première pour Ford qui a certes souvent filmé de beaux personnages de femmes, de la Frau Bernl de Four Sons à Maureen O’Hara dans tous ses films, mais souvent un peu en retrait par rapport aux hommes.
Ici, les hommes sont quasi-absents, et le titre original lui-même revendique l’ambition du réalisateur : il n’est question que de ces femmes, de ce qu’elles sont, de ce qu’elles ont abandonné pour venir vivre dans cette région chinoise hostile dominée par un terrifiant maître de guerre. Les dangers qu’elles rencontrent – l’épidémie de peste et l’attaque des bandits – ne sont que des révélateurs de ce que ces femmes vivent.
Et quelle galerie de personnages ! Une directrice qui dissimule mal derrière son autoritarisme et sa foi ses profondes névroses (Margaret Leighton, à la fois glaçante et pathétique) ; une vieille fille qui cherche un sens à sa vie ; une femme vieillissante qui n’est là que pour avoir suivi son mari, seul homme du groupe, et qui se retrouve enceinte dans cette contrée lointaine ; une toute jeune fille pleine d’espérances (Sue Lyon, la Lolita de Kubrick) ; ou encore une femme médecin dont la liberté va bousculer cet ordre bien établi (Anne Bancroft).
Les personnages sont des femmes qui ont renoncé à la société pour d’obscures raisons, des femmes confrontées à leurs propres choix, à leurs doutes, à leurs envies inassouvies. L’image de Margaret Leighton qui observe la jeunesse affolante de Sue Lyon est aussi osée qu’émouvante : envie-t-elle simplement sa jeunesse et son avenir ? ou lutte-t-elle contre une pulsion saphique qu’elle veut à tout prix contrôler ? A chacun son interprétation, mais le trouble du personnage crée un malaise profond.
Et Ford filme ce petit monde dans de belles couleurs un peu passées, et avec une grande délicatesse, à l’image de ce gros plan fixe et magnifique sur les visages d’Anne Bancroft et Eddie Albert qui observent les flammes au loin, annonciatrices du chaos qui s’approche. Ford aurait pu faire de ce film un grand film d’aventure exotique et spectaculaire. Il privilégie constamment les personnages et son huis clos, la caméra ne s’éloignant jamais de la mission.
Pas une seule faute de goût dans ce film (bon, Woody Strode est quand même très noir pour jouer un Chinois !), jusqu’à la conclusion, dont je ne dirai rien si ce n’est qu’elle est magnifique et bouleversante. Ford clôt son dernier film de fiction sur une ultime image sublime et rageuse. Un coup de poing, un adieu à la hauteur de sa filmographie hallucinante.